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Vous pensiez que cette année électorale intense s'était jouée autour de May, Trump ou Macron ? Voilà pourquoi les fantômes de Thatcher, Reagan ou Mitterrand ont largement dessiné les résultats des scrutins d'aujourd'hui
©AFP

Politique

Entre la fin des années 70 et le début des années 80, la victoire de Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont entraîné le monde anglo-saxon dans ce qui a été appelé le virage néolibéral. Au même moment, François Mitterrand arrivait au pouvoir en France en amorçant une politique ​peut être contradictoire, entre tournant de la rigueur et préservation du modèle social.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : ​ Entre la fin des années 70 et le début des années 80, la victoire de Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont entraîné le monde anglo-saxon dans ce qui a été appelé le virage néolibéral. Au même moment, François Mitterrand arrivait au pouvoir en France en amorçant une politique ​peut être contradictoire, entre tournant de la rigueur et préservation du modèle social. Dans quelle mesure les résultats des élections 2016-2017, au sein des différents pays évoqués, peuvent ils être expliqués par ces différentes dynamiques ?

Mathieu Mucherie : Il serait tentant d’y voir un chiasme : le monde anglo-saxon conservateur & libéral qui passerait au populisme (Trump, Corbyn, Sanders), au moment où la France social-clientéliste passerait à un modèle plus ouvert, plus moderne. Je n’y crois pas trop. Tout d’abord, les faits.

Si Theresa May n’est effectivement pas très brillante, si elle ne boxe pas dans la même catégorie que Margaret Thatcher, elle n’a pas encore perdu contre Corbyn. Ce dernier est hallucinant : lui qui est rouge de chez rouge, au moment de l’attentat pendant la campagne, il a reproché aux conservateurs d’avoir supprimé des postes de policiers. Comprenne qui pourra. A mon époque, les gens de gauche avaient au moins le mérite d’être plus cohérents et plus dignes ; passons. En tous les cas, l’héritage libéral et conservateur est encore là ; on n’imagine pas un retour du closed shop et des mines subventionnées, et le Brexit pourrait même inciter à de nouvelles libéralisations, par exemple pour garder toute la finance à la City.        

Aux USA aussi le climat politique se dégrade mais il ne faudrait pas en conclure trop de choses à ce stade. C’est surtout la dégradation du débat intellectuel qui me frappe, notamment dans mon domaine, la politique monétaire, quand je vois la FED de Yellen c’est très net ; ils viennent tout de même de monter les taux en référence à une « courbe de Phillips » imaginaire, mais passons. Je me suis déjà exprimé sur Trump dans ces colonnes, je ne veux pas minimiser le phénomène, c’est la première fois qu’un populiste arrive à ce niveau de pouvoir ; mais tout de même : il y a une dimension « accident ». Trump n’avait pas gagné le vote populaire, il ne semble pas pouvoir faire grand-chose avec un Congrès divisé, avec les juges, etc. Ses projets protectionnistes ne passent pas, le gros de son programme de malade est déjà enterré. Au rythme où vont les choses depuis 6 mois, on n’est même pas sûr qu’il termine son mandat. Avec un peu de chance, ce sera une parenthèse, et ensuite un tabou ; ce n’est pas gagné tout de même, car cette élection aura été assez révélatrice de la faiblesse des deux partis, et au fond de toute une société incapable de limiter la démagogie et la ploutocratie.  

La France de son coté ne change guère, et l’élection de Macron doit elle aussi beaucoup au hasard. Le candidat de la droite englué dans une affaire au pire moment. Le FN qui ne veut manifestement pas du pouvoir (cf Le Pen lors du débat télévisé de l’entre-deux tours). Le PS au stade terminal. Bayrou qui décide de ne pas y aller au dernier moment, persuadé qu’il pourra faire chanter le futur président, et qui libère ainsi quelques points précieux au centre, etc. Et après ? je ne vois rien d’une révolution libérale pour les 100 premiers jours : on se dirige vers un tripatouillage des règles fiscales et sociales, une fois de plus, avec quelques réformettes sur le marché du travail (pour plaire aux allemands) ; franchement pas de quoi inverser les tendances politiques de l’occident.  

