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Mais qui détient la dette française ?
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Sort à crédit

L’exemple grec a démontré le pouvoir exorbitant des créanciers privés de la dette des États dans le cours de la démocratie, et la conduite des politiques publiques. La situation de la France est tout aussi opaque.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Nous réussissons l’exploit de ne rien savoir sur les détenteurs de la dette publique et de nous en satisfaire. Or, quand on sait le poids politique des créanciers privés dans le règlement de la question grecque, cette information n’apparaît pas totalement inutile.

Tôt ou tard, les créanciers privés ont un droit de veto sur les politiques publiques qui sont menées dans les pays endettés. Ils décident si les mesures sont suffisantes ou pas, et ils acceptent ou non une diminution de leur créance. L’exemple de la Grèce d’aujourd’hui montre bien tout le poids de ce pouvoir exorbitant dans le cours de la démocratie.

À l’époque où les États empruntaient auprès des particuliers sans faire appel aux marchés financiers, cette difficulté était de second ordre. Les États avaient face à eux une multitude de petits porteurs sans véritable influence.

Depuis que les États recourent systématiquement aux marchés pour placer leurs emprunts, notamment sous forme d’obligations assimilables et non de titres au porteur, ils sont confrontés à une autre règle du jeu. Ils ont face à eux des lobbys organisés, des banques multinationales, des fonds, des investisseurs institutionnels, qui disposent tous d’une puissance de feu redoutable.

Dans le cas de la France, le placement de la dette a même fait l’objet d’une réforme administrative en profondeur à l’époque où Dominique Strauss-Kahn était ministre des Finances. L’Agence France Trésor (AFT) fut créée, en 2000, dans ce cadre, pour optimiser les coûts de placement de la dette sur les marchés.

L’AFT est une beauté extrêmement discrète. Elle ne dit pas grand chose d’elle. On sait juste que son comité stratégique est majoritairement composé de banquiers privés. Il est présidé par Jacques de Larosière, conseiller du président de BNP Paribas. On aimerait que l’AFT publie la rémunération que la BNP tire annuellement du placement de la dette de l’État pour être sûr (mais c’est du mauvais esprit) que cette coïncidence n’emporte pas de conflit d’intérêts.

Mais au fond, le sujet n’est pas là. On veut juste savoir qui détient la dette française. Et là-dessus, l’AFT ne dit rien, sauf qu’elle serait détenue aux deux tiers par des non-résidents.On notera la nuance sémantique. Non-résident ne veut pas dire étranger. Cela peut vouloir dire Français vivant à l’étranger. Ou Français achetant de la dette française depuis une holding familiale installée au Luxembourg ou dans un paradis fiscal.

Il ne s’agit pas là d’un fantasme.

Dans un rapport de janvier 2012 consacré à l’assurance-vie, la Cour des Comptes indique que 20% de la dette française sont détenus sous forme de contrats d’assurance-vie. Le cabinet Facts and Figures a publié le 17 février 2012 une étude indiquant que 20% de l’assurance-vie aujourd’hui sont collectés auprès des 68.000 ménages les plus riches, et que 50% sont collectés auprès des 20% les plus aisés.

De ces chiffres, nous pouvons extrapoler qu’entre 15 et 20% de la dette détenus par des Français résidents sont le fait des 20% des ménages les plus aisés, dans le cadre de la fiscalité favorable de l’assurance-vie. Cela signifie que la dette française constitue un placement utile pour des épargnants aisés ou riches qui souhaitent sécuriser une partie de leur patrimoine financier.

Pourquoi ne pas imaginer que des holdings patrimoniales, solution courante pour les 70.000 ménages français les plus aisés, achètent de la dette française aussi depuis l’étranger ?

Toutes ces questions se heurtent à un silence qui en agace plus d’un.

Par exemple, de 2009 à 2011, une soixantaine de députés a interrogé le gouvernement sur les détenteurs de la dette. Tous, sauf un, étaient des députés de la majorité présidentielle, soit UMP, soit Nouveau Centre. Leur préoccupation était simple : si, comme on le dit, la dette française est détenue majoritairement par des étrangers, cela signifie-t-il que la France se trouve aujourd’hui en position de subordination par rapport à des banques étrangères ? Au gouvernement chinois ou qatari ? À des investisseurs allemands ?

Systématiquement, le gouvernement a refusé de répondre à cette question, en invoquant le Code Monétaire et Financier. Celui-ci a bien prévu une nominativité obligatoire pour les actionnaires des entreprises privées. Mais pas pour les créanciers de l’État.

Au demeurant,cette opacité, qui est préoccupante pour la démocratie, n’est pas le seul fait de la France. Aucun pays industrialisé n’a jugé bon d’instaurer une transparence sur ce point.

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