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 Hellfest : eh oui... le heavy metal adoucit les moeurs et c'est la science qui le dit
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Satan, sors de cette guitare

Pendant trois jours, des dizaines de milliers de fans de heavy métal viennent célébrer ce genre musical au Hellfest à Clisson (Loire-Atlantique). Cette communauté à la réputation sulfureuse est pourtant bien éloignée des clichés qu'on veut bien lui prêter.

Gérôme  Guibert

Gérôme Guibert

Gérôme Guibert est maître de conférences en sociologie à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, UFR Arts & Médias, département ICM. Il est chercheur au laboratoire Irmeccen (EA 1484). Il est en outre directeur de la publication de la revue Volume ! revue de recherche sur les musiques populaires. Il a dirigé en 2006 le numéro de cette revue consacré aux « scènes metal », https://www.cairn.info/revue-volume-2006-2.htm.

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Atlantico : Une étude  faite par des chercheurs de l'université de Queensland en 2015 tend  démontrer que la musique punk et métal avait tendance à calmer et à rendre heureux ceux et celles qui l'écoutent. Pour vous-est-ce que la musique métal pourrait servir de catharsis ? 

Gérôme Guibert : C'est un peu plus compliqué même si ce phénomène rentre dans le processus. Ce qu'il faut d'abord comprendre c'est que cette musique s'adresse à une minorité de convertis. La plupart des gens se sentent agressés par la musique métal, tant par la musique que ses illustrations. Toutefois il y a une partie des gens qui sont sensibles à cette musique. Ce qui ressort des entretiens menés avec ces personnes, ce sont des termes récurrents, comme l’écoute du metal permet de "se sentir vivre", de "recharger les batteries" "ça donne de l'énergie…". Au final cette musique permet à ces auditeurs de lutter contre la "violence" de la vie réelle, des rapports au travail, des rapports sociaux… D'une certaine manière le métal apparaît comme une soupape de décompression.

Les gens qui sont sensibles à cette musique souvent ne tombent pas directement dedans. C'est un processus.  Ils apprennent à négocier cette "agression" sonore et à la transformer en une sorte de passion. Mais comme c'est une minorité de personnes qui aiment le métal et l'utilisent comme "remède" face à l'hostilité de la vie quotidienne, d'une certaine manière il y a un lien qui s'établit entre ces gens-là. Comme ils sont minoritaires, d'une certaine manière ils ont un lien plus fort entre eux. C'est une communauté qui se reconnaît autour de l'amour pour la musique. Le reste est secondaire, il ne rentre pas primordialement en compte. Le sexe, l'âge, la religion, les catégories sociales, la provenance géographique, tout cela n'est pas un frein et d'une certaine manière ne est relativisé au sein de cette communauté par rapport à l’adhésion à la musique metal. 

Ce qui révulse les gens qui n'aiment pas cette musique c'est notamment le côté violent, transgressif. Dans le métal et surtout dans le métal "extrême" on pousse les limites du tolérable en s'essayant à des thèmes très sombres. Et c'est là qu'intervient la notion de catharsis qui peut permettre d'expliquer les résultats de cette étude. Le "métalleux" exprime ses pulsions négatives dans la musique pour ne pas y succomber dans la vie réelle. C'est, selon mon interprétation, un élément d'explication au fait que ceux qui partagent un attrait pour le métal sont si éloignés dans leur comportement des clichés de violence et de sauvagerie qu'on veut bien prêter à cette culture.

Est-ce que vos travaux sur le terrain ont tendance à corroborer cette idée d'une communauté apaisée bien éloignée des clichés que l'on veut bien lui prêter ? 

J’ai déjà en partie répondu. C’est pourquoi je vais plutôt préciser mon explication. D'abord chacun se construit sa propre perception du métal, sa « généalogie imaginaire » des groupes aimés. Il y a une multitude de courants que les gens n’aiment ou n'aiment pas, même si quelques groupes trouvent globalement l'approbation de tous.

