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Nominations dans la sécurité et à l'international : Emmanuel Macron tisse sa toile
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Les premiers pas

Les premiers pas d'un président sur la scène internationale sont toujours scrutés avec attention par les observateurs. Mais avec Emmanuel Macron, il ne faut pas oublier que c'est aussi un président en campagne qui place ses pions sur l’échiquier politique actuel, quitte à modifier sa tactique après le résultat du scrutin des prochaines législatives. La question de la sécurité reste au centre de toutes les attentions, car le président n'aura pas droit à l'erreur, à commencer par les désignations des responsables.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Que retenir de cette séquence internationale pour le nouveau président ?

Franck DeCloquement : La séquence internationale entre Trump et Poutine donne d’Emmanuel Macron une image à nulle autre pareille : un chef d'Etat qui dialogue sans complexe avec les dirigeants des deux plus grandes puissances du monde. Car il s'agit avant tout d'image. Que retenir de ces entretiens ? Rien ou presque. Une poignée de main virile d’un côté, avec un président qui pourrait être son père, les ors de Versailles de l’autre, qui flattent tout autant les Français que leur invité de marque, mais rien de plus. Pas de déclarations tonitruantes, pas d’avancées déterminantes ni d'orientations marquantes. Les choses n’ont pas bougé d’un iota. Le président Macron est bel et bien en campagne électorale pour préparer les troisième et quatrième tours de ces élections générales que sont la présidentielle et les législatives en France.
Recevoir Vladimir Poutine, pour un Emmanuel Macron à peine élu, est bien sûr une façon de montrer au président américain que la France reste une alliée fidèle, mais indépendante. Cette posture gaullienne ne trompe personne car chacun sait à quel point notre pays est en réalité dépendant de Washington. Jusque pour l'entretien des turbines des sous-marins nucléaires, rachetées par Général Electric à Alstom en 2015, avec la bénédiction du ministre Macron... En réalité, le chef de l'Etat n'oublie pas que Poutine est un ami personnel de Fillon comme de Chirac, et qu'il est l'incarnation d'une droite identitaire et conservatrice qui s'exprime de Myard à Wauquiez, en passant par Mariani ou Philippe de Villiers. Si la droite libérale est déjà conquise par l'hôte de l'Elysée comme en témoigne la présence du juppeiste Edouard Philippe à Matignon, la droite identitaire, parfois tentée par le vote FN, est l'un des derniers points d'appui de François Baroin pour s'assurer d'un groupe parlementaire conséquent à l’assemblée nationale, au soir du 18 juin prochain. Et c'est bien la cible d’Emmanuel Macron.

Le président Poutine s'est montré très proche de Marine Le Pen durant la campagne. Tout est pardonné ?

Il ne faut pas non plus oublier dans l’interstice que cette séquence est aussi une façon de prendre langue et de tisser ses réseaux. Alors que l'OTAN est focalisée sur la menace russe et que le monde se relève d'une cyberattaque massive au cryptolocker Wannacry, parler à Vladimir Poutine est une façon de « détendre » l'atmosphère, au moins le temps de mettre en place des réseaux et des canaux d'information de confiance, tournés vers le nouveau locataire de l'Elysée. D'autant plus que le Kremlin fut suspecté de vouloir déstabiliser le mouvement « En Marche ! » durant la campagne, et que l'origine réelle des « Macronleaks » n'est toujours pas établie avec certitude à ce jour.
De même, les échanges avec Donald Trump ont permis aux deux hommes de se jauger sans  permettre d'identifier pour autant des points d'accords, loin s'en faut. Mais ces dernières semaines, Trump a donné l'image d'un président contesté au sein même de sa propre administration, ce qu'il est en réalité. Une partie des cadres des services de renseignement américain  est restée fidèle aux Démocrates et forment une sorte de résistance aux desseins du nouveau pouvoir, tant au sein de la CIA que du FBI. La brutale mise à pied du directeur James Comey par Donald Trump, ne connait qu'un précédent. Mais n’est-elle que le témoignage des rapports de forces souvent heurtés entre pouvoirs exécutif et judiciaire ? Rien n’est moins sûr. Ce sont sans doute ces mêmes cadres du Parti Démocrate qui ont inspiré et peut être aidé les équipes du candidat Macron dans sa campagne, faisant de lui une sorte d'Obama à la française et bénéficiant de la puissance de calcul prédictif et des apports du Big Data américain pour construire son discours et cibler son électorat au cœur. L’ancien président américain n’a d’ailleurs pas manqué de le soutenir ouvertement de ses encouragements appuyés, dans une courte allocution télévisée très bienveillante qui restera dans les mémoires.

