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Quand les travailleurs sociaux se retrouvent face à un débat opposant la laïcité à la liberté d’expression et à la liberté individuelle.
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Bonnes feuilles

La laïcité, indissociable d'une liberté intime, se construit toujours dans un cadre collectif. Cette liberté, aucun professionnel de l'action éducative et sociale ne peut se dispenser de la penser. Peut-on grandir, évoluer et s'émanciper sans que soit garantie la liberté de conscience ? Extrait de "Laïcité, émancipation et travail social" de Guylain Chevrier, aux éditions L'Harmattan. (2/2)

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Laïcité, établissement et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et travail social.

La laïcité n’est pas l’anti-religion, ni la confusion entre les espaces publics et privés. Il est essentiel de répéter ces notions. En effet, les professionnels que je rencontre sur la question de la laïcité sont souvent embarqués sur un débat opposant la laïcité à la liberté d’expression et à la liberté individuelle. Ces confusions empêchent d’identifier de façon distanciée et réfléchie la meilleure façon de gérer ces enjeux. Par conséquent, un double problème est posé à l’encadrement avec, d’un côté, le respect du droit des usagers garantis par la loi de 2002 et, de l’autre, la gestion des professionnels dans leur rapport à la question du religieux. J’ai été confronté, dans un établissement où j’exerçais, à des problèmes de prosélytisme. Des pratiques religieuses s’installaient et certains adultes s’appuyaient sur leur confession pour faire adhérer à leurs croyances certains jeunes en difficulté.

Nous avons alors travaillé sur le strict respect de la neutralité. En tant qu’employeurs, nous devons conduire simultanément l’offre de services proposés à l’usager et l’exercice du contrat de travail. Cet exercice doit prendre en compte le respect de la neutralité. Par conséquent, un professionnel ne doit pas rompre sa neutralité vis-à-vis de l’usager dans le cadre de l’exercice du contrat de travail.

On évoquait précédemment l’assignation. J’estime que nous n’avons pas à rentrer, en tant que professionnels, dans une relation d’assignation avec l’usager. Ce dernier doit conserver à tout moment son libre arbitre, et décider de sa destinée. En marquant par un signe ostentatoire notre confession, nous rompons, par principe, la stricte relation de neutralité.

Par ailleurs, cette relation de neutralité peut se traduire dans un règlement intérieur. En effet, lorsque j’ai saisi le Conseil d’administration de l’association pour le problème de prosélytisme évoqué précédemment, j’ai indiqué au président qu’une affirmation des valeurs de laïcité n’était pas suffisante.

En outre, il faut vérifier que la notion de laïcité est présente dans les statuts de l’association. Sans son inscription dans les textes, les discussions se limitent à un débat de valeurs, et la légitimité à intervenir sur cette question n’est pas fondée. Deuxièmement, j’ai également précisé au président que nous étions des délégataires de la fonction employeur et nous ne pouvions pas rester sur un simple débat entre convictions laïques et religieuses.

Nous avons donc travaillé sur une Charte de la laïcité. Celle-ci fixe le cadre de référence dans lequel doit s’exercer la mission d’intérêt général dont nous sommes porteurs.

Nous avons également révisé notre règlement intérieur, qui fixe le cadre de l’exercice du contrat de travail entre l’employeur et le salarié. L’objectif est d’empêcher que l’usager soit assigné à une démonstration religieuse, philosophique ou politique. J’ai donc essayé de me démarquer du débat sociétal pour me concentrer sur le débat professionnel. Ces éléments me semblent essentiels pour les associations. Comme l’ensemble de la société, elles sont de plus en plus confrontées à des questions d’emprise du religieux.

En tant que citoyen, je considère que le religieux relève de l’espace privé. En tant que professionnel en charge d’une collectivité de professionnels dont la mission principale est l’intérêt général, j’estime qu’à aucun moment, un agent ne peut placer l’usager dans une relation qui romprait la stricte neutralité. Celle-ci permet la liberté de conscience et d’expression de l’usager. Or, le libre arbitre de l’usager doit guider notre travail afin qu’il accède à sa place de citoyen, à sa dignité et à sa responsabilité.

Concernant les relations qu’entretiennent travail social et laïcité, par-delà les définitions, je souhaite également faire avancer le débat sur le plan jurisprudentiel. Nous avons décidé de ne pas laisser ce sujet à l’abandon, car nous devons clarifier les choses.

