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"Tout ce que j'ai fait est cassé et abîmé" : au-delà du blues de Martine Aubry, qu'ont vraiment raté les politiques du monde d'avant EM ?
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Blues

Martine Aubry a déclaré : "j'ai l'impression que tout ce que j'ai fait dans ma vie est abîmé, cassé." Derrière ce sentiment de "champ de ruine", se cache une réalité : l'ancien monde se meurt et le nouveau tarde à apparaître.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Hervé Favre

Hervé Favre

Hervé Favre est éditorialiste politique à la Voix du Nord.

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Atlantico : Qu'est-ce que la déclaration très pessimiste de Martine Aubry dans La voix du Nord dit de la société et des idéaux qu'elle considère comme perdus et cassés par la présidence d'Emmanuel Macron ? Derrière cette impression qu'ont raté les politiques de la génération de Aubry ? 

Hervé FavreJe crois que c'est une amertume qui ne date pas d'aujourd'hui. Cela avait déjà commencé sous le quinquennat de François Hollande. C'est elle qui avait eu les mots les plus durs à l'égard de l'ancien Président dans une fameuse tribune de février 2016. Je crois qu'on n'a rien trouvé de plus violent en tant qu'attaque, que ce soit sur la déchéance de nationalité, sur la question des migrants puis la réforme du travail. Et même si elle ne s'est jamais définie comme une frondeuse, elle était quand même largement de leur bord. Elle constate que sa vision politique n'est pas celle suivie par son camp. Et avec Emmanuel Macron aujourd'hui – dont elle a pu dire tout le bien dont elle pensait pendant une conférence de presse – elle exprime son raz-le-bol. La loi Macron avec le travail du dimanche auquel elle est complètement opposée... elle exprime par cette amertume son total désaccord.

Mais cela traduit aussi une amertume sur le plan local. Elle avait obtenu un accord passé avec François Hollande lui-même qui assurait la première circonscription lilloise à son dauphin François Lamy débarqué de l'Essonne au grand dam des socialistes lillois. Il se retrouve face au référent d'Emmanuel Macron dans le Nord – donc pas n'importe qui – dans une circonscription comptant 23 candidats inscrits... Bref la situation est extrêmement compliquée. Et comme Aubry veut faire de Lamy son successeur à la mairie de Lille, elle ne peut le voir perdre sa circonscription – qui est historiquement socialiste, celle de Pierre Mauroy. L'amertume est totale : elle a perdu la communauté urbaine avec la perte de Roubaix et Tourcoing. Elle a perdu la fédération du Nord. C'est comme si tout s'effondrait autour d'elle.

Virginie MartinLes organisations partisanes ont certainement échoué à mettre en place une sorte de démocratie interne. Cela parait le plus important de faire en sorte que les partis puissent être ouverts pour pouvoir travailler avec plus de gens, pour que les militants soient plus entendus... Le Parti socialiste a beaucoup essayé de le faire, mais cela paraissait un peu artificiel. Cela a engendré énormément de frustrations. Nicolas Sarkozy a effectué quelque chose d'assez similaire à droite, mais ces initiatives n'ont jamais abouti.

Ensuite, il faut noter le manque d'innovation politique (et donc de courage politique) de peur de perdre un bout de pouvoir dans la bataille. En marche ! connait déjà cela aujourd'hui, en créant une coalition anticipée afin de capter les votes de la droite libérale. Le problème c'est la conquête et la conservation du pouvoir. Cette présidentielle le confirme et est une catastrophe du point de vue du choc de légitimité du Président actuel. 25% d'abstention, plus de 10% de blanc et de nul : c'est du jamais vu, ce niveau de défiance. On en arrive là aujourd'hui et si cette génération d'Aubry a manqué à ses devoirs sur ses points, En Marche lui emboite le pas.

Et derrière toutes ces questions, je crois qu'ils n'ont pas réussi à rentrer dans la modernité et ce qu'elle impose du point de vue du temps : les citoyens aujourd'hui sont des électeurs car des consommateurs. Il faut aller vite, suggérer, plaire et vendre de l'émotion. C'est quelque chose de difficile à intégrer pour un politique qui s'inscrit dans le temps long et l'idéal programmatique (c'est ce que Macron a su faire). C'est du marketing politique.

Le problème est celui de l'espace. L'ancrage national et régional est très compliqué parce nous mêmes sommes mobiles. C'est ce tournant de l'ultra-modernité qui n'ont pas su saisir par noblesse politique, par difficulté à maitriser le supermarché politique.

Pourquoi Aubry a ce sentiment selon vous de "champ de ruine" ? 

Virginie MartinLe champ de ruine c'est celui de la gauche : tous les mots clés de la gauche ont disparus au profit d'un grand supermarché politique dans lequel les électeurs font des zig-zags, titubant de promotions en promotions. Il n'y a plus d'identification partisane, et pour une personne comme Aubry qui est une femme de parti, c'est la fin d'un monde. C'est peut-être encore plus grave que ce que dit Aubry, c'est que la Politique n'est plus adaptée à ce que nous sommes. Et cela va plus loin que le PS. Et voir la droite et la gauche passer le Rubicon et se couper de tous les mots-clés qui ont fait leur engagement politique c'est complètement perturbant.

Les macronistes n'arretent pas de parler de nouveau et ancien monde. Qu'est-ce qui caractérisait, selon vous, cet ancien monde et au final est-ce que le nouveau est bien différent ? 

Virginie Martin : Je n'ai toujours pas compris ce qu'est le "nouveau monde" d'Emmanuel Macron. Est-ce faire de l'ouverture ? Sarkozy l'avait déjà fait avec Kouchner et Fadela Amara. Je ne vois pas en quoi sa vision du monde et de la politique est plus novatrice que celle de Benoit Hamon. Et quant à l'ancien monde, je ne le connais pas non plus. En tout cas, je ne vois pas en quoi Macron incarnerait le renouveau en politique. L'âge ne suffit pas. Il est entouré de vieux de la vieille (Gérard Collomb!) en plus. Bayrou ! Le casting est électoral, mais qui rappelle certainement et considérablement les pires moments de l'ancien monde. En tout cas ce n'est en rien moderne. Darmanin et Ferrand ne pensent pas pareil, j'ose le croire, et ont donc deux visions de la société. Si l'essentiel c'est d'avoir la majorité à l'Assemblée, c'est très ancien monde. Et en plus Macron a repris une verticalité présidentielle qui est celle de De Gaulle ou Mitterrand... on n'est pas face à Mark Zuckerberg, ce n'est en rien innovant. L'Europe de Jean Monnet, ce n'est pas moderne !

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