La lutte contre le terrorisme peut elle constituer un point d'accord entre des visions antagonistes de la politique internationale ?

Le seul point commun entre ces deux rencontres est sans doute la volonté revendiquée de lutter contre le terrorisme. Mais derrière ces mots se cachent aussi des stratégies divergentes. Donald Trump a mené des entretiens avec les Russes, les Saoudiens, puis Erdogan, témoignant sans doute d'un réel revirement sur la question syrienne. Moscou reste fidèle à un soutien conditionnel à Bachar el Assad et semble demeurer le maître des horloges moyen-orientales. Et la France de Macron ? Doit-elle reprendre langue avec la famille Assad ou ses représentants en exil ? Va-t-elle miser indéfiniment sur la puissance saoudienne comme Le Drian et François Hollande durant ces cinq dernières années ? Peut-elle encore reprendre une relation avec L'Iran tout en soutenant l'Arabie saoudite dans sa guerre contre les rebelles yéménites chiites ? Quel sera l'avenir de la relation avec l'Algérie (dont Emmanuel Macron s'était montré résolument proche durant la campagne), et quelle initiative sera proposée sur la question libyenne ? Après un déplacement au Sahel immédiatement après l'investiture, le chef de l'Etat n'avait pas fait de véritable déclaration non plus, préférant sans doute prendre le temps du contact avec ses interlocuteurs plutôt que de céder à la pression des médias. En politique étrangère, Emmanuel Macron serait-il un disciple de Jacques Pilhan ? En réalité, après les relatifs succès et les échecs réels du Quai d'Orsay de Laurent Fabius, beaucoup est à reconstruire dans la relation avec nos partenaires. Il en est de même pour les réseaux de renseignement utiles à la prise de décision.

Le président Macron est aussi attendu sur la question du renseignement et de la sécurité. Comment interpréter ses premiers pas ?

Sur la question du renseignement aussi, tout reste à faire. Nommer les successeurs du général Gomart à la DRM, de Bernard Bajolet à la DGSE, de Patrick Calvar à la DGSI et de Jean Paul Garcia à la DNRED. Et donner un contour, et un visage, à la task force de contre terrorisme annoncée pour début juin. On parle de Ludovic Chaker pour occuper le poste. C'est un proche de Macron, bon connaisseur des Chinois et de leurs réseaux. Mais ce jeune trentenaire peut-il incarner la lutte contre Daesh, s'imposer face aux poids lourds des services de renseignements et dialoguer au quotidien avec les Américains sur ces sujets ? Didier Casas, un temps pressenti pour devenir le secrétaire général de l'Elysée avait été écarté et s'en est retourné dans le secteur privé. Pour mieux revenir à un poste stratégique ? Sa bonne connaissance des réseaux de renseignements au sein de l'Etat plaide en sa faveur. D'autres noms circulent, mais au jeu du mercato actuel, seule la compétence doit guider le choix. C'est ce que le président a imposé pour la nomination de ses ministres. Fera-t-il de même pour les hauts fonctionnaires les plus sensibles ?
Car la fragilité d’Emmanuel Macron réside peut-être dans la jeunesse et l'inexpérience de certains de ses proches, issus des structures militantes de son parti, et parfois de Bercy. Dans les cabinets ministériels, chacun attend la fin du cycle électoral pour procéder aux désignations définitives, et aux derniers équilibrages politiques. Mais l'attentat de Manchester nous a rappelé que l'imprévu est une règle de gouvernement. Il faut être prêt à tout, à chaque instant, et avoir les reins solides. Le président Macron tisse sa toile. Notre ennemi aussi.

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