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Quand la régulation des banques favorise le marché
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Comment en est-on arrivé là ?

"Les marchés font-ils la loi ? " Pour y répondre, Pascale-Marie Deschamps rédactrice en chef adjointe d'Enjeux Les Echos s'est entretenue avec Philippe Tibi et Pierre de Lauzun.

Pierre de Lauzun et Phillipe Tibi

Pierre de Lauzun et Phillipe Tibi

Pierre de Lauzun est délégué général de l'Association française des marchés finaciers (Amafi)

Philippe Tibi est président de l'Amafi, professeur à l'Ecole Polytechnique et président d'UBS en France.

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Pascale-Marie Deschamps : Les banques sont désormais régulées au niveau international par les accords dits de Bâle III ; les compagnies d’assurance le sont au niveau européen par les accords dits Solvency II. Ces accords, en France du moins, font l’unanimité contre eux. Pourquoi ?

Philippe Tibi – Pour comprendre les enjeux, il faut revenir un peu en arrière. On ne se rend pas compte combien nombre d’évolutions de la régulation, depuis 2000, ont eu pour effet d’amplifier la crise dans laquelle nous sommes. Cela a commencé avec les normes comptables internationales dites IFRS. L’évaluation du bilan, selon la valeur donnée par le marché (mark to market – marquage au marché), a en particulier fortement aggravé la volatilité des actifs des entreprises, et donc la perception de leur solidité financière, ce qui pose un problème spécifique lorsque l’entreprise concernée est une banque.

Pierre de Lauzun – Les normes IFRS reviennent à juger les entreprises ou les investisseurs à long terme comme s’ils devaient être dissous à tout instant. De fait, sous l’empire de l’idéologie du marché efficient, on a promu un marquage au marché généralisé, c’est-à-dire que la valeur des actifs – détenus par les entreprises et notamment les banques – devait en permanence être reflétée, dans leur comptabilité, dans leur valeur de marché. Or, le marché est par essence mobile puisqu’il cherche en permanence à s’ajuster au flux des informations ou des opinions qu’il reçoit ; il est, d’autre part, soumis à des mouvements collectifs émotionnels. Un opérateur qui gère sur la longue durée et dont la stratégie s’inscrit dans cette perspective ne peut pas agir en permanence au gré de ces fluctuations continuelles. Les normes IFRS sont de ce point de vue une grave erreur conceptuelle, une telle méthodologie n’étant véritablement justifiée que pour des intermédiaires qui opèrent à court terme.

Philippe Tibi – Il faut reconnaître que ces normes IFRS, dont il ne faut pas oublier qu’elles reflètent une demande des investisseurs, ont été mises en place en réaction à des principes comptables qui permettaient de ne pas réévaluer des actifs, alors qu’à l’évidence leur valeur avait changé. Ce fut aussi une réponse à un manque de transparence et de sincérité de certains comptes. L’installation des normes IFRS a procédé d’une part d’un facteur idéologique, l’idée que le marché – et seulement lui – donne le bon prix (fair value), et d’autre part de la conscience que les systèmes comptables sont des systèmes imparfaits qu’il faut améliorer pour éviter d’avoir des bilans évalués à des valeurs historiques, qui n’ont plus de sens et qui permettent de cacher des pertes bien réelles, voire des faillites. Le problème est que pour se dispenser d’avoir à constater des pertes dues à des faillites singulières comme celle d’Enron – dont la direction avait maquillé les comptes –, on fabrique un risque systémique probablement plus dangereux pour la société.

Quel rapport cela a-t-il avec la nouvelle régulation des banques ?

Philippe Tibi – Pour protéger les grandes institutions de financement que sont les banques et les assureurs contre cette volatilité, on instaure un principe de précaution à grande échelle en demandant aux compagnies d’assurance de prendre moins de risques – investissement minimal dans les actions –, et de se concentrer sur les instruments réputés plus sûrs et moins volatils que sont les dettes souveraines. On impose aussi aux banques de réduire leur bilan à la fois sous la contrainte du ratio de fonds propres / sur dette, et du ratio de liquidité. En outre, ce ratio n’admet comme véritablement liquide que les obligations d’État et quelques rares obligations d’entreprises très bien cotées. Par conséquent, si on exige des établissements beaucoup plus d’actifs liquides qu’auparavant, ceux-ci se retrouvent eux aussi à prêter davantage à l’État qu’aux entreprises, ce qui constitue un risque très important dans la conjoncture actuelle de marché.

Enfin, le très important passif « court » construit au fil du temps pour financer des projets « longs » devient un facteur de vulnérabilité considérable, car il doit être réduit rapidement, ce qui impose une réduction concomitante des engagements vers l’économie. Pour ces trois raisons, sans innovation financière, et sans création de nouveaux véhicules d’investissement à long terme, nous assisterons à une réduction sensible du montant des capitaux disponibles pour financer l’économie privée, et probablement à un renchérissement de leur coût. Je doute que cela reflète la volonté initiale des régulateurs, car nos sociétés ont d’abord besoin de croissance pour régler la crise des dettes souveraines.

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Extrait de Les marchés font-ils la loi ?La Revue Banque (23 février 2012)

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