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La nouvelle “classe inutile” ? Comment un millennial sur deux pourrait se retrouver en concurrence avec un robot
©Allociné / HBO

Tripalium

La robotisation devrait mettre en danger de nombreux métiers, et pas seulement les métiers peu qualifiés et peu rémunérés : nombre d'emplois "répétitifs" sont concernés. Ce qui rend complexe l'équation de l'avenir du travail dans nos sociétés contemporaines.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Une étude du Boston College anticipe qu'un Millenial sur deux sera en concurrence pour un emploi avec un robot d'ici quelques années. Quels sont les emplois et domaines concernés par cette concurrence grandissante ? 

Sarah Guillou : On assiste à un regain d’inquiétudes à l’égard du progrès technique qui fait se multiplier les études prospectives et les mises en garde des travailleurs et des gouvernements sur une disparition des emplois. Comme les progrès de l’intelligence artificielle sont de plus en plus médiatisés  -- des voitures sans chauffeur aux diagnostics médicaux sans médecins en passant par les entrepôts sans manutention – la menace se fait de plus en plus tangible. L’inquiétude à l’égard du progrès technique n’est pas nouvelle, elle s’exprime avec récurrence depuis la révolution industrielle. Mais aujourd’hui, n’est-ce pas différent ? Si la menace était identique aux précédentes vagues de progrès technique, on se rassurerait des adaptations passées, qui n’ont certes pas empêché la douleur de certaines transitions, mais qui n’ont pas fait disparaître le travail. Les nouvelles technologies ont fait naître de nouveaux besoins et de nouveaux emplois. En sera-t-il de même demain ?

Ce qui laisse supposer que la vague technologique est différente aujourd’hui est qu’elle est susceptible de toucher tous les emplois plus ou moins répétitifs et pas seulement les moins qualifiés. L’étude du Boston College met l’accent sur le caractère répétitif des tâches. Le travail est répétitif si la séquence qui conduit au produit final peut se codifier car elle inclut un ensemble de choix qui se répètent et qui se décident en fonction de critères objectifs. Point n’est besoin de la subjectivité cognitive pour parvenir au résultat. Autrement dit tout ce qui n’est pas créatif, soumis à l’esthétique visuelle ou fonctionnelle, au jugement humain, à l’adaptation aux circonstances et à l’aléatoire subjectif pourrait se voir substituer par un robot.

L'étude montre le côté positif de cette évolution : les Millenials vont être poussés à faire des métiers moins "répétitifs" ? Sera-t-on capable de compenser les destructions massives d'emplois par la robotisation en créant ces postes, où faut-il s'attendre à une situation de chômage massif comme le prévoient certains économistes plus pessimistes ? 

Oui, en effet, le côté positif est que la demande d’emploi va se porter sur ces compétences qui incluent la créativité, l’esthétique, l’innovation et la mobilisation de l’intelligibilité subjective et circonstancielle. Les emplois répétitifs et abrutissants vont se tarir. Mais ce ne sera pas si immédiat que cela. Les trajectoires seront très différentes selon les résistantes sociales, morales voire religieuses : autrement dit la culture aura son mot à dire. On voit bien que l’adoption de la robotisation n’est pas identique dans les pays qui y ont un égal accès. Ensuite, la technologie est aussi créatrice de nouvelles opportunités, donc de nouveaux emplois, de nouvelles tâches, de nouveaux besoins, de nouvelles conquêtes. Le développement durable et les nouvelles énergies sont une source majeure de nouveaux emplois, les nouveaux moyens de transport vont appeler de nouvelles infrastructures, l’intelligence artificielle va permettre de redéployer l’intelligence humaine vers d’autres tâches. Non seulement, le progrès technique modifie les emplois avant de les faire disparaître mais il crée aussi un large potentiel de nouvelles opportunités. 

On ne peut cependant pas s’empêcher de penser qu’un scenario du pire à long terme est aussi possible. Tout laisse croire que le dualisme du marché du travail va se renforcer posant de réels problèmes, au mieux, d’adaptation, au pire, de cohésion sociale. Une vision extrême verrait se dessiner une société de dominants détenteurs des compétences cognitives non répétitives et de dominés dépendants des revenus créés par les premiers.

Ce genre de prévision ne risque-t-elle pas de renforcer l'opposition entre vainqueurs et perdants de la mondialisation, et de soulever plus fort encore la question des inégalités ?

En fait, il s’agit des vainqueurs et perdants du progrès technique du point de vue du travail. Or il existe aussi d’autres points de vue, celui du consommateur et du malade par exemple, dont la technologie peut augmenter le bien-être. Mais étant donnée la valeur structurante du travail, il est évident que la place de celui-ci dans la société est la question centrale du futur.

Or, on sait aisément prévoir ce qui se poursuit à partir des données du passé mais on ne sait pas anticiper les ruptures et prévoir les réponses aux chocs. En d’autres termes, on se dit, qu’au train où vont les choses, c’est bien vers un tel dualisme que se dirige le marché du travail. Mais cela suppose que le processus soit linéaire et que toutes choses soient égales par ailleurs. Or ces hypothèses ne se vérifieront pas, ce qui rend l’avenir incertain.

Il est cependant  réaliste, au vu de l’addition des effets de la globalisation, de réfléchir d’une part aux moyens de renforcer les capacités d’adaptation et de reconversion des travailleurs et d’autre part à de nouvelles formes de partage des revenus du travail et du capital. Il faut impérativement que nos sociétés investissent dans la formation continue et facilitent la mobilité des travailleurs.

Du côté du partage des richesses, le revenu universel offre une solution concrète et pratique mais il ne résout pas la question du sens et de la cohésion sociale qui repose sur une contribution au bien collectif partagée pour que le plus grand nombre trouve sa place. Il faut donc réfléchir à une plus large participation des salariés ou des citoyens au capital productif, une démocratisation des revenus du capital en somme. Cela pourrait permettre en outre une participation aux trajectoires du progrès technique dont les entreprises sont les vecteurs.

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