Les Etats-Unis ont réussi à faire chuter le harcèlement scolaire : que pouvons nous en retenir ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Les Etats-Unis ont réussi à faire chuter le harcèlement scolaire : que pouvons nous en retenir ?
©wikipédia

Bien vivre à l'école

La lutte contre le harcèlement devrait être une priorité, notamment pour assurer la réussite scolaire des enfants. Aux Etats-Unis, le sujet est pris au sérieux et les éducateurs sont formés. En France, des querelles politiciennes freinent les progrès.

Eric Debarbieux

Eric Debarbieux

Eric Debarbieux est professeur en sciences de l'éducation. Il enseigne à l'Université Paris Est Créteil Val de Marne. Ses thèmes de recherche sont la violence en milieu scolaire. Il est l'auteur des principales enquêtes de victimation et de climat scolaire réalisées en France depuis 1996. La "violence" étudiée fait l’objet d’une définition large: délinquance, harcèlement et microviolences répétées, mais aussi violence de genre et châtiment corporel à l’école. Elle est étudiée en lien avec le climat scolaire. Eric Debarbieux est le président de l'Observatoire international de la violence à l'école.

Voir la bio »

Atlantico : Une étude sur dix ans menée sur des élèves du Maryland montre qu'aussi bien le nombre d'actes que les victimes et les témoins du harcèlement a baissé entre 2005 et 2013. Quels sont les chiffres pour la France ? Est-ce que les pouvoirs publics prennent conscience de ce problème ? 

Eric Debarbieux : Les pouvoirs publics ont pris conscience du problème. Cela a pris du temps, mais suite à une étude que j'ai publiée en 2011, le gouvernement de l'époque s'est montré très intéressé et des assises nationales contre le harcèlement ont été organisées en mai cette année-là. C'est cependant quarante ans après la Finlande ou la Suède. Beaucoup de choses ont été faites depuis lors. Des mesures ont été prises pour agir et pour mesurer le phénomène. On est plus dans l'ignorance. Luc Châtel, alors ministre de l'éducation avait organisé ces assises que j'ai présidé. Une enquête indépendante sur la santé mentale du HBSC, dirigé par l'OMS montre que les fait de harcèlement ont diminué de 2%. 

On a pris conscience de ces faits-là à partir d'enquêtes de victimation, on a demandé aux élèves ce qu'ils vivaient. La violence scolaire est constituée de petites violences, ce que l'on appelle les micros violences mais qui vont être concentrées sur un nombre réduit d'élèves. 10% d'élèves du primaires à partir du CE2, CM1 sont concernés dont la moitié est victime de violences sévères. Pour le collège les chiffres du gouvernement convergent avec ceux issus de nos propres enquêtes. Ces derniers sont réactualisés tous les deux à trois ans. Là aussi, 10% des élèves souffrent de manière régulière dont 5 à 6% qui souffrent de violences sévères. Au lycée par contre, le total des élèves touchés par le harcèlement baisse un peu puisque seuls 3% des lycéens sont concernés et 1,6% de manière sévère. C'est un phénomène qui s'observe au niveau mondial. Passé l'âge de 15-16 ans, le niveau de violence à l'école baisse parce que les enfants acquièrent une empathie supérieure et un jugement moral. 

Si les Etats-Unis se sont concentrés sur une période assez courte, de 2005 à 2013, pour la France, il faudra attendre plus longtemps pour voir une tendance. L'enquête HBSC de l'OMS montre une tendance à la baisse des actes de harcèlement au niveau mondial. Cette tendance doit s'accompagner de politiques publiques extrêmement vertueuses. C'est un combat qu'il faut maintenir au quotidien. Si on arrête, il faut tout recommencer. 

Tous les Etats fédéraux des Etats-Unis ont adopté des lois visant à lutter contre le harcèlement à l'école pour parvenir à ce résultat. Quels sont les enseignements peuvent être tirés du cas des Etats-Unis pour réduire le harcèlement à l'école ? Quelles sont les mesures concrètes qui peuvent être prises pour agir sur ces violences ? 

