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Réforme du marché du travail : un projet qui sous-estime l'ampleur du chantier
©Reuters

Rendez-vous dans 10 ans

Si on veut relancer notre économie, il faut sortir des discours simplistes sur l'inversion de la courbe du chômage et se tourner de toute urgence vers les exigences de formation que demande la situation présente..

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Pourquoi donc sommes-nous condamnés à une reprise si lente, vers 1,5% de croissance au mieux en 2017, après des années de croissance si faible ? Sommes-nous scotchés à un potentiel de croissance autour de 1,2%, la moitié de l’avant crise ? Le taux de chômage à 9,6%, calculé par l’Insee avec les normes du BIT, est-il là pour durer ? La vérité est-elle plus noire ? Whirlpool, Arc, GM&S, voici les dossiers sociaux de nature industrielle qui ressortent, après la Présidentielle et avant les Législatives. Sont-ils la fin ou le début de nouveaux problèmes ? S’agit-il d’une résurgence qui « utilise » le moment politique, ou bien le problème de l’emploi est-il en France, et ailleurs, bien plus important et long à traiter que les raisons souvent avancées, et souvent politiques ? Les causes sont-elles la crise financière américaine des subprimes (2007-2008), les robots, la Chine, les multinationales, la globalisation… ?

Continuons : quel est le vrai taux de chômage en France : 9,6% ou 18% ? La France annonce en effet un taux de chômage de 9,6% au sens du BIT au premier trimestre 2017, avec une baisse de 0,4% nous dit l’Insee. L’amélioration vient des jeunes de moins de 25 ans, un peu des 25-49 ans, pas des 50 ans et plus. Mais, au même moment, la Banque centrale européenne nous parle plutôt de 18% de la population active pour décrire l’écart, le « mou », le slack, entre le chômage que nous connaissons, celui qui correspond aux salariés sans emploi et qui son immédiatement libres pour un emploi à temps plein (les chômeurs de catégorie A) et « les autres ». Viennent 3,5% de plus, soit parce qu’ils étudient des propositions d’emploi qui leur sont faites, soit surtout parce qu’ils sont découragés. Ajoutons 3% au moins de personnes en temps partiel subi : elles voudraient travailler plus, mais se contentent de ce qu’on leur offre. Ajoutons les personnes éloignées depuis longtemps de l’emploi… et nous en venons à un chiffre très élevé. Il marque l’écart entre la population immédiatement disponible et celle qui le sera si la situation économique s’améliore et surtout si elle bénéficie d’aides et de formations adaptées pour la « remettre en emploi ». Le plein emploi est une notion variable qui dépend de l’économie bien sûr, mais aussi des entreprises, de la formation et du dialogue social pour accepter ce retour en emploi : formations et salaire un temps réduit…

Deux fois plus de chômeurs en réalité : la France n’est pas seule à connaître un tel écart entre chômage de court terme et sous-utilisation de ses capacités humaines et sociales de production. L’Allemagne aurait ainsi, selon la même étude de la BCE, un taux de sous-utilisation de sa force de travail de 10%, pour un taux de chômage qui varie selon les sources de 4 à 6%. Et nous sommes à 25% pour l’Italie et à près de 30% pour l’Espagne. Toujours le double !

Cet écart entre la production possible et la production effective explique la lenteur de la reprise et la politique monétaire, dont la Banque centrale américaine est le modèle. Les Etats-Unis ont en effet une croissance autour de 2%, un taux de chômage officiel à 4,4%, une inflation qui va vers 2%, et des salaires en faible croissance (2,4%). Dans ce contexte, la Fed accompagne très lentement la hausse des taux d’intérêt, se disant que l’amélioration graduelle de l’activité aidera à une montée modeste des salaires de nature à faire revenir des chômeurs en emploi et à faire passer du temps partiel subi au temps plein. Le gradualisme est décisif pour réussir.

En même temps, nouveauté radicale, le plein emploi ne fait plus augmenter fortement les salaires, comme on le voit aux Etats-Unis et en Allemagne. Ceci permet donc de prendre le risque de politiques monétaires accommodantes, risque modéré au fond, pour réduire le « mou » de la force de travail. La courbe de Phillips est plate, comme disent les économistes. Le plein emploi ne fait pas exploser les salaires, car il ne s’agit plus de salaires de financiers comme dans les années 2000, mais de cadres, experts, ingénieurs, dans l’industrie et les services non financiers. Ensuite, les nouvelles technologies continuent de peser sur les salaires : désintermédiation, « disruptions », risque de déqualification… Nous ne sommes donc pas sortis de l’auberge.

La reprise américaine nous donne notre solution : elle ne vient pas de la hausse des salaires, inflationniste, pour relancer la demande mais de la montée des revenus par la montée des emplois, à salaire par tête en faible croissance. 10 ans après la sortie de récession, les Etats-Unis réduisent le slack de leur emploi et ouvrent la voie de cette sortie de crise par la « réparation » en profondeur de leur force de travail. Ils ont ainsi des taux courts réel négatifs (-1%) et des taux réels à 10 ans nuls ! Et tout est fait pour que la hausse des taux courts et longs soit très modeste. Le taux de chômage s’accommode d’une hausse modeste des salaires réels. 

L’essentiel est d’augmenter en France la production potentielle, par l’emploi et la formation. Saurons-nous comprendre la sortie de crise que nous vivons, ce que font la Fed et la BCE : préparer le terrain? Le risque existe en effet de vouloir hausser rapidement certains salaires (jeunes, métiers tendus, grandes villes) avec un effet de propagation, alors que l’essentiel réside dans la formation qui permet l’employabilité, puis l’emploi et la croissance dans la durée.

Il ne s’agit donc pas d’opposer politique de l’offre (par les profits et l’investissement à politique de la demande (par la hausse des salaires) mais de mettre au centre de la stratégie de reprise française la formation permanente, pour comprendre la révolution technologique en cours, et en bénéficier. C’est cette révolution qui est à la fois derrière la crise, et la lente reprise. C’est elle qui est aussi la solution. Encore faut-il le comprendre, et l’accepter.

« Inverser la courbe du chômage » : sortons donc de cette simplification, puisque le vrai chômage est le double de celui que l’on mesure ! La loi El Khomri, les politiques de formation dans et hors de l’entreprise, l’apprentissage, le lien école-entreprise… voilà les solutions. Les politiques monétaires ouvrent la voie et expliquent la moitié des résultats obtenus, mais les taux bas ont leurs limites et leurs risques. Surtout, ils ne peuvent faire les réformes en lieu et place des salariés et des entreprises. Rien de rapide, mais un vrai travail commun. Il ne s’agit pas de s’armer de patience, mais de courage et de ténacité.

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