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Le Tour de France, Coulisses et secrets : Conseil des ministres
©AFP

Bonnes feuilles

En 2017, Christian Prudhomme fête ses dix ans à la tête du Tour de France. L’occasion pour lui de revenir sur son parcours et son histoire d’amour avec le Tour de France en nous livrant de nombreux secrets et anecdotes sur cet événement mythique et mondialement connu. Une plongée au coeur de l'histoire, du fonctionnement et de l'organisation de cette course cycliste. Extrait de " Le Tour de France, Coulisses et secrets", de Christian Prudhomme, aux éditions Plon. 2/2.

Christian  Prudhomme

Christian Prudhomme

Journaliste diplômé de l'École supérieure de journalisme de Lille (59e promotion), il a commencé sa carrière cathodique sur La Cinq à la fin des années 1980, dans l'émission Télé matchs dimanche de Pierre Cangioni1. Il devient ensuite journaliste sportif sur France Télévisions, puis président du Tour de France le 1er février 2007.

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Le Tour de France attire donc un certain nombre de personnalités. Celles-ci demandent à suivre une étape, car le Tour leur rappelle leur jeunesse, leur insouciante adolescence ou, pour les plus anciens, ces temps lointains où la patrie avait la voix bourrue, la moustache abondante et un certain accent du terroir. 

Les ministres du gouvernement et d’autres personnalités, bien sûr, se retrouvent également sur le Tour de France, car il est aussi de bon ton de se montrer dans les événements populaires. 

Nous apprécions, en particulier, la classe, la gentillesse, la courtoisie et même l’humilité du prince Albert de Monaco1. 

Naturellement, il donne le grand départ de la principauté, en 2009, par un soleil éclatant et une chaleur accablante. Lorsqu’il monte dans ma voiture, j’ai beau actionner le mécanisme, il m’est impossible de fermer le toit. Nous sommes contraints de faire appel aux services techniques qui nous suivent. Leur promptitude me rassérène. J’ai pris peur car ma calvitie naissante et celle « consacrée » du prince Albert pouvaient nous valoir quelques désagréments physiques. Mais Monseigneur a tout prévu. D’un geste généreux et complice, il me tend sa crème solaire. Tout rentre dans l’ordre et je me  permets intérieurement ce jeu de mots monégasque un peu puéril  : ici le mal est en principe ôté. 

Rama Yade, secrétaire d’État chargé des Sports, est également présente et suit l’étape contre-la-montre inaugurale. Il faut parfois tenir compte d’un certain nombre de sensibilités, de crispations récurrentes. Ainsi, lorsque Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, s’annonce sur un parcours, Rama Yade, informée de l’agenda de sa ministre de tutelle, choisit l’étape qui précède… 

Roselyne Bachelot est une grande supportrice du Tour de France et de son ambiance. Elle viendra plusieurs fois nous rendre visite. Avec ces dames, il faut apprendre à apprivoiser l’imprévisible. Un jour que notre invitée Roselyne escaladait, dans notre voiture, le col du Tourmalet, je me disais que le sommet de la difficulté nous permettrait peut-être de satisfaire ces besoins que l’on dit fort justement naturels, tout là-haut à 2 115 mètres d’altitude. Mme le ministre n’émettait pas le moindre souhait. Nous avions attaqué ce col historique par le versant est, côté Sainte-Marie-de-Campan. Mme Bachelot admirait le paysage sur ces pentes qui ne descendent jamais au-dessous de 9 %. Elle ne quittait pas des yeux l’interminable ligne droite du plateau de l’Artigues ou son petit lac bleu. Puis la route s’enfonçait dans les sapins où crépite une rafraîchissante cascade, aménagée en parc acrobatique, et, après un large virage, elle laissa son regard s’attarder sur la silhouette pyramidale du pic du Midi. 

Nous avions passé La Mongie depuis quelques minutes, et je voyais le sommet approcher très vite. C’est là que je décidai de rompre ce silence qui devenait à la longue oppressant, voire angoissant : « Dans 2 kilomètres nous atteignons le haut du col. Il existe sur la gauche de la route un petit bar-restaurant qui collectionne les vieux souvenirs du Tour. C’est le moment de nous arrêter, car nous entamons ensuite la descente. » Roselyne Bachelot se sentait bien. S’arrêter pouvait constituer un sacrilège. Il me semble, en effet, qu’elle s’exprima dans ce sens. « Personne ne descend, alors descendons… le col. » J’accélérai. Un salut au buste de Jacques Goddet et la plongée s’amorce. 

