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Diplomatie version Macron : et si la France avait plus besoin d'un nouveau logiciel que d'une filiation gaullo-mitterrandienne
©AFP

Les vieux pots...

S'imposer en chef des armées, de la diplomatie, affirmer la position de la France sur la scène internationale... Voilà ce qu'il faut retenir lorsque Emmanuel Macron assure sa filiation gaullo-mitterrandienne quant aux relations internationales. Gare à ne pas réciter trop dogmatiquement les vieilles recettes du passé.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Atlantico : Emmanuel Macron n'hésite pas à se revendiquer d'une ligne "gaullo-mitterandienne" en matière de relations internationales. Comment comprendre ce terme et que recouvre-t-il exactement car DeGaulle et Mitterrand n'avaient pas vraiment la même approche des relations internationales ?

François Géré : Il convient d’emblée de marquer les limites historiques de ce genre de références ; de Gaulle et Mitterrand ont dirigé la diplomatie française en pleine guerre froide, sauf les trois dernières années du second septennat, au demeurant dominées par la liquidation lente des séquelles laissées par l’affrontement des deux superpuissances. Le monde auquel E. Macron doit faire face n’est pas polarisé entre deux blocs antagonistes, pas plus qu’il n’est sous la menace d’une guerre nucléaire dévastatrice. De Gaulle et Mitterrand ont cherché, l’un et l’autre, à dépolariser les relations internationales en se démarquant des Etats-Unis, qui demeuraient un allié, tout en décrispant la relation avec l’Union Soviétique. Pour cela ils se sont attachés, l’un comme l’autre, à donner à la France une place originale dans ce que l’on nommait le Tiers-Monde : rapprochement avec la Chine communiste, ouvertures sur l’Amérique latine (discours de Mexico et de Cancun) et, bien sûr, une politique africaine, complexe, parfois tordue, fondée sur la coopération et le développement. Enfin, une politique originale au Moyen-Orient en recherchant un équilibre entre des amitiés avec le monde arabe et l’attachement à l’existence d’Israël.

Alexandre Melnik Le terme appartient à une époque révolue, à savoir l'univers international du siècle précédent qui a été marqué par les disparités idéologiques, c'est-à-dire par le clash entre deux systèmes antagoniques, communisme et capitalisme. A ce moment-là, ce terme avait son droit de cité et sa légitimité parce que cela représentait une certaine ligne médiane et un e certaine indépendance française par rapport aux deux pôle de puissance qu'étaient les Etats-Unis et l'URSS. Mitterrand s'était sur ce point complètement inscrit dans la continuité de De Gaulle, d'où ce terme. Depuis le monde a changé, et c'est pourquoi il faut réinitialiser le logiciel de la diplomatie, cette terminologie y compris. Ce qui se passe actuellement, ce que nous sommes dans un monde interdépendant, global. Et j'attire votre attention sur la phrase d'Emmanuel Macron dite à la conférence de presse de la fin du G7, quand il a affirmé que l'indépendance française, comme l'indédance de tout pays se joue dans l'interdépendance. Cela, c'est une phrase extrêmement importante, le fait d'être dépendant dans l'interdépendance. On vit dans ce monde interdépendant qui exclue ce terme de gaullo-mitterandien" en ce qui concerne la diplomatie d'Emmanuel Macron qui se projette vers l'avenir au lieu de ressasser le passé.

S'il emploie ce terme, c'est parce qu'il excelle dans l'art de la synthèse, à savoir l'art de marier les contraires, comme on a pu le voir de concevoir En Marche de façon horizontale et de diriger de façon jupiterienne et donc verticale. Il se réclame de l'héritage mitterrandien parce qu'il ne veut pas oublier que son terreau nourricier et politique est quand même la gauche. Sa référence dans le domaine international et diplomatique, c'est quand-même Mitterrand. Mais d'un autre côté, c'est quelqu'un qui n'en finit pas de couper le cordon ombilical pour "tuer le père" pour réinitialiser les fondamentaux de l'héritage dont il se réclame. La stratégie diplomatique s'appuie sur deux piliers aujourd'hui. Tout d'abord une revalorisation de la France sur la scène internationale dans le monde global du XXIe siècle. C'est-à-dire de remettre la France à sa place de pays phare de la civilisation occidentale. Deuxièmement, il compte sur l'Europe. Il mise sur la renaissance européenne avec l'Allemagne comme pilier. Il s'agit de refonder l'Union européenne qui date aussi d'une époque révolue dans le contexte actuel interpendant et global.

En se réclamant de cet héritage, qu'est-ce que cela pourrait laisser présager des positions de la France sur la scène internationale tant en termes de diplomatie que d'opérations extérieures ?

François Géré :On peut créditer E Macron d’un attachement à la position et au rôle du président de la république dans la constitution. Il dirige la diplomatie et commande les armées, disposant, lui seul, de la dissuasion nucléaire. Son voyage au Mali avait un triple sens : s’affirmer comme commandant en chef, marquer la présence de la France en Afrique et maintenir l’engagement de lutte contre le terrorisme. E. Macron est certainement inspiré par cette volonté d’indépendance nationale, garantie par l’autonomie de décision sur la stratégie de défense en cas de crise majeure. Il s’agit aussi pour le président français, en 2017, de trouver un équilibre permettant d’éviter une éventuelle « repolarisation », liée à la réémergence d’une Russie autoritaire, en phase de réarmement rapide. L’entrevue de Trianon avec Vladimir Poutine a pour enjeu de calmer le jeu en reprenant le dialogue avec Moscou pour stabiliser le Moyen-Orient et mettre un terme à la crise ukrainienne en expliquant qu’une UE forte et autonome n’est pas un adversaire mais un partenaire de la Russie.

