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Défense : et s'il était temps de penser enfin au monde dans lequel nous vivons
©Reuters

Au delà des querelles budgétaires

Nous assistons à un changement brutal de cycle. L’illusion des « dividendes de la paix », mantra des tenants de l’idéalisme en politique internationale, se dissipe brutalement, cependant qu’un nouveau cycle des relations internationales s’ouvre.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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La Russie est redevenue une puissance qui marque brutalement son territoire dans son « étranger proche », et qui renoue avec une tradition militaire puissante. Les pays émergents, au premier desquels la Chine, se sont lancés dans une nouvelle course aux armements, que les parangons de la mondialisation heureuse sont bien en peine d’expliquer. Le Moyen-Orient, secoué par le terrorisme islamiste et la mise en place d’un nouveau « grand jeu » entre sunnites et chiites, aiguillé par le retour au premier plan de l’Iran, est une plus grande poudrière que jamais, avec des effets délétères jusque sur notre propre territoire. Enfin, n’en déplaise aux thuriféraires de l’économie de marché, l’économie est et sera bien de plus en plus le lieu de l’affrontement des différents systèmes et pays.

Or, face à ces évolutions profondes et durables, à quoi assiste-t-on ? A un 14 juillet marqué par une passe d’armes médiatique entre le Président de la République, chef des Armées, et le Chef d’état-major des Armées, son premier subordonné militaire. La rodomontade d’E. Macron envers P. de Villiers, en pleine soirée pré-défilé à l’Hôtel de Brienne, résidence de la Ministre des Armées, a eu des airs de mercuriale. Rappelant qu’il était « le chef » et que ses décisions en matière stratégique ne souffraient d’aucune contestation, en particulier des militaires, le Président de la République a fait tomber sa foudre jupitérienne sur les hommes auxquels revient la charge quotidienne de notre défense. L’humiliation subie par le Chef d’état-major des Armées fait suite à la réduction du budget – portant sur les équipements – de 850 millions EUR cette année. Celle-ci fait suite à l’annonce, il y a quelques semaines, du gel – voire du surgel – de quelques 2,3 milliards EUR pour la défense, soit un total de plus de 3 milliards EUR ; plus de 10% du budget du ministère. 

Disons-le tout net, cet événement, dans le contexte rappelé ci-devant, est grave et laissera des traces. Face aux militaires usés moralement et physiquement par des opérations extérieures et les longues gardes de l’opération sentinelle – certaines unités enchaînant les deux sans pause – les mots du Président ont durement claqué. Réduits à une obéissance passive et aveugle, ils ont maintenant compris quelle était leur place. Au-delà des effets de communication à l’hôpital Percy ou dans un sous-marin lanceur d’engins, le chef des Armées Macron entend rappeler aux hommes et femmes des Armées qu’ils sont là pour servir, non pour faire valoir leurs besoins. Plus qu’une passe d’armes entre deux hommes, avec une crispation palpable lors du défilé, c’est bien la chaîne stratégique entre le militaire et le politique qui est entamée, sinon rompue. Celle-ci qui assure la sauvegarde du pays dans ses frontières et ses institutions, a été mise à mal par des années de réduction incessante de la place des militaires dans la décision stratégique. E. Macron a un but clair : la réduction des militaires à l’obéissance. Plus grave, en attaquant de front les militaires qui alertent sans cesse sur les conditions de leurs missions, le Président rend manifeste son aveuglement budgétaire. Face à des Armées à qui l’on demande toujours plus en fournissant moins, le Président refuse l’inéluctable, le point de rupture qui approche ; la perspective d’une véritable défaite qui, n’en doutons pas, serait couteuse en vies humaines.

Ces éléments qui sont la face émergée d’un monstrueux iceberg, cachent des réalités plus graves encore. La première d’entre elles est d’ordre idéologique. Le Président-technocrate montre ainsi son vrai visage, celui d’un homme croyant en la pensée magique mondialiste qui fait des militaires – et des autres – de simples serviteurs indifférenciés au service de l’orthodoxie libérale. Qu’importent les raisons et les besoins réels, c’est le tableau Excel du budget qui montre le Vrai et le Juste. Dans ce cadre, les premiers conseillers comme le Chef d’état-major des Armées en sont réduits au rôle d’exécutants serviles, loin de ce que devrait être leur mission première : aider les gouvernants à comprendre les méandres de l’univers militaire et à prendre les décisions idoines. 

La sortie d’E. Macron manifeste aussi, en creux, une vision idéalisée de la situation, dans laquelle la baisse des moyens n’aurait pas d’incidence sur les opérations en cours. Les militaires pourraient ainsi faire autant avec moins, sans prendre une minute en compte l’environnement qui les entoure, les évolutions de l’ennemi et la multiplication des menaces. Pour celui qui aime se faire appeler « le chef », la fin de Daech correspondrait à une ère de paix – ou de moindre conflit – sans vouloir accepter que notre monde est bien plus complexe et conflictogène qu’il y a quelques années. Les territoires faillis ou menaçant de le devenir se multiplient, les organisations terroristes islamistes se font plus dangereuses que jamais, le retour à une rhétorique de puissance de la part des grandes nations manifeste le retour de la géopolitique ; pendant ce temps les budgets peuvent baisser sans souci… Qu’importent les promesses de réévaluation de ceux-ci en 2018 et du mur des 2% en 2025, d’ici là l’orthodoxie économique saura se rappeler au bon souvenir des militaires et de ceux qui arbitrent les budgets.

Enfin, le Président ne s’en est pas pris qu’aux militaires, il a aussi attaqué directement la filière industrielle de défense, accusée de ne pas fournir les bons matériels au juste prix. La base industrielle et technologique de défense est le cœur de l’industrie française ; ou de ce qu’il en reste. La filière défense est également un pourvoyeur de nombreuses technologies duales pour l’aéronautique, les télécommunications, l’énergie ou d’autres, ainsi qu’un des principaux viviers de la recherche appliquée dans notre pays. En cassant là aussi le lien unissant le régalien à l’industriel, E. Macron prend le risque de fragiliser tout un secteur, employant directement ou indirectement plusieurs centaines de milliers de personnes. 

Cette double dynamique négative – visible et invisible – initiée par les mots durs, voire méprisants, d’un président à qui personne ne doit résister, laisse entrevoir les profondes lézardes de la défense. Or, dans un monde complexe, loin de la mondialisation heureuse prêchée dans les années 2000, la France est face à la nécessité de renforcer sa défense, pour elle-même ainsi que pour l’Europe. Face à la montée des périls et des menaces que la Revue Stratégique en cours d’élaboration ne manquera pas de relever, le lien entre les Armées, le politique, l’industrie et la Nation est vital ; pilier de la sécurité, il doit être la colonne vertébrale de la France de demain. 

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs

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