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Comment les difficultés rencontrées par la Scop des anciens salariés de Fralib illustre la problème d’une approche “sociale” de l’économie
©Reuters

Entreprises

Trois ans après la création d'une coopérative ouvrière par les ex-salariés de Fralib, les difficultés s'accumulent pour la Scop Ti., ce qui a conduit à la mise en place d'une campagne de financement participatif pour récolter 700 000 euros afin de combler la trésorerie.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Alors qu'Unilever avait 20 millions d'euros, dont 2.8 millions pour le lancement de cette activité, quelles ont été les difficultés rencontrées par les anciens salariés de Fralib ? Dans quelle mesure l’expérience, et le fonctionnement de la Scop peut il être incriminé ? 

Jean-Yves Archer : Les ex-Fralib sont restés dans les mémoires pour la longueur de leur conflit social les opposant au propriétaire initial ( Unilever ) de l'usine de Gémenos ( Bouches du Rhône ) à savoir 1336 jours. Plusieurs plans de sauvegarde de l'emploi furent annulés par la Justice et finalement l'épilogue du conflit a consisté en une aide d'Unilever à hauteur de 19,26 millions d'euros ( cession symbolique des matériels, etc ) dans le but de fonder une Scop, c'est-à-dire une société coopérative ouvrière de production.

D'un côté la détermination et un certain courage assidu des ex-salariés ont permis de remporter des victoires. Ainsi, il y a eu le lancement d'une gamme de thé précisément baptisée 1336 et une marque bio en 2016.

La renommée de Scop-TI ( Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions ) a commencé à s'établir et ainsi, cette jeune entreprise a réussi à convaincre de grands distributeurs de lui confier des productions d'enseigne autrement dit des MDD ( marques de distributeurs ). C'est le cas pour Leclerc, Intermarché et Système U.

Mais ces premières vagues de succès n'ont pas drainé de solution à la crise du besoin en fonds de roulement : il faut procéder aux achats et à la fabrication avant d'être payé. Ce classique effet de ciseaux s'est trouvé accentué par le peu de trésorerie de départ ( 2,8 millions d'euros ) et par le fait que le crédit fournisseurs pénalise le fabricant surtout s'il travaille avec la grande distribution.

A l'heure actuelle, le déficit mensuel moyen est d'environ 100.000 euros pour un chiffre d'affaires 2017 escompté d'un peu moins de 3 millions d'euros. En 2016, la Scop avait atteint 1,8 million d'euros avec des référencements nationaux chez Carrefour et Auchan en plus des productions MDD.

En clair, pour un banquier la Scop vend 3 mE quand elle en perd au moins 1 mE par an. Selon les critères de l'analyse financière, il s'agit d'une situation de non-viabilité. Evidemment le fait que cela soit une Scop n'attire guère – pour ne pas dire plus – les concours bancaires.

La situation n'est pas encore " irrémédiablement compromise " ( pour reprendre les termes usuels des jurisprudences de la Cour de Cassation ) mais le financement court terme est une priorité.

Or, on se heurte ici à un point de droit qui est le suivant : les éventuels bailleurs de fonds craignent que leurs apports, leurs concours financiers ne soient assimilés à du "soutien abusif" et demeurent donc sur le banc de l'attentisme.

Au plan du strict fonctionnement de la Scop-TI, ses dirigeants ( Olivier Leberquier DG délégué et ancien délégué syndical CGT de Fralib et Gérard Cazorla PCA ) reconnaissent qu'ils leur manque du volume de ventes et ont récemment recruté un directeur marketing vente, non coopérateur.

De nombreuses initiatives sont envisagées pour améliorer le packaging ou engager des campagnes promotionnelles mais tout ceci a un coût pour l'instant incompatible avec l'état financier de la coopérative.

Gérard Cazorla, président bénévole du conseil d'administration, se trouve à la tête de 41 salariés ; « la masse salariale est le poste de dépenses le plus important », ce dernier s'étant engagé à embaucher ceux dont les droits à pôle emploi s'arrêtaient". D'un point de vue de la philosophie du fonctionnement de l'activité, en quoi une démarche "sociale" telle que la Scop est il adapté à l'économie d'aujourdhui ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ?

Si la mise de fonds est conséquente au démarrage, alors un chemin existe. Autrement on se retrouve vite dans une impasse comme ce fût le cas pour l'usine de lingerie ex-Lejaby par-delà l'honorable philosophie sociale qui préside à ce type de projet.

On dénombre près de 2300 Scop et un peu plus de 500 Scic ( société coopérative d'intérêt collectif ) regroupant près de 52.000 salariés pour un chiffre d'affaires global de 4,5 milliards d'euros.

Autant dire que cette forme d'entreprise n'est ni anecdotique ni négligeable. Mais il est fondamental de garder en mémoire que pour 2/3 des cas, il s'agit de transmissions d'entreprises rentables, de transformations d'associations ou de créations pures et simples.

Les Scop du type des ex-Fralib ne représentent que moins du quart des reprises de firmes alors dites en difficulté.

Quelles seraient les conditions qui permetteraient le succès d'une telle inititative ? ​

S'agissant de la Scop-TI, on ne peut que lui souhaiter de réussir à réunir 700.000 euros via sa tentative de levée de fonds. C'est une somme conséquente mais ce n'est hélas qu'un peu plus de 6 mois de " cash-burning rate ". Le vrai défi est de passer le point à partir duquel les charges fixes sont absorbées par le niveau stabilisé du chiffre d'affaires. Dans le cas présent, il semblerait qu'il faille se rapprocher au plus vite du cap de 5 mE de CA.

Enfin, il est fondamental de situer cette Scop sur son marché qui est très concurrentiel. Clairement, des ouvriers syndiqués CGT avaient interpellé Unilever en demandant à la multinationale de laisser la marque " L'Eléphant ". Certains de ces opérateurs avaient indiqué aux médias que c'était la clef de la réussite de leur projet. On peut craindre qu'ils n'aient vu juste ce qui dépasse la question de la forme juridique de l'entreprise.

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