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Attaques en série en Europe : la menace terroriste toujours présente mais en mutation ?
©Reuters

Transformation

Depuis le début de l’année, les occasions pour les mouvements salafistes-djihadistes de mener des opérations terroristes ont été nombreuses en Europe occidentale.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Et pourtant, en dehors d’actions individuelles –certes parfois extrêmement meurtrières comme en Grande-Bretagne- aucune action d’envergure engageant des nombreux assaillants comme à Paris le 13 novembre 2015 ou le 22 mars 2016 n’a eu lieu, ce qui n’est loin d’être le cas dans d’autres régions du monde que l’on a tendance à oublier.

Cela est la résultante de plusieurs facteurs en tête desquels doivent être mis en avant les efforts acharnés déployés par les différents services de renseignement et de sécurité qui sont aux créneaux depuis maintenant de longues années. Cela va des Officiers traitant, des techniciens, des analystes des services de renseignement en passant par les enquêteurs et va jusqu’aux policiers stagiaires et vigiles privés qui sont sur le terrain les derniers remparts pour assurer la protection de leurs concitoyens. Il n’y a pas de tâche plus noble l’une que l’autre : ces femmes et ces hommes participent tous, d’un bout de la chaîne à l’autre (le renseignement en amont et les protections statiques en derniers ressort) à la sécurité collective.

Il convient d’ajouter tous les gens qui concourent directement ou indirectement à cette lutte comme les personnels de santé, les pompiers, etc.

Enfin, et peut être surtout, il y a les populations qui font preuve de résilience -voire de résistance dans certains cas(1)- comme personne ne pouvait l’imaginer. La volonté de Daech de monter les communautés les unes contre les autres en Occident a visiblement échoué. A savoir qu’en dehors de quelques répliques criminelles, parfois malheureusement mortelles, de certains individus isolés, l’immense majorité a su conserver calme et dignité.

Un autre facteur fondamental réside dans le fait que la cause salafiste-djihadiste que défend Daech est en train de perdre de son attractivité auprès d’une partie de ses sympathisants, du moins en Occident. Les revers militaires que rencontre le « proto-Etat » islamique sur le front syro-irakien n’y sont certainement pas étrangers. D’ailleurs, le nombre de volontaires voulant rejoindre le cœur du califat a considérablement diminué. Certes, les difficultés causées par le bouclage de la frontière syro-turque rendant les passages extrêmement difficiles y sont aussi pour quelque chose. Mais il est légitime de se demander si les « aspirants volontaires au djihad » ne sont pas en train de se « déradicaliser » tout seuls car ils constatent que les tueries qui ont lieu depuis des années en raison d’une cause qu’ils idéalisent, n’ont aucune chance d’aboutir au califat dont ils rêvent.

Il n’en reste pas moins que la guerre est loin d’être terminée. D’abord, sur le plan des idées, le salafisme-djihadisme n’est pas mort d’autant qu’il continue à grignoter du terrain sur l’islam traditionnel via des réseaux de prêcheurs dont l’origine est incertaine. Si Daech disparaît en tant qu’« Etat », il va néanmoins poursuivre -peut-être sous d’autres noms »(2)- ses opérations subversives en comparant la période qu’il est en train de vivre à celle qui a vu le prophète Mahomet fuir la Mecque pour rejoindre Médine. Ses idéologues appellent cela le « retour au désert ».

Même si l’on en parle moins car son idéologie salafiste-djihadiste semble plus soft dans sa présentation, Al-Qaida « canal historique » est toujours vivace. On le constate en Syrie dans la province d’Idlib, en zone Afpak, au Sahel, en Somalie, etc. Sa force stratégique réside dans sa capacité à créer des alliances avec d’autres mouvements religieux revendicatifs alors que Daech n’accepte que leur soumission pleine et entière.

