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Débat présidentiel : ce que disent d'eux les mots employés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen
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Sémantique

Dans un débat présidentiel où l'on a entendu beaucoup sans toujours trouver de la cohérence, les méthodes de désignation de l'autre ou de soi et les stratégies rhétoriques ont joué un rôle important. Si Emmanuel Macron a essayé de se montrer distant, Marine Le Pen lui a reproché d'endosser le costume du maître.

Alda Mari

Alda Mari

Alda Mari est linguiste, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en sémantique. 

Plus d'informations sur https://sites.google.com/site/ensaldamari/home/

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Méthode : Cette analyse repose sur une écoute du débat et non pas sa retranscription. 

Le débat est, d’un point de vue sémantique, celui que l’on attendait. À un Macron présenté comme soumis au système et à l’Allemagne dans le lexique Le Penien, M. Macron s’oppose comme intelligent, pragmatique et raisonnable. 

À une Le Pen présentée comme obscurantiste par M. Macron, elle oppose une Le Pen heureuse, protectrice et proche du peuple. 

Evaluations croisées : Mots à propos de l’autre. 

Mme Le Pen recourt à la fois à des évaluations subjectives et à (ce qu’elle présente comme) des faits. Parmi les notions que Mme Le Pen présente comme factuelles, on retrouve les suivantes : ubérisation, discipline à l’égard de la commission européenne, ultralibéralisme, complaisance pour le fondamentalisme, conflit d’intérêt, « vous êtes à plat ventre devant l’Allemagne », « défendez une salle de marché ». Plus subjectivement elle emploie : méprisant, déloyal, arrogant, « infantilisez », « insultez », culpabilisation des français, faiblesse d’âme, aveuglement volontaire, petites lâchetés.  

M. Macron emploie des évaluatifs, subjectifs, forts. Il vise non pas tant la personne politique, mais la personne en soi. On retrouvera dans son lexique à propos de Mme Le Pen : pas d’esprit de finesse, pas de débat ouvert, repli, fermeture, « vous dites des bêtises » (5), « c’est triste »,  « ce que vous proposez c’est rien », liste à la Prévert, ridicule, mensonge, nourrit la division, nationalisme, « vous n’êtes pas digne », « vous montrez à quel point vous êtes indigne », « à vôtre indignité personnelle, vous salissez les uns et les autres », « vous êtes son parasite » (du système), obscurantisme. 

Mots à propos de soi.

A propos d’elle même Mme Le Pen emploie un lexique se cristallisant autour de la notion d’identité. Elle se dessine par les mots (et concepts) suivants : heureuse, peuple, France qu’on aime, civilisation, unité, protection, sécurité, souveraineté, revalorisation, culture, espérance. 

M. Macron se définit par les termes suivants : conquête, histoire, civilisation, rayonnement, puissance économique, changement, triomphe, flexibilité, souplesse, pragmatisme, système intelligent, lumière du monde.

L’emploi des modaux (il est nécessaire, il faut, je veux). 

Dès les débuts du débat, nous notons un emploi fréquent des modaux dits déontiques (indiquant « ce qu’il faut d’après les lois/besoins ») chez M. Macron, ils servent à appuyer et justifier son volontarisme. C’est la nécessité en soi qui s’impose à M. Macron. Il veut relever le défi, et accomplir ce qui doit être accompli. Les constructions impersonnelles (constructions en « on ») et infinitives sont nombreuses, toutes deux relevant de notions modales de nécessité. 

Mme Le Pen ne parvient pas à s’imposer sur ce terrain. L’emploi des modaux est moindre. Nous notons qu’ils deviennent plus nombreux au fil du débat, mais la candidate n’arrive pas à imposer ses buts comme la transcendant. 

Nous notons aussi un emploi plus prononcé du futur dit boulétique (ou de volonté) chez M. Macron que chez Mme Le Pen, révélant ainsi le positionnement argumentatif de M. Macron comme étant celui qui se situe du côté des propositions nouvelles, de la prise en charge et de l’initiative. M. Macron a une volonté pour la France, pour l’Europe, sait aussi quel est l’intérêt de M. Trump. Mme Le Pen, pour sa part, se situe du côté de l’équilibre, à une distance égale des autres nations, dans une France d’un poids égal à celui des Etats-Unis et la Russie. Elle parvient ainsi à s’approprier, sur le terrain de la diplomatie, les notions de raison et équilibre restées à l’apanage de M. Macron. 

Les structures concessives et fausses concessions. 

Nous notons aussi un emploi fréquent des structures concessives chez M. Macron. « Je vous concède que (A), mais (B)» Macron concède A, mais affirme B. Il se distancie ainsi de A (« ensuite, … le vrai problème » ; « vous avez raison, mais n’empêche que…. » ). Cette prise de distance devient explicite au fil du débat et se transforme en invective  (« … a fait son petit chapitre, on reprend »). M. Macron se pose ainsi comme le garant du vrai, il est celui qui vise les problèmes réels et, compétent, connaît les solutions. 

Mme Le Pen relève la posture de maître de M. Macron qu’elle fait mine d’accepter durant bonne partie du débat en citant les mots de son adversaire « je n’y connais rien ». Elle se distancie elle-même par un mouvement argumentatif en « pourtant », en arrêtant le jeu de rôle qu’elle a prétendu endosser, lorsqu’il s’agit de parler de diplomatie. 

Questions rhétoriques et questions oui/non

Mme Le Pen fait un ample usage des questions. Elles sont d’abord rhétoriques (« pourquoi n’en avez-vous pas fait profiter Hollande ? Vous avez eu les mains libres ! »). Elles se confondent ensuite avec les questions des journalistes à visée informative, à propos de la loi Taubira. Ce mouvement discursif marque un passage difficile pour Mme Le Pen dans le débat. Elle se relèvera une fois que le « pourtant » mentionné plus haut est lancé. 

Les génériques

Les génériques sont un moyen linguistique permettant de parler d’une classe et non pas d’individus et d’exprimer des généralisations à propos de la classe indépendamment des exceptions possibles. Nous notons un plus ample emploi des génériques chez M. Macron, notamment ceux employant l’indéfini « un » et exprimant des règles et des normes. Encore une fois nous retrouvons ici un indice linguistique de la prise en charge de la posture présidentielle de la part du candidat Macron, qui pose déjà des diagnostics sous forme de généralisation et regarde la société tout en s’en distanciant et endossant la fonction dont il demande l’investiture. 

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