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Quand Pierre Schoendoerffer rendait hommage aux soldats appelés en Algérie
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L’Honneur d’un capitaine

Pierre Schoendoerffer est décédé mercredi matin près de Paris. Soldat mais aussi créateur, quelle relation ce cinéaste entretenait-il avec l'histoire ? Retour sur le film "L’Honneur d’un capitaine", à travers le livre de Bénédicte Chéron "Pierre Schoendoerffer : Un cinéma entre fiction et histoire". Extraits.

Bénédicte Chéron

Bénédicte Chéron

Bénédicte Chéron est diplômée de Sciences Po Paris, docteur en histoire et a soutenu sa thèse sur le cinéma de Pierre Schoendoerffer.

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Vingt ans après les accords d’Évian, Pierre Schoendoerffer décide de réaliser L’Honneur d’un capitaine. Cette fois-ci, c’est au cœur de la polémiquequi entoure l’action de l’armée en Algérie que Pierre Schoendoerffers’attaque. Le film sort en 1982. C’est aussi l’année de la découvertedu charnier de Kenchela : 1 200 cadavres d’hommes, defemmes et d’enfants sont déterrés sur le site d’un ancien campmilitaire français en Algérie. Le gouvernement algérien accuseimmédiatement l’armée française.

Quelques rares voix évoquentla possibilité que des harkis aient été sommairement exécutés avecfemmes et enfants par le FLN mais ne trouvent pas de relais efficacespour enquêter. Pierre Schoendoerffer se prononce : « L’arméene tue pas délibérément des femmes et des enfants. Cela peut biensûr arriver lors de bombardements, mais dans le cas de Kenchela,je ne peux pas le croire. Je pense que ce sont des harkis qui ontété exécutés par le FLN [1] ». Au moment où sort L’Honneur d’un capitaine, l’histoire de la guerre d’Algérie est un terrain brûlant.

L’intention du cinéaste : porter la torture à l’écran

Dans L’Honneur d’un capitaine, c’est d’abord de la torture qu’ils’agit, même si, lors d’une émission de télévision réalisée pendantle tournage, Pierre Schoendoerffer affirme faire un film sur les appelés [2].Dans un entretien accordé aux Nouvelles Littéraires, il explique : « Cela faisait très longtemps que je ressentais l’envie et le besoin de faire ce film, mais je ne trouvais pas le biais adéquat.Le déclic a eu lieu quand j’ai eu l’idée du procès. Et puis, réalisant que peu de gens – surtout les jeunes – savaient ce que fut la guerre d’Algérie, j’ai eu l’idée de la femme de Caron, cette femme qui ne connaît rien à la guerre, et ne connaît pas non plus très bien son mari, avec lequel elle n’a vécu que quelques mois ».


L'Honneur d'un Capitaine (trailer) Schoendoerfferpar henrisalvador


Pierre Schoendoerffer a peiné à mener son film à bien : Caroline Babert, journaliste au Matin, le décrit, à la fin de ce tournage comme « fatigué, épuisé, tel le coureur qui vient tout juste de passer la ligne d’arrivée et à qui on demande encore de commenter la course [3] ». Pierre Schoendoerffer, lui, dit : « L’Honneur d’un capitaine ? Vingt ans de ma vie et deux ans de travail acharné ! ». La torture est un sujet trop compliqué, l’action de l’armée entre 1954 et 1962 un thème trop sensible. Mais il veut quand même témoigner : « Il y a des squelettes dans les placards, oui, mais, ajoute-t-il, les Américains sont capables d’entendre leurs quatre vérités sur le Vietnam, pourquoi pas nous ? [4] ».

« La vérité est plus ambiguë, plus contradictoire, moins schématique qu’on nous l’a souvent montrée, en somme plus humaine. Non, les choix ne se font pas, ne se sont pas faits entre le Bien et le Mal… À un moment en Algérie, l’heure n’était plus au dialogue mais aux armes. Sur les terrains, les soldats ont dû trancher dans le vif. Je les montre empêtrés dans cette guerre, je dis seulement : voilà comment ça s’est passé [5] ». À la sortie du film, le cinéaste insiste beaucoup sur cette question du choix entre le bien et le mal dans le contexte de la guerre d’Algérie, mais aussi, plus largement, dans l’histoire chaotique des peuples. Il précise : « Pour moi, la guerre d’Algérie est un déchirement et un gaspillage d’amour. Beaucoup de ces camarades anonymes sont morts par amour et non par haine, et ce terrible acte d’amour, des deux côtés, s’est terminé dans la boue [6] ».

Pierre Schoendoerffer l’affirme : il ne veut pas faire l’apologie d’un camp contre un autre. « Je m’implique autant dans les thèses du professeur Paulet, qui accuse le capitaine d’être un tortionnaire, que dans la thèse adverse. Paulet, pour moi, c’est Antigone, il représente des valeurs fondamentales auxquelles je crois et qui sont essentielles.Le capitaine Caron, lui, est Créon. Et des Créon il nous en faut [7] ». Il reconnaît cependant sa plus grande proximité avec le camp français : « Je suis du côté du capitaine aussi, il ne faut pas l’oublier, d’ailleurs le titre, c’est L’Honneur d’un capitaine, ce n’est pas l’honneur du professeur Paulet, c’est l’honneur du capitaine[8] ».


L'Honneur d'un Capitaine (making of)...par henrisalvador

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Extraits de Pierre Schoendoerffer : Un cinéma entre fiction et histoire, CNRS (23 février 2012)



[1] Article de Jean-Charles Lajouane, Les Nouvelles littéraires, 7/10/1982.

[2] Archives INA, Tournage du film « L’Honneur d’un capitaine », Collection : IT1 20H, Chaîne : 1, Date de diffusion : 20/03/1982, Heure de diffusion : 20:00:00.

[3] Article de Caroline Babert, Le Matin, 29/09/2008.

[4]Ibid.

[5] Article de Caroline Babert, Le Matin, 29/09/2008.

[6] Article d’Anne de Gasperi, Le Quotidien de Paris, 29/09/1982.

[7] Article de Jean-Charles Lajouane, Les Nouvelles littéraires, 7/10/1982.

[8] Archives INA, Extrait film : L’Honneur d’un capitaine, Collection : Midi 2, Chaîne : 2, Date de diffusion : 25/09/1982, Heure de diffusion : 12 :57 :00.

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