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Le low-cost peut-il relancer l'industrie française ?
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Des prix bas... et français !

Le low-cost n'est pas uniquement l'apanage des pays étrangers : les industries françaises s'y sont mises notamment par le biais de la sous-traitance.

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Les activités à bas coût (low cost) sont déjà bien présentes en France même ! Des services sont fondés sur le bas coût – notamment la grande distribution à bon marché, dans le sillage de l’ex-Tati. L’industrie elle-même comporte des noyaux de bas coût : nombre de petits ateliers de sous-traitants/fournisseurs fonctionnent selon un mode opératoire « ultra économique », dans la petite transformation finale à façon, généralement, pour un petit nombre de pièces, car haute qualité et bas coût peuvent coopérer si les frais de gestion sont comprimés au maximum par l’absence de frais structurels. Rappelons aussi que le btp, qui appartient à l’industrie non manufacturière, recourt au bas coût par le biais du bout de chaîne de la sous-sous-traitance, avec même parfois des abus avec l’embauche d’immigrés « à la tâche » (des tâcherons, donc), clandestins ou non. L’on pourrait identifier dans telle ou telle banlieue une « économie de trottoir » artisanale, mais l’on serait loin de notre sujet de réflexion…

Nombre d’îlots de bas coût fonctionnent en France même, surtout dans le cadre de rapports de proximité, dans l’industrie agro-alimentaire ou des marques d’habillement régionales, quand des PME à faibles coûts de production (salaires bas, faible grille hiérarchique) et de logistique sont insérées dans des « circuits courts », par contrat avec la grande distribution, pour les fameux produits régionaux, généralement, élaborés en petites séries, mais bon marché. Des TPE entretiennent une industrie diffuse, sans visibilité, pour des commandes ajustées quasiment sur-mesure (véhicules ou bateaux légers spécialisés, petite mécanique, forgeage-alésage, etc.). Une bonne partie de ce qui a subsisté du décolletage dans la vallée de l’Arve (en Haute-Savoie) relève peu ou prou de cette catégorie.

Cela nous conduit à cette conclusion intermédiaire : tout le bas coût industriel n’est pas hors de France ! Des poches y résistent, avec vaillance et résolution, grâce à l’esprit d’entreprise de petits patrons, généralement, aptes à tailler dans les coûts de structures.

Il n’y a pas d’opposition entre bas coût étranger et industrie française

Les imprécations contre le bas coût à l’étranger, source de délocalisation, doivent être contredites, car leur perception de la réalité est fallacieuse ! Désormais, toute industrie « tricolore » est pénétrée de bas coût étranger : dans le cadre de la nouvelle configuration de la division internationale du travail, des étapes du processus de production sont en effet délocalisées, surtout celles qui sont fortement consommatrices de main-d’œuvre. C’est comme un mille-feuille : des tranches sont fabriquées hors de France, d’autres en France. Dans l’habillement ou la chaussure, par exemple, l’on dessine des « patrons », la découpe des pièces est effectuée en France ou non, leur assemblage (ou le travail de broderie ou de cousu) s’effectue bien sûr dans les zones (parfois « franches ») de main-d’œuvre bon marché, au Maghreb ou en Asie, et l’on rapatrie ces semi-produits en France pour la finition. Le même processus intervient souvent dans l’horlogerie ou autre mécanique de précision. Même l’Airbus si franco-allemand recourt, pour certaines pièces, à une telle externalisation lointaine. Une étiquette « made in France » ne signifie plus rien, en fait ! Parler de « l’industrie française » ne correspond plus à la réalité possible : c’est un concept éculé ! Le bas coût est partout, au cœur même des activités les plus françaises, par segments de la chaîne productive.

L’industrie tricolore mobilisée au profit du bas coût étranger

Enfin, banalement, l’on sait que nombre d’activités localisées en France travaillent pour le bas coût étranger. Les effets « induits » de ce dernier stimulent des débouchés pour la production « nationale ». Des segments de la chaîne productive sont, à l’inverse du processus évoqué plus haut, orientés vers des commandes de sites de bas coût : pièces spécialisées, matériaux haut de gamme (brames d’acier spécialisé, tôles moyen-haut de gamme, pièces en céramique ou lingots de métaux non ferreux), composants électroniques (Smt technologies, etc.). Une fraction des équipements automobiles élaborés par Valeo, Faurecia ou Plastic Omnium est ainsi exportée sur les sites de bas coût de Dacia ou autres, même si la majorité de ces firmes se sont établies au plus près des usines à bas coût.

 Il sera banal de rappeler que le fonctionnement du bas coût étranger peut recourir à des équipements français : dans le textile, par exemple, les métiers de découpe des tissus au laser peuvent venir du numéro 2 mondiale, Lectra Systèmes, situé en Aquitaine (et aux États-Unis). Pour encore une décennie au moins, les sites à bas coûts représenteront un débouché significatif pour les biens d’équipement ouest-européens (entre autres). L’on rappellera enfin que les compagnies aériennes à bas coût (Easyjet, Ryanair, etc.) passent d’énormes commandes d’Airbus, dont une partie importante est fabriquée ou montée en France. Sur ce registre ou d’autres, précisons qu’une part du « travail industriel » assume la « maintenance » des équipements, donc de ceux que la France a exportés sur ces sites de bas coût, et des équipes d’expatriés, des ingénieurs et techniciens aux ouvriers qualifiés, bénéficient de tels contrats hors de France et portent haut le pavillon tricolore.

Ajoutons que les « services liés à l’industrie » eux aussi sont évidemment impliqués dans l’économie du bas coût : les firmes d’ingénierie conçoivent et supervisent la mise en œuvre de sites pour du bas coût ; les sociétés de logistique (Sdv Bolloré, Cma Cgm) animent les flux ; les ateliers de design contribuent à initier les modèles à bas coût ; les cabinets de communication se mobilisent pour valoriser ceux-ci, etc.

Quid du « fabriquer français » ?

« Fabriquer français », produire à bas coût hors de France dans le cadre de délocalisations, réelles ou supposées, n’a plus guère de sens si l’on tient aux qualifications simplistes, car réductrices. Toute chaîne de production, peut-on dire, incorpore des segments français et non-français, à cause de l’osmose amont-aval qui caractérise la nouvelle division internationale du travail. Il faut beaucoup plus de subtilité intellectuelle, de doigté, que l’on parle d’un Airbus ou d’une Dacia roumaine ou marocaine ; et donc éviter les raccourcis trompeurs, chauvins ou corporatistes.

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