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Les Républicains peuvent-ils encore faire quelque chose pour générer un sursaut en leur faveur dans l’entre-deux-tours ?
©Reuters

Dernière ligne droite

Il reste une semaine à la droite pour essayer de remobiliser ses électeurs. Même si les chances de réussite paraissent infimes, les propositions ne manquent pas

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que la droite est en passe de réaliser on plus mauvais score législatif de la Ve République, quelle pourrait être la recette pour remobiliser son électorat dans l'optique du second tour ? Comment affirmer une ligne suffisamment "différenciée" de celle d'En marche, pour restructurer cet électorat ? 

Edouard Husson : Remobiliser l'électorat de la droite suffisamment pour dépasser la barre des 150 députés est une mission impossible. L'Etat-Major de la droite modérée est trop profondément démobilisé. Il faut d'abord se demander pourquoi. Après tout,  François Fillon a talonné Marine Le Pen à l'issue du premier tour. L'humiliation de la défaite était réelle mais Fillon en a rajouté en appelant, moins d'une heure après les résultats, à voter Macron. Il n'est pas responsable de la défaite cuisante de la droite aux législatives parce qu'il a perdu la présidentielle mais parce que, n'étant pas présent au 2è tour, il a décrété que son parti ne devait pas peser sur le scrutin. Résultat, alors qu' En Marche ne baisse que légèrement par rapport au 1er tour de la présidentielle, rapporté au nombre d'inscrits (passant de 18,5 à 16%), les Républicains passent de 15,5 à 10,5 % des électeurs inscrits. Je ne porte aucun jugement de valeur: Monsieur Fillon était certainement convaincu, devant sa conscience, qu'il fallait faire barrage à Marine Le Pen, y compris en excluant la possibilité, pour ses électeurs, de choisir librement leur vote; mais dans le langage de Machiavel, on constatera que le Prince a tiré les conséquences logiques du ralliement de Fillon en accolant les deux lettres LR à l'acronyme EM. LREM peut se déchiffrer "Les Républicains avec Emmanuel Macron". C'est ainsi que l'ont compris Edouard Philippe et Bruno Le Maire et beaucoup d'autres. Alors peut-on inverser la tendance dans les quelques jours qui nous séparent du second tour? Evidemment non. Livrons-nous pourtant à l'exercice pour mieux comprendre tout ce qui manque à la droite. 

1. Il faudrait trouver un slogan mobilisateur qui fasse sortir du piège lié au nom "Les Républicains", désormais confisqué par Macron. Il y a bien deux mots qu'il faudrait réhabiliter en profitant de l'effondrement du Front National (qui a chuté, depuis le premier tour de la présidentielle, de 16 à 7% des suffrages): il s'agirait de mobiliser autour de LA DROITE. Depuis 1983, le Front National a largement occupé le terrain et prétendu incarner la vraie droite. Puisque voilà le parti de Mme Le Pen réduit à son score de la présidentielle de 2007, à peu de choses près, il s'agirait d'en profiter pour reprendre un bien qu'on aurait jamais dû abandonner et laisser déformer par un parti d'extrême droite.  Ce serait très important d'avoir récupérer ces deux mots pour entamer la reconquéête du pouvoir dès le lendemain des législatives. 

2. Or, le bât blesse immédiatement. Alors que de Gaulle avait rendu son honneur à la droite après l'ignominie de Vichy, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac, François Fillon plus récemment, se sont évertués à ne pas avoir l'air de droite. C'est par exemple Fillon, revigoré par la manifestation du Trocadéro, qui, au lieu de faire monter dans les investitures des personnalités de droite, s'empresse de promettre 90 investitures à l'UDI centriste. Quelle ironie: aujourd'hui LR et UDI ensemble vont avoir le plus grand mal à dépasser la barre de 90 élus. 

D'ici dimanche, il faudrait dire qu'en cas de cohabitation on imposera au nouveau président une renégociation immédiate des accords de Schengen avec les partenaires européens; qu'on empêchera le nouveau président de mettre en œuvre sa réforme de la fiscalité pour ne pas priver les communes de leurs ressources; qu'un gouvernement de droite remettra en place une fiscalité favorable aux familles etc... S'affirmer de droite vous attire souvent critiques voire quolibets de la part des médias; mais c'est tellement efficace électoralement! Nicolas Sarkozy, qui avait fait campagne en 2007, autour du programme d'une droite assumée mais sans compromission avec l'extrême droite, en avait apporté la preuve expérimentale. Il est vrai qu'à peine élu, par confort, il s'est empressé de gommer, dans de nombreux secteurs, son image d'homme de droite.

Quelles sont les responsabilités des différentes personnalités dans cette situation ? En quoi la "ligne Juppé" a t elle pu contribuer à cette situation en jetant un flou sur les différences qui pouvaient séparer la droite du mouvement en En marche, et en insistant que sur la problématique institutionnelle d'une trop grande majorité accordée au nouveau Président ? Comment rapidement "rectifier le tir" pour les LR ?