De Gaulle avait sorti la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Mitterrand n’avait pas souhaité revenir sur cette décision. C’est Sarkozy qui a choisi, en 2007, la réintégration et EM n’a pas l’intention de changer ce qui en dix ans est devenu un état de fait. La question qui se pose aujourd’hui à lui est l’édification de cette défense européenne à laquelle de Gaulle ne croyait pas et dont Mitterrand a vainement cherché à jeter les bases à partir de 1991 dans le cadre de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). EM entend lui donner une réalité en renforçant le « pilier européen » de la Défense, au sein de l’Alliance atlantique. Il s’agit d’augmenter les dépenses, de renforcer les structures communes, de combler insuffisances et retards, tout en évitant les redondances et les duplications. Cela suppose le maintien d’une collaboration avec les Etats-Unis, mais bien mieux équilibrée. L’affaire ne sera pas facile. J.Y. Le Driant s’y est essayé durant cinq ans sans succès majeur. 

Cela passe par une relance de l’Union européenne sur la base de la remise en marche d’un moteur franco-allemand, devenu poussif sous Sarkozy et, plus encore, avec Hollande et Fabius. A bien des égards, on a parfois le sentiment de revenir aujourd’hui aux formules et aux suggestions de… 1994.

Alexandre Melnik La question de l'intervention est évidemment à l'ordre du jour. Est-ce que nous avons, nous les Occidentaux, la légitimité d'intervenir dans les affaires intérieures des pays dont l'ADN directionnel est opposé au nôtre, au nom des valeurs occidentale telle que la liberté individuelle, telle que la démocratie, telle que le respect de la loi. C'est cette question qui nous préoccupe, et à mon avis Macron devrait prendre une certaine distance avec ces interventions par rapport à Hollande sur ces questions. Il va se concentrer sur la réinitialisation du concept européen, en repartant sur de nouvelles bases pour assurer la prospérité économique et la croissance sans interventionnisme dans les affaires intérieurs dans un monde où la société occidentale n'a plus le monopole de l'histoire. Si nous intervenons dans les affaires intérieures des autres pays, au nom de quoi pouvons nous le faire ? La supériorité occidentale qui en était l'argument jusque-là est lourdement mise en cause dans ce monde où l'Occident ne possède plus ce que j'appele le monopole de l'Histoire.

Est-il encore possible selon vous d'appréhender le monde et les défis qui s'opposent à la France avec un schéma de pensée qui date au minimum des années 80 ? Quels seraient les risques d'appliquer dogmatiquement cette filiation ? 

François Géré : Il ne saurait être question de reproduire dogmatiquement les politiques étrangères de de Gaulle et de Mitterrand, ni même de chercher à les adapter. E. Macron entend renouer avec la tradition gaullo-mitterrandienne, dans un contexte évidemment différent. L’indépendance nationale, il la conçoit dans l’interdépendance européenne et mondiale. Il a pu mesurer la dangereuse dépendance des économies nationales à l’égard du fonctionnement des mécanismes financiers, positifs et négatifs, en phase de mondialisation accélérée. Il a vu la France en difficulté et l’UE, trop peu solidaire, désemparée sous le choc de la crise financière. C’est pourquoi, il entend, avec l’Allemagne, redonner à l’Union une efficacité, une légitimité et une crédibilité durement malmenées, sinon perdues. Dès septembre 1958, de Gaulle avait reçu le chancelier Konrad Adenauer à Colombey, nouant une relation personnelle puissante qui, bon an, mal an, de couples en couples, a servi de modèle. Curieusement, à cette époque, le Marché commun s’est fait sans le Royaume-Uni. L’UE pourra bien, à nouveau, se passer de lui.

Non pas répéter une histoire introuvable, mais retrouver une inspiration, une symbolique, un souffle nouveau. L’héritage est là.

Alexandre Melnik Evidemment non ! L'humanité toute entière vie une mutation de modèle civilisation. Appliquer les critères d'hier sur la situation d'aujourd'hui et de demain serait dangereux. Nous devons prendre de nouvelles lunettes, adopter de nouveaux schémas de pensées, de nouvelles grilles de lecture dans ce monde globale qui est tout sauf la répétition d'une époque passée. C'est là que se trouve l'ingéniosité de ce jeune président français de 39 ans qui n'est pas marqué par l'Histoire lourde de l'après-guerre. Il sort des chimères idéologiques de cette époque et considérer notre réalité pour offrir un nouvel horizon aux gens qui perçoivent mieux ce monde nouveau. La vraie révolution Macron à considérer que les élites peuvent être progressistes, avant-gardistes et qu'en conséquence c'est l'action qui doit dominer.

Propos recueillis par Nicolas Quénel

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