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Macron / Le Pen... sous le regard plus crispé que jamais des Français : qui a intérêt à quoi dans le débat d'entre deux tours ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Entre-deux-tours

Ce mercredi soir, le débat télévisé qui opposera Marine Le Pen et Emmanuel Macron présentera des enjeux très différents pour chacun des candidats. Pour bien comprendre les positionnements de chacun, voici un petit décryptage préalable des quelques sujets-clés.

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : En ce jour de débat de 2e tour de l'élection présidentielle, que voient les Français en chacun des candidats? Quelles sont les qualités et les défauts que leurs prêtent les électeurs, sur leur honnêteté, leurs compétences, leurs capacités à gouverner le pays, leur présidentialité etc...?

Frédéric Dabi : Il y a une meilleure appréciation en termes d'opinion pour Emmanuel Macron que pour Marine Le Pen. La confiance des français atteint 40% pour Emmanuel Macron et moins de 30% pour Marine Le Pen. En parallèle, on est face à des électeurs qui considèrent qu'l y a des avantages et des inconveniants pour les deux. 

Emmanuel Macron a plusieurs atouts. Il incarne un Président jeune, une bonne personnalité, il est passé par le privé et est à l'écoute des français. Enfin, il parle à la droite et à la gauche, ce qui est un point important pour les français qui le trouvent également honnête. Mais en même temps il y a aussi une vraie interrogation sur son projet politique et sur ce qu'il incarnera en tant que Président et beaucoup ne votent pour lui que pour faire barrage à Marine Le Pen.

Marine Le Pen a des électeurs à fond derrière son projet, non seulement sur les questions de l'immigration et de la lutte contre le terrorisme mais on note aussi une véritable dimension sociale. Enfin, une partie importante des électeurs veulent vraiment la voir au pouvoir. "Pourquoi ne pas l'essayer?" se disent-ils. Elle parle du réel et emploie des termes qui permettent d'exposer la situation de la France clairement. Elle reste rebutante pour beaucoup de français néanmoins et est souvent critiqué pour son attitude "extrême droite" par une majorité des électeurs. 

Sur la base de la perception des Français, comment chacun des candidats doit il se positionner pour répondre à ces préoccupations formulées par les Français ? Sur quelles faiblesses les deux candidats pourront ils s'appuyer pour tenter d'affaiblir leur concurrent ? 

Frédéric Dabi : Emmanuel Macron devra faire face à un enjeu de clarification de son projet. Notamment pour la part des électeurs de gauche qui doutent des contreparties sociales de son projet, perçu comme trop libéral. 

Du côté de Marine Le Pen, une partie de la société française est inquiète de la voir accéder aux responsabilités du fait que l'identité du pays qu'elle porte ne correspond pas notre identité nationale. Elle devra convaincre à ce niveau. 

Donc un enjeu de réassurance sur la norme social pour Emmanuel Macron et de positionnement politique pas "si à droite que ça" pour Marine Le Pen. 

Eric Verhaeghe : Selon toute vraisemblance, Marine Le Pen ne devrait pas "rattraper" son retard sur Emmanuel Macron. Elle ne courra donc pas avec l'intention de remporter l'élection. Cette situation, qui peut paraître inconfortable, la rend en réalité extrêmement redoutable. Sur le papier, en effet, elle n'a pas grand chose à perdre et peut donc se permettre de prendre des risques interdits au candidat favori.  Cela dit, elle devra soigner quelques sujets majeurs pour "l'après".

Bien entendu, "l'objectif de guerre" premier de Marine Le Pen sera d'affaiblir autant qu'elle le pourra Emmanuel Macron. Le Graal consistera sans doute pour elle à le déstabiliser et à le pousser dans ses retranchements jusqu'à lui faire perdre son sang-froid. L'enjeu est de démontrer que son rival n'a pas les épaules assez larges pour assumer la présidence. Une bonne partie du débat devrait d'ailleurs être focalisée sur cette question de la crédibilité personnelle d'Emmanuel Macron.

Pour son adversaire, le débat devrait se révéler beaucoup plus délicat et glissant. Emmanuel Macron doit en effet "épaissir" sa stature présidentielle et confirmer aux électeurs qu'il constitue un choix crédible et rassurant pour le 7 mai. Cette situation lui laisse peu de choix: il doit convaincre, maîtriser la situation et faire la preuve de sa capacité à endiguer les assauts de sa compétitrice. Autant dire que l'exercice sera complexe, dans la mesure où il devrait être à l'aise autant dans la défensive que dans l'offensive, sans paraître ni agressif ni polémique.

Au premier chef, Emmanuel Macron devra apparaître comme crédible dans la peau d'un futur chef d'Etat, à la tête de la cinquième puissance mondiale. Sur ce point, son extrême jeunesse et son absence d'expérience élective poussent les Français à l'observer à la loupe et à disséquer ses faits et gestes. On se souvient ici de ses cris à la fin d'un meeting de campagne, qui ont marqué les esprits tant ils ont nourri le sentiment d'une fragilité chez ce personnage. Le candidat devra donc prouver sa parfaite maîtrise émotionnelle et sa capacité à dégager du leadership face à un ennemie irréductible.

