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À quoi ressemblerait vraiment la France six mois après l'élection d'Emmanuel Macron ?
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Politique fiction - Scénario 2

Suite à l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, un 3e tour social ne serait notamment pas à exclure dès la rentrée.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Arrivé en tête au premier tour, Emmanuel Macron tente aujourd'hui de fédérer le peuple français. Dans le cas d'une victoire du candidat d' "En Marche!", quelle pourrait être la situation du pays à un horizon 6 mois ? Un risque de mouvements sociaux, d'ores et déjà considérés par les syndicats, es- il envisageable ? 

Jean Petaux : Dans le délire fantasmatique de sa qualification pour le second tour, Mélenchon a pensé, pendant toute la campagne du premier tour, qu’il allait convaincre qu’il serait le mieux placé pour battre Marine Le Pen le 7 mai. C’est la raison pour laquelle il lui fallait non seulement se qualifier lui-même mais qu’elle se qualifie elle aussi. Sur ce dernier point, son vœu a été pleinement exaucé. Sur le premier, hélas pour lui, ce qui le concernait directement, il a échoué. Et son dépit au soir du 23 avril, doublé certainement d’une blessure mortelle à son égo surdimensionné, s’est transformé en détestation affichée et publiquement revendiquée d’Emmanuel Macron. C’est dans la construction intellectuelle de tous les trotskistes qui entourent Mélenchon (Alexis Corbière, Charlotte Girard, Raquel Garrido, etc. mais aussi de Mélenchon lui-même) nourris au "lambertisme" et autres chapelles sectaires qui fracturent la IVème Internationale que de fonctionner sur des exclusions, des procès en sorcellerie et autres anathèmes. "Les trotskistes sont authentiquement des flics" : c’est ce qu’ont toujours considéré les militants du Parti communiste français (à l’époque où il y avait un Parti et des militants) et ils avaient parfaitement raison. Donc, tout occupés à ostraciser Macron, à jouer sur les mots et des slogans minables comme "ni fasciste, ni banquier", les mélenchonistes ont tout simplement allumé la mèche à retardement d’un troisième tour social que les grandes centrales syndicales auront toutes les peines du monde à contrôler…  Là encore l’effet "législatives" va sans doute jouer en faveur d’ "En Marche !" et d’Emmanuel Macron nouvellement installé à l’Elysée. Mais au retour des vacances, la rentrée risque d’être sérieusement agitée. La question n’est pas d’ailleurs de savoir si cette explosion sociale se produira ; elle est plutôt de savoir sur quel projet de réforme et à quel moment ?

Car, en tout état de cause, sauf inversion considérable des courbes et des intentions de votes, on s’oriente plus vers une "mauvaise élection" d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen que vers une élection "60-40". Le plus grand des écarts (hormis le cas exceptionnel de 2002 entre Chirac, 82,21% des suffrafes exprimés et Le Pen, 17,79%) qui a été enregistré pour l’élection d’un président de la République depuis 1965 est l’écart entre Pompidou (58,21% des suffrages exprimés) et Poher (41,79% des suffrages exprimés) en 1969. C’est aussi à cette présidentielle que le record d’abstention a été enregistré au second tour (31,15% des inscrits) et le plus fort taux de bulletins blancs ou nuls (6,42% par rapport au total des votants).

A lire également sur notre site : "A quoi peut-on imaginer que ressemblerait vraiment la France six mois après l'élection de Marine Le Pen ?"

Mal élu, avec une majorité trop faible de suffrages exprimés (aux environs de 55%), mais surtout une grosse proportion de bulletins blancs, Emmanuel Macron aurait, d’emblée, à affronter une critique forte en légitimité. En 2012, rapporté au nombre d’électeurs inscrits, François Hollande n’a obtenu que 39,08% de soutien. Cinq ans plus tôt, Nicolas Sarkozy avait fait un peu mieux (42,68%). Finalement, il n’y eut, dans les neuf précédentes présidentielles, qu’un seul président à dépasser la moitié du corps électoral "théorique", autrement dit la moitié du nombre total des inscrits : en 2002 Jacques Chirac avec 62% des inscrits soit le score incroyable de 77,78% des votants. On voit bien que les présidents sont de plus en plus mal élus en France d’autant que si l’on se rapporte à leur capital de voix initial, celui du premier tour, ils recueillent souvent entre un quart et un tiers des voix du premier tour, pas beaucoup plus. Ce fut à peine le cas pour Emmanuel Macron d’ailleurs le 23 avril dernier (24% des suffrages exprimés, même si c’est beaucoup plus que Chirac au soir du 21 avril 2002 qualifié pour le second tour avec un médiocre 19,88% des suffrages exprimés). Mal élu dimanche soir prochain, Emmanuel Macron aura donc fort à faire dès le mois de septembre pour diriger un pays stressé et profondément divisé…