Il ne s’était pas déroulé cinq minutes que Mme Bachelot commença à déployer un vocabulaire qui nous parut édifiant et terrifiant. Mme  le ministre réclamait des commodités. Elle ne se rendait sans doute pas compte que nous nous trouvions dans la descente à 10 %, la plus âpre, celle où l’on plonge à 90 à l’heure, sinon plus, et que les coureurs vont plus vite que les véhicules à moteur ; enfin, qu’il n’y avait pas âme qui vive dans ce coin où débarquaient jadis les ours venus d’Espagne pour dévorer les troupeaux. 

Si j’avais encore eu un peu de sang, il n’aurait fait de toute façon qu’un tour. J’appelai ma bouée de naufragé, à l’avant : « Pierre-Yves, d’urgence, trouve-moi un endroit… urgent, urgent, on est à fond ! ».

Pierre-Yves Thouault aime les défis, heureusement, mais à l’impossible, dit le proverbe, nul n’est tenu. Il calcula vite : la seule localité où se tenait la foule était Barèges, là où jadis Mme de Montespan venait prendre les eaux, localité située à moins de 10 kilomètres. Il y arrivait. Sur la droite de la route  : une caserne. La porte de la cour était ouverte. Un homme, militaire –  il le saura quelques instants plus tard  –, attendait, en spectateur. 

— Monsieur, excusez-moi, la caserne est-elle ouverte ? Il nous faut des toilettes d’urgence. Une personnalité ministérielle va arriver… Pierre-Yves s’entend répondre  : — Il faut que j’en réfère à mon supérieur ! — Faites vite, très vite, une ministre va s’arrêter. 

Pierre-Yves eut juste le temps de reconnaître les lieux, rabattre quelques couvercles. Il n’alla pas jusqu’à remettre du papier. Le supérieur avait donné son aval, disant à son « soldat » de « faire au mieux ». L’affaire fut rondement menée, mais nous avions eu chaud. 

Outre ces quelques minutes de frousse rétrospective, fort heureusement, il y en eu d’autres marquées d’une franche gaieté. Avant de la lâcher dans la nature du Tour, le cabinet de Roselyne Bachelot nous demanda si nous avions… du poisson au menu de la Grande Boucle, car il fallait qu’elle déguste du poisson. On se regarda. J’avais envie de répondre que le poisson, ici, on le laissait dans les lacs. Les obligés de Mme le ministre n’insistèrent pas, se rendant compte du ridicule de la situation. Plus drôle fut la demande de Roselyne en arrivant dans la Škoda n° 1 : « Il n’y aurait pas un peu de saucisson dans cette voiture ?  ».

On aura vraiment tout vu et tout entendu. Avec Roselyne Bachelot, pas tout à fait. Elle possède un « métier » consommé. Son expérience lui a appris que la place la plus convoitée dans ma voiture est la place arrière droite. Mais, étant le propriétaire temporaire du véhicule et par surcroît directeur du Tour, on comprend bien que c’est à moi d’en désigner les occupants tout aussi temporaires. 

Au départ de la 5e  étape, à Épernay, capitale du champagne, le 8  juillet 2010, mes deux invités s’appellent le prince Albert et l’inévitable –  le terme n’en est que familier  –… Roselyne Bachelot. La tenue d’été est de rigueur. Le prince Albert apparaît élégant, arborant pantalon beige et chemisette blanche. Quant à Roselyne Bachelot, sa veste rose sur haut blanc, son pantalon beige et ses lunettes de soleil laissent à penser que Mme  le ministre de la Santé et des Sports est vraiment en vacances. Sur la ligne de départ, elle semble faire la promotion du Tour d’Italie qui, comme chacun sait, se singularise par un maillot rose. 

À quelques minutes de l’envol, je n’ai pas encore déterminé les positions dans les voitures. C’est fou comme ces problèmes de préséance peuvent vous encombrer l’esprit à des moments décisifs. Je ne sais comment faire, quelle attitude adopter. Je m’interroge. Et l’heure du départ va sonner. 