Les lois pour lutter contre le harcèlement à l'école existent. Une loi a été votée en juillet 2013 sur la refondation de l'école. Elle oblige les écoles et tous les établissements scolaires a mettre en place des actions de prévention. La loi d'aout 2014 a fait du harcèlement en milieu scolaire également un délit. Il faut faire attention en comparant avec le Maryland. Aux Etats-Unis, c'est beaucoup plus compliqué, les choses fonctionnent différemment. Des actions de formation de tous les personnels sont menées et rendues obligatoires. Elles sont très avancées avec beaucoup de formateurs qui connaissent le sujet du harcèlement. On ne peut pas s'improviser formateur. En France, il y a eu quelques avancées avec de plus en plus de conférences et de formations continues, mais cela reste encore insuffisant. Le gros chantier est d'accélérer les formations. Pour accepter ce type de formations, il faut penser au fait que le bien-être des enfants à l'école est très important, ce qui est compliqué à prendre en compte. 

Cela est difficile à mettre en place par le simple fait que l'on a encore aujourd'hui des arguments électoraux comme par exemple : "on va supprimer la pédagogie, la pédagogie c'est du laxisme…" Ces raisonnements sont d'une stupidité sans nom. On sait désormais qu'il y a une très grande corrélation entre harcèlement et apprentissage. Le harcèlement est un facteur majeur du décrochage et de l'échec scolaire. 20% aux Etats-Unis et 24% des élèves en France ne vont plus à l'école par peur du harcèlement. La réussite scolaire passe par la lutte contre le harcèlement. Il faut bien évidement tenir compte du bien être des élèves. 

Quelques mesures peuvent être prises comme la qualité de l'écoute. Il faut former les CPE et les professeurs. C'est la moitié du chemin. La chose suivante est comprise, y compris dans les textes officiels, en effet, si les enfants ne parlent pas du harcèlement, il ne s'arrêtera pas. En parler représente la moitié du travail. On sait que 50% des élèves qui en parlent. La moitié des élèves qui parlent de leurs problèmes de harcèlement vont mieux après.

Un prix contre le harcèlement a été créé. Des collectifs d'enfants se forment pour créer des outils de prévention au moyen de vidéos, d'affiches. Les agresseurs ont besoin d'un public. Il faut que les élèves s'en détournent en affirmant que ce n'est pas drôle. Une autre chose, c'est la surveillance de la cour de récréation. C'est un geste basique mais il exige une attention particulière. Il ne suffit de donner des conférences ou projeter des téléfilms. Il faut agir au quotidien. Le climat de l'établissement est primordial. Une grande attention doit être portée aux personnels des écoles et aux élèves. 

Quel est le poids du cyber-harcèlement ? Dans quelle mesure est-il plus violent ou non que le harcèlement classique ? Pour quelles raisons ?

Le cyber-harcèlement n'augmente pas le nombre d'élèves harcelés. Il y a un très fort lien entre cyber-harcèlement et élèves d'un même établissement, environ 80% des élèves d'un même établissement. On ne parle plus de harcèlement scolaire mais plus de harcèlement en milieu scolaire. Cela peut se produire à l'école comme à la maison. Il doit y avoir un travail en confiance entre parents et professeurs. Le risque augmente. Les attaques sont continues, sans arrêt. On accuse souvent les réseaux sociaux, mais c'est surtout par SMS que les cas de harcèlement ont lieu. Les questions concernant la prévention du cyber harcèlement sont très proches du harcèlement physique. L'association e-enfance fait du très bon travail dans ce champ-là. Un compte Facebook peut être coupé en 24 heures si besoin. Le numéro de téléphone 3020 est mis à disposition des parents ainsi que le site http://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ pour les aider. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !