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Areva : les leçons à tirer d'un fiasco industriel qui menace jusqu'à EDF
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Dominos

Le ministre de l'Economie a dénoncé la gestion "scandaleuse" des "deniers publics" par le groupe, fleuron de l'industrie française.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Le nouveau Ministre de l’Economie, sans doute éloigné un temps des dossiers industriels, s’indigne sur le dossier Areva de la "gestion indigente des deniers publics." On ne peut que lui donner raison quand il compare l’impasse budgétaire actuelle avec les apports à réaliser …sans espoirs démesurés d’efficacité ! Mais il n’est pas si facile d’analyser les causes du mal et surtout d’y porter remède sauf à élargir le champ de réflexions en prenant de la hauteur par rapport à la simple gestion en parlant à la fois mauvaises habitudes et stratégie.

Pourquoi en sommes-nous venus à cette catastrophe technique, industrielle et financière ? En grande partie à cause de l’incompétence de l’Etat, incapable de prendre depuis vingt ans des décisions conséquentes et de choisir des dirigeants performants ! Manque de vision, manque de stratégie, erreurs de castings, abus de postures et de communications trompeuses, tout a conduit, et encore récemment à cette mauvaise utilisation de l’argent public. S’étant appuyé pendant l’après-guerre sur des Grands Corps de l’Etat, ingénieurs des Mines et Inspecteurs des Finances, et avec succès en ce qui concerne l’énergie, la collectivité nationale a cru pouvoir poursuivre avec le même type d’hommes, mais les temps avaient changé et il fallait des profils plus pointus,  moins conformistes, plus portés sur le risque, plus « techniques » , alors que ceux qui arrivaient se faisaient généralistes, arrogants et « communicants ». Ils, ou elles, se considéraient comme « sachant » et ils n’avaient plus l’aptitude de leurs anciens d’écouter tous les corps de métiers qui concouraient à bâtir l’édifice d’ensemble.Notre échec collectif est donc d’abord celui d’une caste, et c’est ce que j’appelle des « mauvaises habitudes ».

Plutôt que d’exiger une stratégie long terme avec des constructions de réacteurs échelonnées et donc un appareil industriel en fonctionnement régulier, les responsables de la filière nucléaire ont accepté un sommeil long, une veille inactive et douloureuse qui a conduit à l’extinction de certaines compétences et à la disparition de la motivation. Le virage du numérique, pris chez nos concurrents, en particulier russes, a été non seulement raté chez nous, mais ignoré ! Ce n’est pas la seule cause de nos échecs, mais c’est la principale et elle  exige de nous une transformation profonde de l’intégralité de notre potentiel industriel et de nos organisations. L’argent demandé pour combler les trous n’intègre pas encore cette dimension fondamentale qui conduit non à des sous-traitances après appels d’offres dispendieux en argent et en temps  mais à des partenariats choisis et désirés . Dans le monde de l’énergie, aussi, on est en train de changer de monde.

Mais pour arriver à remobiliser des milliers d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers français pour entreprendre les nouvelles générations de réacteurs et caréner les anciens, il faut redonner confiance à la filière nucléaire, à la filière énergétique, et arrêter de dire des bêtises pour plaire à une population qui n’y comprend plus rien.

La France dispose aujourd’hui avec son parc nucléaire existant de l’électricité la moins chère et la moins carbonée d’Europe. C’est un des points de compétitivité essentiels de notre pays. Fallait-il aller jusqu’à ce point de 75% de dépendance ? Je ne l’ai jamais pensé, mais c’est notre point de départ désormais. Nous allons donc rester, sauf disparition totale de notre économie, un pays producteur d’électricité nucléaire pendant des dizaines d’années, on ne revient pas sur un choix d’une telle ampleur d’un coup de baguette magique !