Le Hellfest est le festival œcuménique de la culture métal. Il va y avoir un peu tous les courants qui sont représentés tant au niveau des artistes qui se produisent que des personnes qui s'y retrouvent. Comme dit précédemment c'est une communauté qui se retrouve autour de l'amour pour la musique et où règne une grande tolérance. Pour illustrer mon propos, on peut prendre l'exemple de Rob Halford, le chanteur de Judas Priest.  A un moment au début des années 90, il avait quitté le groupe n'osant pas avouer son homosexualité et il pensait que les gens ne comprendraient pas cette différence car le milieu du métal apparait très hétéronormé, voire mysogine (il suffit de regarder les pochettes de Manowar ou de Kiss, sans parler de Belphegor ou Cannibal Corpse). C'est vrai d'ailleurs, c'est un milieu qui peut avoir cette culture du mâle dominant, de la glorification de la force physique… Toujours est-il que lorsqu'Halford a fait son coming out et qu'il est revenu sur scène au sein du même groupe, il a été acclamé par l'ensemble des fans, parce qu’il était metalleux.

Quel regard peut-on porter sur les jeunes qui écoutaient de la musique métal dans les années 80 ? S'en sont-ils mieux sortis globalement que les autres ?

Il n'y a pas eu d'études longitudinales mais il y a eu des enquêtes ponctuelles, des sondages à diverses périodes temporelles. On peut regarder la part des gens qui écoutaient du heavy metal il y a dix ou  vingt ans par rapport à aujourd'hui par exemple.

D'abord il faut comprendre que les premiers auditeurs du métal étaient majoritairement issus des classes populaires, c’est au moins ce qu’en disent les premiers chercheurs en siences sociales tels que Deena Weinstein ou Will Straw. Au départ, les gens qui écoutaient du métal étaient issus du milieu ouvrier. Dans les années 70, il est une réponse du milieu prolétaire aux cols blancs qui étaient plutôt hippies. Au début, le métal est plus une composante d'adolescents qui habitent dans les banlieues des grandes villes, qui achetaient leurs disques dans les zones commerciales des péripheries des grandes villes et fréquentaient les magasins de jeux d’Arcane (flippers, jeux vidéos). Au début, on trouvait un côté "misérabiliste" à ces jeunes qui écoutaient du métal. Beaucoup de papiers de la revue RocknFolk abordaient le hard rock et le heavy metal ce point de vue-là. Selon eux, c’était une musique caricaturale qui plaisaient aux plus jeunes, avec un son très fort et une mise en scène spectaculaire qui « les aliénaient ». Il s'agissait d'un discours très répandu de l'époque. Beaucoup d'enquêtes universitaires de psychologie furent réalisées à compter de la fin des années 1970, et les problématiques étudiées étaient souvent les suivantes : "quelle problème faut-il avoir pour écouter du métal?", ou à l'inverse, "Quels pathologie(s) engendre le fait d'écouter du métal ?" Avec des réponses qui allaient des tendances suicidaires aux envies de meurtre.

Evidemment ce raisonnement ne tenait pas debout. Au contraire, les enquêtes d'aujourd'hui en prennent le contrepied total. Selon les données statistiques, la part des catégories socio-professionnelles supérieures est en augmentation chez les fans de métal. Il s'agit souvent de gens dont les parents étaient issus des milieux populaires ou des classes moyennes qui ont bénéficié d'une ascension sociale. Le métal n'a pas un rôle perturbateur dans l'inscription sociale des jeunes qui l'écoutent. En général, il structure plutôt les parcours de vie. On peut localiser un moment au cours duquel un tournant s’opère dans la perception symbolique du metal, il s’agit de la fin des années 90, au moment ou d’anciens adolescents fans de metal commence à occuper des positions professionnelles importantes, mais aussi au moment où des artistes et acteurs culturels reconnus avouent avoir écouté de la musique metal dans leur jeunesse et l’assument, comme je l’ai montré dans un article de 2011. 

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