Ce que cette élection présidentielle a révélé définitivement, c'est que le droite de gouvernement, depuis longtemps, ne carbure plus au gaullisme mais au giscardisme. Valéry Giscard d'Estaing a, dès les années 1970, entamé une déconstruction de cette droite moderne qu'était le gaullisme, pour imposer un programme "libéral, centriste et européen". Chirac a combattu l'homme Giscard mais pour mieux se rallier au programme centriste de VGE, une fois qu'il se fut débarrassé de l'influence de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud. Juppé est en l'occurrence, comme toujours, le plus fidèle héritier de Chirac. Il lui a manqué le courage de franchir le pas en forçant Fillon à se retirer, fin janvier. Il serait aujourd'hui président de la République car non seulement il aurait eu droit à la reconnaissance d'une droite ébranlée par la face sombre de François Fillon mais Emmanuel Macron n'aurait eu que peu d'espace pour se déployer. Macron a occupé l'espace au centre laissé inoccupé par Juppé tout en aspirant une partie de la gauche: puisqu'aucun giscardien de droite ne s'imposait, nous avons eu un giscardien de gauche, lointain héritier du ralliement de Mitterrand, à partir de 1983, au libéralisme, au centrisme et à l'européisme. Ce gouvernement est le rassemblement de giscardiens de droite et de gauche, des héritiers de Juppé et des héritiers de Delors. Tous les gouvernements qui ont précédé, depuis 1974, ont mis en oeuvre une ruse, il est vrai toujours plus éventée, consistant à convaincre alternativement l'électorat de droite et l'électorat de gauche d'adopter un programme "libéral, centriste et européen". Le macronisme est le premier giscardisme "chimiquement pur", avec l'ambition, que Giscard lui-même n'avait pas pu assouvir en 1974, de mettre en œuvre une politique du centre avec une majorité rassemblant les électeurs du centre-droit et du centre-gauche. 

Construire une opposition à Macron, c'est bâtir une politique ancrée, au choix, soit à droite soit à gauche. La Grande-Bretagne est un laboratoire politique, de ce point de vue, puisque les électeurs y ont eu le choix, lors des récentes élections parlementaires entre une politique de droite et une politique de gauche assumée par les deux figures de proue - Theresa May et Jeremy Corbyn. A priori le conservatisme, plus réaliste économiquement, a plus de chances que le travaillisme rénové. Mais le résultat de l'élection britannique montre que beaucoup dépend de la personnalité qui portera respectivement ces politiques.

Dans quelle mesure un affichage "fort" d'une union entre les deux lignes qui semblent se dessiner à l'intérieur même du parti, entre Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, pourrait elle permettre un tel sursaut ? En quoi une "solide" reprise en mains d'un mouvement devenu très disparate pourrait il être à même de séduire à nouveau l’électorat traditionnel des LR ? 

Tout ce dont nous venons de parler suppose un réalignement en profondeur des Républicains, en matière de programme et de stratégie politique. Ce n'est pas possible à mettre en œuvre dans les quelques jours qui nous séparent du second tour. Alors, évidemment, les Républicains pourraient avoir recours à une grosse ficelle: un peu comme Giscard et Chirac ont appris à s'afficher ensemble, dans les années 1980, malgré leur détestation mutuelle: amener Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand à monter ensemble sur une tribune pour que les appareils photo crépitent!  L'électorat de droite est tellement démoralisé par les coups de poignard plantés dans le dos à Fillon par son propre parti après le déclenchement des attaques dans le Canard Enchaîné que cela pourrait avoir un petit effet: faire gagner un ou deux pourcents et donc quelques députés de plus. Mais ne nous faisons pas d'illusions: le mal qui ronge la droite de gouvernement est bien trop profond pour être surmonté par une poignée de main opportune! 

A peine l'élection passée, il est bien possible qu'une guerre s'engage entre ce "faux dur" qu'est Laurent Wauquiez et ce "faux mou" qu'est Xavier Bertrand. A première vue, on donnera un avantage à Bertrand, qui a suffisamment de rondeur pour rassembler le parti et de finesse pour élaborer un discours ferme et modéré à la fois, capable de séduire un électorat plus large que l'actuel socle "chiraquien" auquel est revenu le parti après la parenthèse Sarkozy. Wauquiez prononce les mots qu'il faut pour séduire un électorat de droite mais il n'est pas connu, jusqu'à présent, comme un homme capable de rassembler. Or il faudra commencer par panser les plaies d'une armée qui vient d'essuyer l'une des plus cuisantes défaites de son histoire. 

Mais il est vain de s'interroger à l'infini sur les chances d'individus qui sont des vieux routiers de la politique. La principale leçon de l'élection d'Emmanuel Macron, c'est l'aspiration des Français à un profond renouveau du personnel politique. Pour ma part, je parierais plutôt pour l'émergence, à l'occasion de la prochaine présidentielle, en 2022, d'une personnalité nouvelle, inattendue. Sera-t-elle de gauche? Sera-t-elle de droite? La personnalité qui surgira sera celle qui saura le mieux ressourcer sa propre famille politique. Un Jaurès critique passionné de la troisième révolution industrielle et voulant la mettre au service du peuple? Un de Gaulle désireux de rendre à la France son indépendance en profitant de la révolution géopolitique eurasienne ? L'avenir le dira.

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