J’appelle, enfin, les deux invités qui me suivent. Tous deux se dirigent vers la portière arrière droite. Mais il n’y a qu’une place. La porte s’ouvre. Surprise ! Roselyne Bachelot, la malice preste et l’esprit aiguisé, a déjà installé, depuis de longues minutes, son sac à main sur la banquette arrière. Le prince Albert, avec beaucoup d’humilité, fait machine… arrière face à la féminité insidieuse et triomphante d’une personne vibrionnante qui avait bien plus d’un Tour dans son sac. Avec elle, les photographes sont assurés de ne pas rentrer bredouilles. Dans ce Tour 2010, au départ de Bruxelles, on ne voyait qu’elle avec son tailleur-pantalon bleu, aux côtés d’Eddy Merckx. Déjà, en 2007, au Grand-Bornand, vêtue d’une robe noire à parements blancs, elle avait déposé ostensiblement un baiser sur la joue du maillot jaune, le bel Allemand Linus Gerdemann, tout en l’enlaçant. 

Frédéric Mitterrand, fraîchement nommé ministre de la Culture, en 2009, est mon invité au départ de la 14e étape Colmar-Besançon. Il découvre sa condition de ministre et les vicissitudes qui l’accompagnent. Il rentre d’un long voyage et porte sur le visage les stigmates d’une grande lassitude. Il l’avoue et s’excuse à l’avance de prendre un petit quart d’heure de récupération dans la voiture afin, par la suite, de jouir pleinement du spectacle. En vérité, il ne va pas succomber à la somnolence. Il s’intéressera totalement à la course et à tous ses aspects, se lançant en permanence dans un ballet de questions toutes aussi pertinentes les unes que les autres. À l’arrivée de l’étape, dans la cité horlogère, dans une de ces envolées lyriques dont il a le secret, il fera l’éloge des liens que le Tour entretient avec la culture. Il dira surtout  : 

« Je m’en doutais. Le Tour de France est bien plus grand que ce que l’on m’en disait ! » 

Nous avions, en son temps, reçu une candidature du maire d’Évry. Nous l’avions acceptée pour servir de cadre à la dernière étape Évry-Champs-Élysées, en 2014. Évry est le fief de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, et ce dernier vient, en personne, à la présentation du Tour qui a lieu, comme chaque année, en octobre. De la banlieue parisienne à son accession à Matignon, nous allons suivre son ascension. Tout d’abord, il donnera le départ des coureurs qui s’élancent de la préfecture de l’Essonne. Nommé Premier ministre, il se déplace dans les Alpes, avec son épouse, la violoniste Anne Gravoin. Le couple monte dans la voiture au Monêtier-les-Bains, après le franchissement du col du Lautaret. 

Au programme, ce jour-là, l’ascension du col d’Izoard, puis la montée finale vers Risoul, dans le département des Hautes-Alpes. 

Du Monêtier-les-Bains, il reste une dizaine de kilomètres pour rallier Briançon. Gilles Maignan, toujours au volant de la Škoda rouge n° 1, se glisse derrière les échappées avec la fluidité qui caractérise sa conduite. Mais la descente très rapide peut surprendre les invités, surtout lorsqu’il s’agit d’une première expérience sur la route du Tour. Le compteur indique bientôt 100 kilomètres/heure. Assise à côté de Gilles, sur le siège passager, Anne Gravoin est littéralement soufflée  : « Waouh, mais ça va incroyablement vite ! » s’exclamet-elle. Je crains le pire lorsque interviendra la descente de l’Izoard quelques kilomètres plus loin… Mais l’épouse du Premier ministre gratifiera à l’arrivée mon pilote d’un « J’ai kiffé grave » qui en dit plus que de longs discours. 

Je me souviens d’Emmanuel Macron, venu au départ d’Utrecht, certes, mais aussi lors de la grande étape pyrénéenne, sur la route de Bagnères-de-Luchon. Il avait été impressionné par la descente de Chris Froome, à la lutte avec le Colombien Nairo Quintana, et vainqueur en solitaire après une belle échappée dans le col de Peyresourde. Je le sens particulièrement heureux d’assister à cet exploit. Au pied du podium protocolaire, il m’annonce : « Moi aussi, je vais faire mon échappée ! »… Le mois qui suit le Tour, il démissionne de ses fonctions de ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique et, trois mois plus tard, annonce sa candidature à l’élection présidentielle, en 2017.

Extrait de " Le Tour de France, Coulisses et secrets", de Christian Prudhomme, aux éditions Plon. 2/2.

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