Et très inquiétant, ces deux formations appellent toujours les sympathisants à passer à l’action là où ils le peuvent et avec les moyens du bord. A noter que Al-Qaida « canal historique » place toujours les Américains en cible choix alors que Daech tire sur tout ce qui bouge.

Le « mémento du loup solitaire »

Le 3 juillet, Daech a publié sur l’application Telegram le « mémento du loup solitaire » en version turque. Ce manuel de 66 pages reprend globalement des instructions plus anciennes données par Al-Qaida « canal historique »(1) et par Daech dans d’autres publications. Sans entrer dans les détails des méthodes préconisées, il convient tout de même d’énumérer les principales actions auxquelles peuvent être confrontées les forces de sécurité et les populations de manière à tenter de les contrer au mieux. L’ennemi écrit ce qu’il va faire, il serait criminel de le pas le lire.

Prenant exemple sur la France où des centaines de véhicules sont régulièrement incendiés en diverses occasions, particulièrement dans la nuit de la Saint Sylvestre ou les 13 et 14 juillet, Daech préconise de mettre simultanément le feu à de grandes quantités de véhicules et ce en de multiples endroits. Il met en garde les activistes contre les caméras de surveillance qui permettraient de les identifier après-coup. Il affirme que les jeunes de 12 à 16 ans sont « faciles à recruter » pour faire le travail. A l’évidence, il ne s’agit pas ici de radicalisation des esprits mais d’embauche de « main d’œuvre ».

Viennent ensuite des techniques malheureusement bien connues des véhicules bélier, des bombes « fabriquées dans la cuisine de votre maman » (voir la revue Inspire n°1 de juillet 2010), de la confection de TATP (peroxyde d'acétone) à partir de produits disponibles dans le commerce, de la transformation de bombonnes de gaz en bombes devant permettre la destruction d’immeubles (qui peuvent aussi être incendiés avec des moyens plus simples) et enfin de la manipulation et l’utilisation du fusil d’assaut Kalachnikov et du pistolet Makarov.

Toutefois, on relève deux nouveautés par rapport aux appels au meurtre précédemment diffusés. Daech préconise de créer des accidents de circulation soulignant que le nombre de victimes est déjà très élevé et de déclencher des feux de forêts à proximité de zones habitées. Ces nouvelles méthodes incluent le fait qu’il ne faut pas que ces actions terroristes ne soient reconnues comme telles -les auteurs devant rester anonymes et aucune revendication n’étant alors diffusée- mais restent de simples « accidents ». Dans une autre publication, Daech avait aussi préconisé de perturber par tous les moyens possibles le trafic ferroviaire.

Le but n’est plus de terroriser populations ou de recruter de nouveaux adeptes mais de ruiner économiquement l’Occident. Cette idée de s’attaquer aux économies n’est pas vraiment nouvelle mais semble faire son chemin dans l’esprit des stratèges salafistes-djihadistes, par exemple pour justifier les combats classiques où sont engagés des armées occidentales. Selon Daech, ces opérations coûtent très cher aux sociétés occidentales et accentuent leur déclin. Il est tout à fait vraisemblable que d’autres actions allant dans ce sens sont envisagées(4) comme le cyberterrorisme ou des sabotages à répétition d’infrastructures industrielles. A noter que pour Daech, il est également permis idéologiquement (halal, licite) de voler les biens des mécréants. Ils sont considérés comme le butin du djihad !

Ce ne sont peut-être que des coïncidences malheureuses mais le 30 juillet, le trafic ferroviaire est complètement paralysé en garde de Montparnasse par un incident aux causes (au moment où sont écrites ces lignes) inconnues et un incendie s’est déclenché dans la nuit du 29 au 30 dans la plus grande raffinerie d’Europe à Rotterdam…

Indubitablement, la stratégie des salafistes-djihadistes est en train de muter. Le fait de ne plus revendiquer des opérations va compliquer sérieusement la tâche des enquêteurs. Il va falloir également adapter les dispositifs sécuritaires aux nouvelles menaces qui se font jour.

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