Edouard Husson : Emmanuel Macron a peu de prise sur ce que Christophe Guilluy appelle "la France périphérique", la France des classes populaires et des classes moyennes en déclin social. C'est "la France d'en haut" que Macron fédère. C'est ce que signifie le ralliement d'une grande partie du PS et des Républicains. On n'avait sans doute pas connu depuis la Révolution française un tel antagonisme de classe: en 1789, la grande aristocratie, le haut-clergé, la grande bourgeoisie appuient à fond l'individualisme, la destruction de tous les corporatismes, l'abolition des barrières douanières, la spéculation financière tandis que le bas-clergé, les classes moyennes et populaires sont - et resteront longtemps- monarchistes et attachés aux protections qui caractérisaient la société d'Ancien Régime. Emmanuel Macron fait penser à ces leaders du Paris révolutionnaire, qui avaient grandi en province avant de rejoindre le chaudron du progressisme ; la différence, c'est que son horizon ne se limite pas à Paris; il s'étend à toutes les grandes métropoles, ces lieux de vie de la "classe créative" dont parle Richard Florida. La différence entre 2017 et 1789, c'est que la "France d'en haut" est aujourd'hui sur la défensive.  Après cinq décennies de désordre monétaire mondial, de dérégulation financière, d'abolition des frontières, il devient difficile de défendre l'avenir radieux de l'hyperindividualisme. C'est pour ne pas l'avoir compris qu'Hillary Clinton a été battue. Macron, lui, sera élu mais, selon toute vraisemblance, le résultat sera plus serré que ce que nous disaient les premiers sondages. Marine Le Pen sera la première force d'opposition. Et comme il est peu probable que la politique qui a échoué avec Giscard et ses épigones (Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande) réussise mieux avec ce "dernier des giscardiens" qu'est Emmanuel Macron,  il y a fort à parier que "l'effet Macron" sera de courte durée. Les six mois que vous évoquez, c'est ce qu'ont duré les états de grâce de Chirac (1995), Sarkozy (2007) et Hollande (2012). 

Quels pourraient en être les effets sur l'ensemble de la classe politique elle même ?

Jean Petaux : Je fais aussi, tout comme pour l’hypothèse d’une victoire de Marine Le Pen, le pari que les électeurs vont adopter un principe de cohérence aux législatives de juin. Ils donneront à Emmanuel Macron, s’il est élu président, une majorité de députés à même de lui permettre de présider et de choisir une ou un Premier ministre susceptible de s’appuyer sur une solide majorité à l’Assemblée. La classe politique traditionnelle, celle constituée par les deux grands partis de gouvernement sous la Vème République, sera forcément "sonnée" et "groggy".

Là encore, des opportunistes "iront à la soupe macronienne" comme aurait dit le général de Gaulle. A la faveur de l’application de la loi sur le cumul des mandats, nombre de visages nouveaux, comme en 1981, vont venir peupler les rangs de l’Assemblée. Il va donc y avoir un très profond renouvellement de la classe politique française. Jean-Luc Mélenchon, à l’exception d’une vague petite cantonale dans l’Essonne, incapable toute sa vie politique durant d’être élu sur un scrutin d’arrondissement uninominal à deux tours (même quand l’arrondissement en question est la France… comme pour la présidentielle !...) ne sera pas député… Pas plus qu’il ne l’a été en étant parachuté à Hénin-Beaumont en 2012… Et une bonne partie de la "France insoumise", diminuée des électeurs socialistes qui ont cru voter "utile" en votant pour Mélenchon le 23 avril en se détournant de Benoît Hamon, retournera à ses rêves de "Nuit Debout" et de "Podemos à la française". Restera le Front national et une Marine Le Pen qui s’autoproclamera "leader de l’opposition en  majesté"… En embuscade pour le match retour de 2022… De combien sera-t-elle forte de députés à l’Assemblée ? C’est une autre histoire mais c’est aussi une question centrale : si le système électoral législatif ne lui permet pas d’avoir un groupe parlementaire en rapport avec son score au second tour de la présidentielle, le risque est grand que le FN ne développe une opposition extra-parlementaire qui serait parfaitement incontrôlable et tout à fait dangereuse pour le bon fonctionnement des institutions.