Mais la seule alternative réelle à une diminution de notre dépendance électrique au nucléaire est l’utilisation du gaz, hydrocarbure « fossile ». Le combat actuel contre le carbone qui conduit à vouloir éradiquer les fossiles est également idéologique et impraticable. Le véritable combat est celui d’abord de l’utilisation optimale des hydrocarbures avec la captation du maximum de gaz carbonique pour qu’il ne vienne pas polluer l’atmosphère. Arrêtons de considérer des sources d’énergie « bonnes » et d’autres « mauvaises » , cela dépend à la fois des circonstances de production et de consommation et des progrès scientifiques et techniques provoqués par les contraintes de l’économie et des réglementations. Qui va aller plus vite, le stockage électrique des énergies renouvelables intermittentes, le stockage du carbone, l’hydrogène ? Personne ne le sait et une stratégie conséquente est de ne pas insulter l’avenir en choisissant un « cheval » par idéologie »…et souvent pauvreté des vrais calculs qui n’intègrent pas les rejets de carbone de toute la chaine de production et de maintenance !

Pour remettre Areva en situation de redresser la barre et ainsi arrêter une hémorragie inefficace de l’argent public, il faut une politique de l’énergie apaisée qui accepte les forces et les faiblesses du nucléaire et qui accepte aussi que toutes les formes d’énergie, nucléaire, hydraulique, fossiles, renouvelables intermittentes puissent concourir à l’essor du pays et qu’il faille que les spécialistes travaillent à l’amélioration de leurs performances pour modifier  leurs faiblesses techniques et économiques bien connues.

Mais il est un point que les récentes postures n’ont pas évoqué, celui de la mondialisation de l’industrie ! Dire, par exemple, que dans vingt ans nous ne fabriquerons plus en France que des voitures électriques, c’est dire aussi que nous n’exporterons plus de voitures…en Afrique, par exemple, c’est donc dire à nos constructeurs de se préparer à construire toutes leurs usines ailleurs ! Dire que la recherche des énergies fossiles en France va être interdite c’est dire à tout le corps social technique pétrolier et gazier de se préparer d’urgence à l’expatriation, dire que l’on va réduire l’électricité nucléaire du pays, c’est dire qu’Areva pour survivre va devoir se lancer dans l’exportation de ses centrales…avec un soutien modéré de son pays d’origine, il vaut mieux se préparer encore à l’expatriation…Nous vivons dans un monde suffisamment difficile, il n’est pas forcément utile de se tirer systématiquement des balles dans le pied !

En tout état de cause la stratégie Areva qui avait voulu mêler les constructeurs de réacteurs et les spécialistes des combustibles et du retraitement, c’est-à-dire Cogema+Framatome, était une erreur stratégique…et financière. La volonté de vendre des réacteurs à l’étranger sans avoir de référent en France a conduit à la catastrophe de Finlande pour Areva et à l’échec des Emirats Arabes Unis en 2010 (commandes aux Coréens) . Il faudra que nous investissions de nouveau le marché extérieur et ceci ne pourra pas se faire avec une filiale de notre exploitant EDF . Jamais une société d’ingénierie multi-clients ne peut réussir à l’international en dépendant d’un actionnaire exploitant. Même s’ils sont éloignés géographiquement, les concurrents d’EDF ne commanderont jamais à une filiale d’EDF un réacteur. Ils exigeront par contre une proximité forte d’EDF ayant déjà expérimenté le matériel proposé. La démarche proposée par le gouvernement précédent est donc vouée à l’échec, c’est de l’argent public, il est encore temps de reculer, il faut une ingénierie réacteurs nucléaires autonome et compétente, nous sommes partis pour n’avoir aucune de ces caractéristiques essentielles pour le succès.

Je n’ai pas évoqué ici la pénible aventure britannique d’Hinkley Point, si nous ne sommes pas capables de choisir des gens compétents, d’utiliser rapidement les techniques de pointe à notre disposition, de définir une politique énergétique conséquente, de redonner confiance à une filière pour qu’elle revienne à l’excellence, à quoi bon traverser la Manche ? 

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