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"On nous fait croire que Maduro est responsable" : petit rappel à l'attention des députés de la France Insoumise sur la manière dont le régime vénézuélien a fait passer son économie du 1er au dernier rang en Amérique latine
©AFP

Vraiment ?

Selon Adrien Quatennens, député FI, les tensions au Venezuela résulteraient "d'une confrontation entre deux camps politiques". L'opposition serait "soutenue par les États-Unis d'Amérique". Pourtant, à l'origine de cet énorme gâchis qu'est le Venezuela, les choix économiques opérés sous les gouvernements socialistes d'Hugo Chavez et de Nicolas Maduro ont beaucoup joué.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : Alors que le Venezuela dispose des plus grandes réserves mondiales de pétrole,  sa situation économique et sociale est désastreuse. Comment expliquer ce qui semble être un gigantesque gâchis, transformant un pays au potentiel économique immense en un tel désastre ?

Christopher Dembik : Le Venezuela, c'est l'histoire d'un gâchis économique. En l'espace de quinze ans, la politique désastreuse d'Hugo Chavez et de son successeur Nicolas Maduro a fait d'un pays possédant un potentiel incroyable de développement économique l'une des nations les plus pauvres au monde. Le Venezuela figure au premier rang mondial de l'indice de misère qui dresse un panorama de l'économie à partir de la somme du taux d'inflation et du taux de chômage. Depuis 2015, le Venezuela est aussi entré dans le club très fermé des pays victimes d'hyperinflation en en devenant le 57ème membre.

Le Venezuela est le parfait contre-exemple de l’Arabie saoudite. Possédant les premières réserves de pétrole prouvées selon l’OPEP, le pays n’a pas réussi à mettre en place au cours des quinze dernières années un nouveau modèle économique qui, s’appuyant sur la manne pétrolière, aurait pu diversifier le tissu industriel et permettre la constitution d’un coussin de sécurité afin de faire face aux périodes de conjoncture défavorable. Le modèle chaviste a eu l’effet contraire en accentuant la dépendance du pays au pétrole. En 1998, juste avant l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir, le pétrole représentait 74% des exportations du pays contre environ 95% de nos jours. Les revenus du pétrole ont été accaparés par une nouvelle bourgeoisie issue de la révolution bolivarienne, les boliburgueses. Une partie a servi à financer une ambitieuse politique sociale, les misiones bolivarianas, qui a permis de sortir de 2003 à 2010 un pan important de la population de la pauvreté, et que personne ne remet en cause aujourd’hui. Cependant, ces missions ne sont plus en mesure de fonctionner correctement à cause de la dégradation économique et de la chute prolongée et durable du prix du baril de pétrole. Un violent retour en arrière est en train de s'opérer. La baisse du taux de pauvreté n'est désormais plus qu'un lointain souvenir.

Depuis l'arrivée du "chavezisme", quels sont les choix de politique économique qui ont conduit à cet état de déliquescence ? Quelle part de responsabilité est-il possible d'attribuer à Hugo Chavez et Nicolás Maduro dans cet état de fait ?

Il est évident qu'Hugo Chavez et Nicolas Maduro sont responsables du désastre économique. Les expropriations réalisées sans plan concerté de développement économique ont fait fuir les investisseurs étrangers dont les capitaux sont cruciaux pour le tissu industriel vénézuélien. Mais la vraie erreur fut d'avoir détruit la seule industrie, le secteur pétrolier en l'occurrence, capable d'assurer l'avenir économique du Venezuela. A partir de 2003-2004, le président Hugo Chavez a décidé de transférer la majorité des recettes de PDVSA, la compagnie pétrolière nationale, vers le budget de l’Etat afin de financer les missions sociales bolivariennes, plutôt que d’investir pour garantir la compétitivité de l’appareil productif de l’entreprise. L’insuffisance d’investissements ne remettait pas en cause la viabilité financière à moyen terme de PDVSA tant que le prix du baril de pétrole était élevé, au-dessus de 100 dollars.  Le coût de production d’un baril au Venezuela, qui est parmi les plus importants au monde, autour de 23,50 dollars contre environ 10 dollars dans les pays de la péninsule arabique, était largement couvert. La baisse du prix du baril à partir de mi-2014 a entraîné une baisse de la production massive dans le pays et une réduction des marges de l’entreprise qui s’est répercutée directement sur la capacité d’intervention budgétaire de l’Etat. Le résultat de ce choix politique est désastreux: le Venezuela n'est plus en mesure de produire du pétrole, sa principale source de revenus, dans un contexte de prix bas du baril, ce qui précipite le risque de défaut de paiement du pays.

Le Venezuela est-il un Etat failli ? Quelles sont les mesures qui permettraient au pays de se relever ? Combien de temps cela prendrait-il ? Une opposition est-elle en place pour assumer un tel rôle ?

Il est évident que le Venezuela est un pays failli. La question désormais n'est plus de savoir s'il fera faillite mais plutôt quand est-ce que cela va se produire. Il ne faut pas appréhender ce scénario. Ce serait même plutôt une bonne nouvelle puisqu'un défaut de paiement pourrait enfin apporter les réformes trop longtemps repoussées par l'Etat et favoriser un changement de régime qui est déjà en marche depuis la victoire obtenue par l'opposition gouvernementale lors des élections législatives de 2015.

Il faudra passer par une thérapie de choc, similaire à celle mise en place par beaucoup de pays d'Europe de l'Est à la chute du communisme, pour reconstruire l'économie et faire revenir les investisseurs. Un retour à la normale prendra, vraisemblablement, longtemps. Au moins une décennie.

Pour reconstruire l'économie, il faudra rétablir la confiance et faire revenir les investisseurs étrangers dont les capitaux sont cruciaux pour rétablir la capacité productive de l'industrie pétrolière. Cela passera par une libéralisation des prix et des salaires, le strict respect du droit de propriété, l'arrêt des subventions de l'essence et, enfin, la réforme la plus cruciale de mon point de vue, la fin du financement du déficit budgétaire par la Banque centrale. Cette politique dangereuse a conduit à une inflation de près de 700% selon les calculs d'organismes indépendants et à un effondrement de la monnaie sur le marché noir à environ 1 050 bolívars pour un dollar contre un taux de change officiel fixé à 6,3 bolívars.

Sans surprise, l'opposition, regroupée autour d'une plateforme politique, la Mesa de la Unidad Democrática (MUD), profite largement du discrédit du gouvernement mais elle ne suscite pas pour autant d'enthousiasme dans la population. Le problème, c'est que l'opposition rassemble une myriade de partis, de l'extrême-gauche à la démocratie chrétienne, dont le programme politique se résume à l'antichavisme et au maintien des programmes sociaux initiés par Hugo Chavez. Ces partis n'ont pas de vrai socle idéologique commun qui leur permettrait de gouverner. Lorsque le chavisme s'effondrera, ce qui est inévitable au regard de l'incurie du gouvernement, il est probable qu'on assiste à une recomposition profonde du pays politique vénézuélien et à l'implosion de la MUD. Le clivage traditionnel droite-gauche reprendra certainement le dessus. 

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