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L'Europe, révélateur des failles de Marine Le Pen
©AFP

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Ancien responsable UMP et ex-directeur de cabinet du maire Stéphane Ravier (quartiers Nord de Marseille), Adrien Mexis revient sur ce qu'il considère comme deux impasses majeures pour le FN : l'éthique et la question européenne.

Adrien Mexis

Adrien Mexis

Adrien Mexis est haut fonctionnaire, spécialiste de questions européennes, qu'il a enseignées à Sciences Po. Il a quitté, en 2015, la direction du cabinet de Stéphane Ravier, maire FN du VIIe secteur de Marseille. 

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Le fiasco de Marine Le Pen sur l'Europe lors du débat d'entre-deux-tours, n'est pas qu'une marque d'amateurisme sur le fond de son programme. Il est le révélateur d'une difficulté plus générale à prendre des décisions, à trancher entre des options et des personnes. Cette incapacité à décider se retrouve dans sa non-gestion du FN au quotidien, et explique la désillusion de tant d'hommes et de femmes pourtant prêts à braver l'opprobre et à passer par pertes et profits son irréalisme euro-économique, persuadés qu'au moins, avec elle, ils pourraient incarner sur le terrain une exemplarité qui tranche avec les dérives associées aux anciens partis qui l'ostracisent. Nombreux sont ceux qui, une fois engagés, ont découvert une réalité différente, celle d'un isolement politique entretenu par un pilotage brouillon et indécis tant des hommes que des idées, fluctuant au gré des guerres d'influence qui font rage dans son entourage

Passons rapidement sur le cas d'école de ces derniers jours de campagne : le fait qu'elle a retiré de son projet, sur demande d'un allié pesant cinq fois moins de voix qu'elle, ce qui est pourtant la condition sine qua non de son propre programme économique, la sortie de l'Union européenne. Puis le fait qu'elle a réaffirmé son attachement à cet improbable horizon qu'elle-même venait de renvoyer aux calendes grecques...

L'important est ailleurs.

Il est tout d'abord que Marine Le Pen a dû admettre, d'un jour sur l'autre, que "l'on peut faire beaucoup tout en restant dans l'Union". Or, cet aveu, relayé illico par Florian Philippot, invalide tout simplement la stratégie d'ensemble que lui-même a impulsée avec Marine Le Pen. Depuis des années, matin, midi et soir, sur tous les plateaux, ils ne parlent que de ça. Ils en ont fait la mère de toutes les batailles, le cœur de l'identité même du FN - et la garantie de son isolement durable, stérilisant avec lui plus de 20% de l'électorat. En effet, les Français sentent bien que la plupart des blocages du pays (fiscalité, politiques sociales, gabegies locales, sécurité) ne viennent pas de l'Europe. Il savent aussi qu'en sortant de l'Union, c'est une concurrence nouvelle, monétaire et douanière, qui viendrait s'ajouter à la concurrence sociale et fiscale actuelle - celle-là même dont le FN se plaint déjà aujourd'hui, et qui provient d'un défaut d'harmonisation e uropéenne... 

Renoncer à quitter l'UE serait rassurant s'il avait été mûrement préparé, mais un tel changement altère tant l'économie d'ensemble de son projet qu'il aurait dû être décidé en début de campagne, alors qu'aujourd'hui il la laisse sans programme.

Mais surtout, derrière ce vrai-faux coup de théâtre, transparaît l'incapacité de Marine Le Pen à gouverner son propre parti : la réalité, c'est qu'elle devait sentir depuis longtemps que cet acharnement anti-UE était intenable, mais qu'elle s'était enferrée dans sa "rencontre intellectuelle" avec Florian Philippot - et qu'elle a donc profité de l'alliance avec Nicolas Dupont-Aignan pour faire passer, au prétexte de l'urgence, ce qu'elle n'osait pas décider contre son mentor et protégé.

C'est de cette même difficulté à trancher sereinement que proviennent les manques d'exemplarité du Front national : un parti qui vilipende le cumul des mandats jusqu'à ce que des barons se mettent à cumuler ; un parti qui dit lutter contre le népotisme jusqu'à ce que tel maire emblématique embauche son propre fils ; ou encore un parti qui fustige le clientélisme pro-bétonnage, mais laisse tel autre maire urbaniser l'un des derniers espaces préservés de sa région... Dans ces cas-là, le discours s'inverse : plus rien n'est national, le cumul s'explique par des situations locales ; un emploi à un SMIC par mois, ça n'est rien dans une ville ravagée par la pauvreté, etc.

Cette incapacité à trancher est une faille béante chez Marine Le Pen. Elle aurait pu s'éviter maints épisodes judiciaires - et les bruyants règlements de compte d'un Aymeric Chauprade - si elle avait su empêcher certains proches d'agir en coterie ou d'optimiser les règles de financement public des partis. De même, elle aurait pu éviter l'hémorragie d'élus locaux qui touche le FN, si elle avait su recadrer tel ou tel baron inapte à remplir sa charge. Au lieu de gouverner son parti, elle a laissé certains y avancer leurs pions, y adosser de belles affaires.

Je ne crois pas que Marine Le Pen soit personnellement affairiste ou malhonnête - non plus que raciste, d'ailleurs. Je crois en revanche qu'elle a du mal à décider, à aller contre des personnes et des pratiques qui l'éloignent de la majorité des Français. D'où ce flou dans la gestion comme dans le programme. Et si l'on n'est pas maître de son propre parti, comment le serait-on demain de la France ?

Contenir les intérêts privés est ce qu'il y a de plus dur en politique. J'ai croisé sur le terrain bien des gens qui, comme moi, ne s’engageaient pas pour aller contre l'Union européenne, mais qui voulaient surtout, sur le terrain - loin de Nanterre et de ses jeux de cour - mener un combat sans concession contre le clientélisme qui maintient des territoires entiers dans l'injustice sociale et le marasme économique. Un véritable éco-système qui confisque la richesse et étouffe l'initiative, à force de favoritisme et de copinages avec des intérêts bien installés.

L'on peut faire crédit à Emmanuel Macron de vouloir libérer les énergies de nos territoires ; mais s'il veut réussir, il devra s'attaquer aussi à ces authentiques fléaux dont on parle trop peu, fruits d'une décentralisation mal maîtrisée. Son parti est tout neuf, et il a tant d'impétrants qu'il peut se payer le luxe d'être sélectif dans ses représentants, et d'aller contre certains intérêts locaux aussi ancrés que douteux. Il a commencé à parler de moralisation de la vie publique : refuser tout candidat déjà condamné pénalement, assainir les attributions de logements sociaux, voilà un bon début. Mais il devra aller plus loin, par exemple en contrôlant le patrimoine des maires, ou en instituant un "délit d'initié" en matière d'urbanisme et d'aménagement commercial, ces compétences parfois détournées à des fins privées, au prix d'un étalement urbain insoutenable, du recul des terres agricoles et du dépérissement des centres-villes.

Autant de secteurs régaliens où l'Europe n'empêche personne d'agir pour la France.

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