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"Histoire secrète de cinéma français" : quand Jack Lang a voulu créer un "état de grâce" audiovisuel
©AFP

Bonnes feuilles

Pendant trois ans, Michel Pascal a recueilli les confidences inédites des plus grands noms de la profession, mais aussi celles des patrons et des hommes politiques. Aucun scénariste n'aurait osé imaginer les complots, les pièges, les hasards qui ont forgé les individus, les films et les compagnies pendant cet âge d'or. Extrait de "Histoire secrète de cinéma français", de Michel Pascal, aux Éditions Robert Laffont (2/2).

Michel Pascal

Michel Pascal

Journaliste, critique et chroniqueur de cinéma, Michel Pascal a travaillé pour Le Point, Europe 1, Canal +, et France 2. Depuis 30 ans, il a rencontré, filmé et interviewé les plus grands artistes, financiers et producteurs, faisant de lui un témoin privilégié du cinéma français.

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Si les années 1970 ont vu l’État en net retrait sur le secteur de la culture ou des images, il n’en sera pas de même des années 1980 où le nouveau locataire de la rue de Valois ne cessera de multiplier les actes forts, et de le faire savoir avec un sens aigu de la communication. Malraux comme Lang font partie du monde culturel et agissent à leur poste avec un tempérament d’artiste. Quant à François Mitterrand, il se tient informé des affaires du cinéma par l’intermédiaire de Christine Gouze-Rénal, sa belle-sœur qui est aussi productrice, et du mari de celle-ci, le comé- dien Roger Hanin. Il organise des projections privées à l’Élysée et rencontre des artistes ou des producteurs. Il suivra de très près les péripéties de la Gaumont un peu plus tard. 

Jack Lang prend en main son ministère vingt-quatre heures sur vingt-quatre, imposant à ses collaborateurs un rythme de travail effréné et ne cédant sur aucun détail. Sa femme, Monique, tient l’agenda : ce qui signifie qu’elle a un droit de regard important non sur les décisions mais sur leur rythme, en agissant sur les visiteurs et sur le calendrier. Gilles Jacob, retrouvant le couple sur les marches de Cannes un ou deux ans avant son départ, leur a lancé mi-figue, miraisin : «Vous pouvez dire que vous m’en avez fait voir!»

Avec derrière lui un pouvoir fort, de l’Élysée jusqu’au Parlement où la gauche est largement majoritaire dès juin 1981, le ministre sait qu’il ira au bout des chantiers qu’il entreprend au début du septennat. 

Il va vite. Il veut rattraper le retard, tous les retards. Les politiques savent qu’il faut profiter de ce que l’on appelle l’«état de grâce ». 

«À part le pull de Giscard, la France était archaïque, se souvient Pierre Lescure passé d’Antenne 2 à Europe 1 avant de rejoindre et de piloter la grande aventure Canal Plus avec André Rousselet. On ne parlait pas anglais, on ne regardait pas ce qui se passait aux États-Unis ni en Angleterre ou en Allemagne. On était peu nombreux à se déplacer dans les festivals internationaux de télévision. On était un pays de technocrates et d’ingénieurs. On parlait de réseaux, d’eau, de tuyaux, de fibre ou de câble, mais personne ne se souciait de ce qu’on allait mettre dedans! On était un pays léthargique...» 

François Mitterrand veut donc en finir «avec un audiovisuel public qu’il juge désuet, inadapté et malveillant, car il en a souffert vingt-cinq ans dans l’opposition», comme l’écrit André Rousselet dans ses Mémoires. Mais pas question pour autant de renoncer à un service public fort : cela fait même partie des doctrines de la gauche qui vient d’être élue. Le nouveau président donnera pourtant, à la surprise de son entourage, de sacrés coups de canif à cette règle... 

L’élan créatif de Jack Lang se manifeste dans tous les domaines. Tout est en ébullition, et pour cause, il y a tout à faire. S’il y a eu un «choc pétrolier» sous Giscard, il y aura bien un «choc audiovisuel» sous François Mitterrand.