En quoi les différences d'enjeux pour les deux candidats peuvent-ils également changer la donne ? S'il est possible de considérer que Marine Le Pen a moins à perdre qu'Emmanuel Macron, quelles sont les limites de l'exercice pour le candidat d'En Marche ! qui s'apprête à relever la tache de la formation d'une majorité, notamment entre ceux qui refusent le libéralisme et ceux qui veulent une réponse plus forte sur le terrain de l'identité et du terrorisme ?

Frédéric Dabi : Chaque chose en son temps. Il y a déjà un enjeu fort qui est la présidentielle pour Emmanuel Macron qui doit la remporter la plus largement possible. Et faire en sorte qu'il y est la perception qu'on ne vote pas seulement contre Marine Le Pen mais aussi pour lui. Dans ce contexte là il faut une forme d'adhésion à son projet. On sait que même ses électeurs ne lui font pas totalement confiance dès le départ. 

On voit qu'on est face à des électeurs qui ont envie d'être plus convaincu par les propos de Macron ils ont plus d'enthousiasmes à l'égard de ce qu'il peut proposer qu'envers la candidate du Front National. 

Eric Verhaeghe : Comme le montre le sondage Atlantico, l'électorat d'Emmanuel Macron exprime de fortes attentes, notamment vis-à-vis de la "démocratie sociale". Celles-ci sont, à certains égards, orthogonales avec les intentions affichées par le candidat. Sur les questions sociales, Macron est plutôt jacobin, amateur d'étatisation et de sortie du paritarisme. Son électorat présente des caractéristiques beaucoup plus girondines avec un attachement manifeste aux corps intermédiaires. 

S'il veut avoir une chance de disposer d'une majorité parlementaire stable et claire, Macron devra donc revisser quelques boulons pour se rapprocher de son électorat. Ce débat constituera donc pour lui un exercice d'explication mais aussi de rencontre avec des électeurs qui, à ce stade, le connaissent mal et peuvent s'estimer désarçonnés par le manque de clarté de certaines propositions. 

Emmanuel Macron devra, ici, désamorcer d'éventuels malentendus qui pourraient lui porter préjudice une fois au pouvoir.

On le mesure: les déterminants que Macron devra intégrer dans le débat sont plus nombreux, plus contradictoires et plus sensibles que ceux qui pèseront sur Marine Le Pen. L'exigence à laquelle il sera soumis pourrait se révéler redoutable et il pourra considérer cette épreuve comme un succès s'il n'y laisse pas quelques précieux points.

Au regard de la perception des Français, quels sont les arguments ou les thématiques que pourraient utiliser Marine Le Pen pour réussir sa tentative de dédiabolisation de son parti, dont l'objectif serait de faire du Front national le principal parti d'opposition ?

Frédéric Dabi : Il y a la perception qu'on est face à une position d'ordre sociale, dès lors elle peut rassurer une partie des électeurs de gauche, qui aujourd'hui sont interrogatifs, sur ce qu'elle peut porter en tant que candidate. Si on a le sentiment qu'il y a des engagements extrêmement libérales ou qu'elle s'engage sur une politique qui mène à une sortie de l'euro, alors cela peut créer une tension plus forte chez les français. C'est sur ces points que ce joueront la dédiabolisation de son parti. 

Eric Verhaeghe : Un élément essentiel de la stratégie de Marine Le Pen consistera, dans l'ensemble du débat, à asseoir son image de candidate du peuple contre les élites incarnées par Emmanuel Macron. Le clivage social qui a commencé à prendre forme sera au coeur des échanges. Forte de sa certitude de ne pas gagner, Marine Le Pen pourra cliver abondamment sur ce sujet. La réciproque pour Emmanuel Macron ne sera pas vraie, en revanche. L'asymétrie des enjeux devrait ici largement profiter à la candidate frontiste. 

Le Fn est crédité de 25 sièges possibles aux législatives. Dans tous les cas, Marine Le Pen aura besoin de "mordre" sur l'électorat républicain pour consolider ce pronostic, voire pour le dépasser. Le jeu des triangulaires pourrait en effet se révéler redoutable pour les candidats frontistes. Durant le débat, Marine Le Pen aura donc besoin d'insister sur ses ouvertures à droite. L'alliance avec Dupont-Aignan devrait revenir sur le tapis, et Marine Le Pen insistera probablement sur les lignes qu'elle a commencé à ouvrir avec lui. 

On suivra avec intérêt ses propos sur l'euro. Selon la tonalité qu'elle leur donnera, nous serons fixés sur son intention d'ouvrir ou non son positionnement vers la droite ou vers la France Insoumise. Dans la perspective des législatives, le bon sens pour le FN est de privilégier l'ouverture vers les Républicains.

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