Quelle est la place du religieux dans la société ? Nous avons été fermes sur cette question dans le passé, mais nous devenons de plus en plus faibles. Il s’agit, pourtant, d’une question de société fondamentale. Nous avons un rôle à jouer en tant que corps intermédiaires de poser des débats qui feront évoluer la loi. Si les corps intermédiaires ne posent pas ces questions, personne ne le fera.

S’agissant de la laïcité, avancer le mot de la fin reste une gageure.Toutefois, il me semble indispensable de poser le débat dans destermes raisonnés. Je pense que derrière la question de la laïcité secache un véritable problème de société. De mon côté, je demeure trèsattentif à ce que le religieux reste dans l’espace privé, en particulierdans la relation du professionnel à l’usager. Il s’agit de la garantie desfondements de notre vivre-ensemble c’est-à-dire de la démocratie.

Gilles Bouffin,ancienDirecteur général de l’association Moissons Nouvelles[1]


[1]Cette association travaille dans la protection de l’enfance, dans le secteur médico-social et dans l’inclusion d’adultes en très grande précarité.

(...)

Laïcité et droit des femmes

La laïcité est un principe constitutionnel de séparation entre l’Etat et l’Eglise garantissant la liberté de conscience, l'égalité des citoyen.ne.s, croyant.e.s ou non, la liberté de culte dans les lieux dévolus à cet effet, l'accès à une éducation neutre et républicaine, hors de tout dogme, ce qui permet à chacun.e de se forger une conviction en toute indépendance d'esprit.

Quel rapport avec l’égalité femmes/hommes ?

A priori, aucun. D’ailleurs, lorsque la France s’est dotée de la loi de 1905 les femmes n’avaient même pas le droit de vote, il leur faudra lutter encore pendant près d’un demi-siècle pour l’obtenir. La laïcité s’accommodait donc de l’exclusion de la citoyenneté d’une moitié de la population adulte : les femmes. Et pourtant, la laïcité est bien un principe émancipateur majeur pour les femmes

Pour le comprendre, il faut d’abord faire un détour par le passé. L’objectif n’est pas ici de de nous attarder sur l’histoire de la laïcité, des ouvrages spécialisés existent sur le sujet (1) (2). Notre propos est de montrer que le combat le plus difficile, jamais réellement gagné, est celui mené contre l’obscurantisme véhiculé par les religions. Or c’est dans ce dernier cadre que se situe la question du rapport entre religions et droit des femmes, et donc entre laïcité et droit des femmes.

Les origines de la séparation

  1. Trois facteurs principaux sont entrés en jeu pour justifier la mise à l’écart du religieux par rapport aux affaires de l’Etat : en premier lieu des conflits de pouvoir entre le clergé et les puissances temporelles, ensuite l’émergence de nouvelles religions, enfin l’exigence de liberté d’expression de la part des penseurs – philosophe, scientifiques, etc.-  confrontés à l’intangibilité des dogmes religieux.

Premier facteur: l’interférence du pouvoir religieux avec le pouvoir temporel. Très tôt dans l’histoire de France, les rois pourtant très croyants, manifesteront leur volonté d’indépendance vis-à-vis du pape qui dispose d’une véritable autorité transfrontière et d’une arme efficace : la menace d’excommunication.

Quelques dates clés : 1438, Charles VII, promulgue la  Pragmatique sanction de Bourges, dénonçant dans son préambule les abus de la papauté, obtient de recommander ses candidats aux élections épiscopales et restreint les effets de l’excommunication. 1516 François 1er signe avec le pape le Concordat de Bologne par lequel le roi est reconnu comme le véritable maitre de l’Eglise de France.

Un autre « Grand » de cette époque, le roi d’Angleterre Henri VIII, ira plus loin en s’autoproclamant « chef de l’Eglise et du clergé  d’Angleterre ».

En France, la rupture – encore plus radicale- intervient plus tard, avec la Révolution de 1789 en mettant fin aux privilèges du clergé. Quant à Napoléon, s’il pacifie les relations avec Rome en signant la Concordat de 1801, ce sera en posant comme exigence de composer un épiscopat conforme à ses volontés. Il faudra encore du temps pour que le pouvoir politique choisisse la voie de la séparation plutôt que celle du contrôle de la religion avec la loi de 1905.

Conclusion : les hommes de pouvoir ne  s’embarrassent pas de scrupules quand il s’agit de limiter le champ d’action des religions.

Annie Sugier,Présidente de la Ligue du Droit International des femmes. Comité Atlanta.

Extrait de "Laïcité, émancipation et travail social" de Guylain Chevrier, aux éditions L'Harmattan.

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