En même temps que la Haute Autorité pour la télévision, le gouvernement de Pierre Mauroy crée un Conseil national de la communication audiovisuelle composé de sept collèges de sept membres chacun, avec de nombreux artistes et intellectuels, pour préparer l’ensemble des secteurs de la culture à une évolution rapide. 

La première explosion, avant la télévision ou le cinéma, vient de l’autorisation d’émettre accordée par la loi du 24 juillet 1982 aux trois cent quatre-vingt-dix-sept radios locales privées. C’était une promesse de campagne de Mitterrand qui a aboli le monopole de la radio et de la télé- vision le 9 novembre 1981 : il existait depuis la Libération. Les radios dites «pirates» deviennent «libres». Il se trouve que le profil de leurs auditeurs correspond exactement au public des salles obscures, et leur arrivée massive sur le marché va provoquer un ralliement à la publicité radio qui s’empare des ondes pour lancer les nouveaux films et alimenter les stations en informations ou reportages sur les sorties à venir. 

Mais le fait majeur, c’est bien l’application à la télévision des mécanismes vertueux du cinéma. De même qu’il existe un compte de soutien depuis 1946 qui prélève l’argent à la source sur le prix du billet en salle et le redistribue aux ayants droit, hors exploitants, la mission Bredin débouche sur l’invention d’une seconde taxe pré- levée sur les chaînes de télévision pour alimenter un deuxième compte de soutien audiovisuel qui va permettre à une génération de nouveaux producteurs d’éclore et de travailler. 

La télévision était un «mauvais objet» : en la traitant comme le cinéma, on en fait un lieu de création puissant et novateur. La symbolique est forte et l’impact financier énorme. Comme on est à la veille de l’arrivée des nouvelles chaînes privées, le filon qui vient de s’ouvrir va changer totalement la donne économique du secteur des images. 

«C’est la seconde couche qui arrive après la couche Malraux, raconte le producteur Alain Rocca dont la société Lazennec sera directement issue de cette nouvelle manne. Nous sommes les jeunes hussards de cette réglementation. À partir des années 1980, nous sommes le pays où un rêve de film a le plus de chances de devenir une réalité, puisque le système d’agrément est revu et que l’État nous aide à régler nos problèmes financiers en nous appuyant auprès des organismes bancaires.» 

Et ce n’est pas tout. Car au réajustement du compte de soutien et à la nouvelle taxe, il faut ajouter les obligations d’investissement des chaînes, la création des Soficas (un abri fiscal en faveur de la production) et la chronologie des médias. Un véritable arsenal pour un bilan qui n’a pas changé trente ans après : plus de deux cents films français continuent à se produire chaque année. 

Jack Lang y ajoute l’aide directe à certains projets audacieux («un arbitraire éclairé et voulu», dit le ministre) – dont bénéficieront Bresson, Wajda, Tarkovski ou Chahine –, mais aussi des aides aux industries techniques, à l’exploitation, au court métrage, et l’inauguration en 1986 de la nouvelle école qui va remplacer l’Idhec – qui ne s’est pas remise des contrecoups de Mai 68 –, la Femis. Plus un lifting complet des mécanismes de censure et des interdictions. Le premier Mad Max de George Miller, classé X pour violences en 1979, et donc invisible, va sortir en 1982 avec une simple interdiction aux mineurs. 

La cerise sur le gâteau sera, à partir de juin 1985, la création du symbole langien par excellence : la fête du Cinéma. Elle permet au métier de sabler le champagne dans les allées du Palais-Royal, sous les fenêtres du ministère de la Culture, mais pas seulement... La fête offre au public un passeport à prix unique pour voir autant de films qu’il veut d’abord dans la journée, puis sur trois ou quatre jours, passant de 1 franc symbolique la première année à 4 euros pour quatre jours désormais, et déplaçant de un à trois millions de spectateurs dans les salles, toujours vers la fin du mois de juin.

Extrait de "Histoire secrète de cinéma français", de Michel Pascal, aux Éditions Robert Laffont

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