Edouard Husson : Ce qui se passe au début des années 1980 est un peu plus complexe: Mitterrand arrive au pouvoir à la tête d'une coalition socialiste et il nationalise un certain nombre d'entreprises et de banques. Puis, deux ans plus tard, il amorce un tournant néo-libéral. A l'inverse, Reagan baisse les impôts, certes, en coupant largement dans les dépenses sociales; mais il relance l'économie par les dépenses en matière militaire. En fait, la comparaison avec les Etats-Unis est toujours biaisée par le fait que, possédant la monnaie de réserve du monde, ils peuvent se permettre un déficit budgétaire que ne peut se permettre aucun autre pays occidental. Le contraste apparaît vraiment entre la France et la Grande-Bretagne. Margaret Thatcher et François Mitterrand arrivent au pouvoir, respectivement, en 1979 et en 1981, avec des programmes économiques opposés: le second veut appliquer le socialisme que la première a juré de briser. Ensuite, quand Mitterrand abandonne le programme commun, il subsiste une différence énorme entre les deux pays: la France a fait le choix d'une politique de changes fixes et la Grande-Bretagne d'une politique de changes flottants. 

Pour autant, je ne pense pas que l'on puisse tirer des conclusions pour ce qui se passe trente-cinq ans plus tard. Il s'est produit tellement de bouleversements depuis les années 1980: ouverture des économies communistes, réunification de l'Allemagne, mise en place d'un libre-échange très poussé, avancées de la troisième révolution industrielle etc....En revanche, on remarque, à nouveau, un contraste saisissant entre la France et la Grande-Bretagne: un peu comme François Mitterrand avait fait une surenchère en matière de politique "travailliste" alors que la Grande-Bretagne décidait de revenir au libéralisme économique, nous avons aujourd'hui Macron qui promet, au nom de la France, à contretemps, une nouvelle piqûre de néo-libéralisme alors que la Grande-Bretagne décide de revenir à une politique de protection économique de la nation.

En tirant les leçons du passé, et en observant les nouvelles dynamiques existantes au sein de ces pays, entre monde anglo saxon et europe continentale, que peut on anticiper pour l'avenir ? 

Mathieu Mucherie : « Le phénomène de la décadence est la conclusion finale de la maturation historique » (Cioran).

Commençons par le socle commun à tous ces pays. Une poursuite du mouvement de dépolitisation. Toujours moins de conscientisation. Plus de rotation médiatique. Et donc toujours moins de « professionnels » de la politique.

Les électeurs se font plus rares et accordent de moins en moins d’importance à la chose politique car la variance possible des politiques publiques se réduit considérablement. Se déplacer ou participer pour savoir qui va baisser les charges de 2,5 points en compensant cela par une hausse de CSG de 1,7 point (c’est le programme de Macron, dans la droite ligne de TOUTES les politiques hexagonales depuis 1992, tiens tiens, comme par hasard, l’année de la ratification de Maastricht qui sacrait l’indépendantisme des banquiers centraux…), ce n’est pas très excitant ; rien à voir avec 1958 ou 1981.

Ensuite, les différences. J’ai du mal à m’en faire pour le Royaume-Uni, à condition du moins qu’il reste uni. Le Couronne va une nouvelle fois exercer un rôle bénéfique. Comme les contre-pouvoirs sont bien posés, et comme ils ont eu le bon goût de garder le contrôle de leur monnaie, ils devraient pouvoir traverser cette crise du politique sans trop de dégâts. Je m’en fais un peu plus pour les américains. Washington est pourri, a fortiori après plusieurs mauvais locataires à la maison blanche. Les pouvoir locaux vont une nouvelle fois aider à passer le cap, en attendant qu’à l’échelon fédéral le casting s’améliore. Tout cela ressemble à l’empire romain, qui pouvait se permettre plusieurs mauvais empereurs consécutifs (cela s’est tout de même mal terminé). La France est dans une situation plus problématique, même si à court terme elle donne le change. Elle suit l’Allemagne qui ne suit que ses intérêts, dans le cadre d’un currency board pompeusement nommé monnaie unique. Ses contre-pouvoirs sont hautement insuffisants, et la concentration vient encore d’être renforcée. Le pire c’est qu’il faut désormais souhaiter un relatif succès à Macron, de peur qu’on ne rechute très bas cette fois. Il aura donc vraiment réussi son hold-up, et on saura bientôt si la France en marche va quelque part ou si elle s’est une nouvelle fois agitée sans direction ni signification.