Edouard Husson : Pour ma part, je ne crois pas que Macron aura du mal à constituer une majorité. L'effet de l'élection présidentielle jouera. N'ayant plus rien à faire depuis six mois, François Hollande s'est démené en coulisses pour faire gagner Macron. Celui qui restera dans l'histoire comme un président de la République dépassé par les défis de l'époque, a retrouvé tous les réflexes de la rue de Solferino et il aura réussi ce coup magistral d'empêcher la droite de revenir au pouvoir.  Les réseaux de la deuxième gauche, un certain nombre de grands notables du PS s'organisent pour parachever la métamorphose social-démocrate qui permettra à Macron de réduire sa dépendance à Bayrou et de maintenir à la portion congrue les Républicains ralliés. Les responsables des Républicains ont beau assurer qu'ils combattront Macron aux législatives après l'avoir fait élire, cela relève de l'auto-suggestion. Macron n'a pas besoin d'eux pour être élu et il ne fera aucun cadeau à ceux qui n'auront plus rien à monnayer.

Je pense pour ma part que les législatives seront une véritable déroute pour les Républicains. Le jeu politique sera articulé, désormais, autour de Mélenchon, Macron et Marine Le Pen.  Au fur et à mesure de la fonte de la cote de popularité de Macron, une opposition d'extrême gauche forte s'exprimera au point de rendre impossible la plupart des réformes - sauf le renforcement de l'UE, qui échappera, une nouvelle fois, à tout contrôle démocratique. La différence, cependant, avec la période 1992-2017, c'est que, du fait de la fuite en avant européiste du nouveau président (sur le thème "si l'Europe ne marche pas, il en faut plus"), Mélenchon et Marine Le Pen se renforceront. On avait évoqué un scénario de deuxième tour Mélenchon/Marine Le Pen. Cette configuration n'est pas à exclure en 2022. 

Une élection d'Emmanuel Macron aurait-elle pour effet de rendre indispensable une refonte des institutions françaises ? 

Jean Petaux : La question de la refonte des institutions françaises est celle que l’on se pose quand on veut procrastiner les réformes, quand on veut amuser la galerie, quand on n’a rien d’autre à faire ou quand on veut créer un point de fixation artificiel en appliquant la vieille stratégie chinoise : "On montre la Lune du doigt, l’idiot regarde le doigt". Si Emmanuel Macron, pour des raisons qui lui appartiendraient, de tactique politique ou de contournement de telle ou telle difficulté, voire pour se donner une respiration politique et retrouver un "second souffle" en légitimité, veut engager une refonte des institutions françaises, il devrait au moins méditer ces trois principes : 1) en la matière, l’enfer est souvent pavé des meilleures intentions ; 2) il en va des réformes institutionnelles comme des réformes du mode de scrutin : elles se retournent souvent contre leurs auteurs ; 3) les Français n’en ont strictement rien à faire car ce n’est absolument pas leur préoccupation du moment…

Edouard Husson : La seule originalité de Macron, c'est la manière dont il a intégré le fonctionnement des institutions de la VeRépublique. Il a eu le bon instinct: ne pas tomber dans le piège des primaires. Et il a senti que les institutions étaient intactes, permettant à celui qui croirait à la rencontre entre un homme et le peuple, par-dessus tous les appareils et les notables, de s'imposer. Imaginons qu'aucun groupe parlementaire majoritaire ne se dégage à l'issue des législatives: Macron retrouvera la possibilité, envisagée par les pères de la Ve République, de constituer un gouvernement composite, s'appuyant sur une majorité transpartisane.

Je crois que la défaite cuisante des Républicains et des socialistes marque, au contraire, la fin d'un cycle d'emprise des partis sur la Ve République en général et sur l'élection présidentielle en particulier. C'est pour moi la seule bonne nouvelle du 23 avril: il devrait être possible, maintenant que les vieux partis se meurent, de faire émerger une force nouvelle, qui ne soit ni macronienne ni lepeniste, autour d'une personnalité atypique, sans doute issue du monde socio-économique, un programme adapté à l'époque où nous vivons et incluant aussi bien une réorganisation monétaire de l'Europe qu'un investissement massif dans l'éducation et dans la troisième révolution industrielle au service d'une relocalisation de l'emploi et d'une réhabilitation de la "France périphérique". 

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