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Philippe Bilger : "Les Français sont-ils des enfants qu'on a besoin de semoncer, de mettre en marche, de tenir par le bras pour que jamais ils ne se déterminent dans la liberté, l'impartialité et la qualité d'une vraie joute républicaine ?"
©Reuters

De la pudeur, pitié

Serait-il inconcevable qu'on laisse les deux candidats s'affronter avec leurs forces et leurs faiblesses et que mon favori Emmanuel Macron l'emporte, sans qu'on éprouve ce sentiment très désagréable pour un citoyen que les dés ont été en partie pipés ?

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Zidane sort de sa réserve et Omar Sy de son silence. Et, devinez quoi, ils sont contre le FN et Marine Le Pen.

Bertrand Delanoë compare la situation politique en France aujourd'hui avec celle de l'Allemagne quand les derniers résultats électoraux  n'avaient pas donné la majorité absolue au chancelier Hitler. Et donc Marine Le Pen est peu ou prou Hitler. Personne, évidemment, ne proteste contre cette scandaleuse et immorale assimilation. Tous les coups, même les plus honteux, sont permis puisqu'il ne s'agit que du FN et de ses quasiment huit millions d'électeurs forcément bornés et obtus.

La paroisse de Saint Merri à Paris nous enjoint religieusement de voter contre le FN.

L'université de Poitiers croit nécessaire de faire connaître son opposition au FN.

Trente trois rédactions de grands médias déplorent que le FN n'accueille pas à bras ouverts les quotidiens, les télévisions et les sites qui régulièrement et mécaniquement lui sont hostiles.

Des services publics, des institutions et des syndicats (sauf FO), par la bouche de leurs responsables, sont sortis ostensiblement de leur neutralité avant le second tour.

Le président de la République qui n'a plus que cela à faire se mêle de ce qui ne le regarde pas et avec force métaphores météorologiques nous confirme qu'il déteste le FN que pourtant il a fortement contribué à amplifier. Il serait assez comique, si la cause n'était pas grave, d'entendre le mal proposer le remède. Et jouer les guérisseurs.

Le rouleau compresseur est en marche depuis le premier tour et il aboutira à l'élection d'Emmanuel Macron.

J'en suis heureux par avance pour ce dernier et pour moi puisque je voterai pour lui.

Mais tout de même quel drôle de pays, quelle étrange démocratie ! Pour ma part, à un niveau infiniment modeste, comme toutes les grandes voix humanistes se taisent ou ont peur ou sont seulement mobilisées contre le FN, je ne peux pas supporter ce qui, après 2002, vient faire de cette campagne présidentielle un combat honteusement inégal. Ces personnalités sont angoissées à l'idée de récuser le FN sur un plan politique mais en même temps de devoir défendre une certaine conception de l'équité républicaine. Alors lâchement elles disparaissent sous la table démocratique. Et laissent un déplorable Attali moquer le peuple et sa détresse qui est une "anecdote".

Serait-il inconcevable qu'on laisse les deux candidats s'affronter avec leurs forces et leurs faiblesses et que le 7 mai l'emporte mon favori sans qu'on éprouve ce sentiment très désagréable pour un citoyen que les dés ont été à nouveau en partie pipés ?

Les Français sont-ils donc des enfants qu'on a besoin de semoncer, de mettre en marche, de tenir par le bras, d'aider à traverser la rue politique pour que, au grand jamais, ils ne puissent se déterminer dans la liberté, l'impartialité et la qualité d'une vraie joute républicaine ? A-t-on donc si peur du FN qu'il faille ajouter à la détestation partisane qu'il inspire à beaucoup un supplément d'ostracisme, une couche d'animosité permanente en oubliant que ceux sur lesquels on crache sont aussi nos compatriotes ?

Ai-je le droit de dénoncer cette surenchère vulgaire qui voit la gauche et la droite confondues se ruer comme un seul réflexe sur Emmanuel Macron qui n'attendait pas tant de soutiens de la 25è heure ? Aurait-il été dégradant de se donner le temps de la réflexion et éventuellement de se rappeler que les militants et les adhérents existaient et que leur donner la parole n'aurait pas été indécent ? Et les consulter une obligation ,

Suis-je incorrect si je m'amuse d'une France qui s'émerveille parce qu'un Zidane a proféré deux ou trois mots qui flattent son conformisme et lui donne l'impression que le sport est passé du bon côté? J'ai scrupule à le souligner mais le désintérêt médiocre d'un Antoine Griezmann qui ne connaît même pas les noms des candidats est presque reposant !

Pour les artistes c'est fait depuis longtemps et pas une seconde nous n'avons pu oublier que ces êtres de lumière étaient les plus légitimes pour vitupérer les ombres, l'abject et le nauséabond, termes préférés et décisifs du vocabulaire anti-FN de la gauche à la mode ! Omar Sy nouvelle idole du socialement et politiquement correct vient couronner le camp de l'ignorance engagée prenant un danger politique pour la "peste brune".

Par rapport à 2002, je devine comme la contestation instinctive est plus difficile à tenir. La fille n'est pas le père et même si on s'acharne à substituer à la lutte politique la stigmatisation morale, celle-ci n'est plus crédible mais ne demeure qu'à cause de la paresse médiatique et civique qui, faute de savoir pourfendre un parti qu'on a laissé dans l'espace démocratique et donc a droit aux garanties et aux protections de ce régime, ne parvient pas à quitter le terrain de l'opprobre éthique n'ayant aucun effet sur le plan électoral, bien au contraire.

Cette mobilisation immense et à peu près consensuelle contre le FN, qu'on s'imagine être une machine de guerre, est en réalité une machine à faire monter le score du FN au second tour. Totalement contre-productive. Michel Onfray a souligné qu'on n'a cessé de nourrir le FN qu'on prétend combattre. Il y a des mobilisations qui ne font pas honneur à ceux qui les mènent, moins parce qu'elles dérogent à des principes fondamentaux qu'à cause de leur caractère dévastateur dans une France qui est à l'âge adulte et a la faiblesse de vouloir choisir librement et sans contrainte son président. On n'est pas citoyens sous la dictée ! Pour l'être véritablement, il faut que le contradicteur ait eu sa chance. Des armes égales.

Il convient de rendre hommage à Jean-Luc Mélenchon qui ne votera pas évidemment pour Marine Le Pen mais gardera secret son choix. Comme on a mal compris le silence, qui avait de la classe, du héros de la France insoumise ! Comment pouvait-on imaginer qu'il se mêlerait à la cohorte désordonnée et hétérogène de tous ceux qui, la morale à la bouche mais pas vraiment dans le comportement, décrèteraient sur le champ un soutien totalement contraire à leurs convictions et discours précédents !

La démocratie authentique doit avoir de la pudeur.

Mélenchon a donné une leçon. Si j'avais à suivre une incitation pour me déterminer, ce serait la sienne qui m'inspirerait.

Triste République !

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