Edouard Husson : Dans la première moitié des années 1980, nous avons une séquence en deux temps: Mitterrand essaie une politique de relance et de patriotisme économique, comme un dernier soubresaut de la politique héritée de la 1945 et des Trente Glorieuses; puis il se rallie au néo-libéralisme, dans la version allemande. Peut-on imaginer que Macron, au bout de deux ans, constatant que sa politique économique a échoué, se rallie à une politique néo-protectionniste? Cela n'est pas impensable. Les événements vont très vite et une nouvelle crise financière et monétaire est annoncée par certains dans les dix-huit mois qui viennent.

Confrontée à Trump et au Brexit, Madame Merkel semble commencer à explorer la possibilité d'une réconciliation avec la Russie. C'est peut-être le prélude à une politique plus tournée vers l'Asie et donc plus propice aux investissements en Europe. Or il y a au moins un point commun entre Macron et Mitterrand, c'est l'idée que l'on n'avance pas sans l'Allemagne. Il est certain, dans tous les cas, que l'on va vers une crise du modèle européen mis en place depuis les années 1980. La France a réussi, tant bien que mal à préserver une forme de paix sociale - maia au prix d'un chômage élevé et d'une hypertrophie des emplois publics. Cela n'a été rendu possible que parce que les marchés tolèrent une dose de laxisme français quand ils la refusent dans le cas des pays d'Europe du Sud et parce que l'Allemagne tolère la politique de "quantitative easing" de Monsieur Draghi en se disant qu'elle aurait plus à perdre si l'euro éclatait. Cependant, si la zone euro entrait dans une nouvelle turbulence ou si même elle éclatait, le plus probable serait un raidissement de la politique allemande et donc, par mimétisme, de la politique française. J'ai donc du mal à croire à un abandon rapide du néo-libéralisme par la France. 

Que peut on apprendre de ces différents résultats concernant l'efficacité des différents modèles ? Quels sont les offres politiques permettant la plus grande stabilité politique ? 

Edouard Husson : Rien n'est simple à comparer parce que le désordre monétaire international crée des distorsions importantes. Les Etats-Unis se permettent, depuis quatre décennies, de défier toutes les lois de la pesanteur économiques parce que leur monnaie, au potentiel hyperinflationniste, est la monnaie de réserve d'une grande partie du monde et que le déficit américain a longtemps été le moteur de la croissance mondiale. De même, on peut bien faire l'éloge d'un "modèle allemand" mais qu'en serait-il sans l'euro, qui a permis à la République Fédérale d'Allemagne de s'éviter toute concurrence monétaire de la part de ses voisins européens, un avantage énorme dans un monde de changes flottants, surtout si vous êtes entrés dans la monnaie unique à un taux sous-évalué? Il serait en outre plus intéressant, pour comprendre les dynamiques, de comparer des pays de culture proche pour voir quels enseignements en tirer: l'Australie, le Canada et les Etats-Unis, par exemple. Il est utile aussi de se concentrer sur les petits pays, qui ont mieux réussi, ces dernières années, à faire des réformes d'envergure: pensons à l'Europe du Nord ou à l'Europe Centrale (Autriche, République tchèque). On peut aussi choisir d'élargir le spectre des éléments à comparer: le dynamisme démographique se retrouve aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France: trois pays qui connaissent depuis un an des soubresauts politiques - on peut analyser le "raz-de-marée" d'En Marche comme une forme d'instabilité politique au même titre que le résultat de l'élection britannique du 8 juin dernier - comme s'ils ne se résignaient pas au statu quo économique et social tandis qu'au contraire l'Allemagne, pays vieillissant,  va réélire la très usée Madame Merkel. 

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