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Dégagisme suprême : et si les électeurs étaient inconsciemment tentés de rendre la France ingouvernable...
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Aucun d'entre eux

Le second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen ne satisfait pas les français. Selon un sondage Elabe pour BFM TV publié jeudi 27 avril, 31% d'entre eux seulement se félicite de l'affrontement. Les 70% restants pourraient bien priver le prochain Président de sa majorité.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Selon un sondage Elabe-BFMTV publié jeudi 27 avril, moins d'un Français sur trois (31%) serait satisfait du duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. En partant d'un tel constat, peut on imaginer que les français pourraient être inconsciemment tentés d'organiser l'ingouvernabilité du pays, par exemple en refusant une majorité au prochain Président ? Par quels scénarios ?

Raul Magni-BertonEn fait, on assiste en Europe à une tendance claire: les principaux partis de gouvernement font des scores électoraux de plus en plus bas. L'année dernière, en Autriche, aucun candidat des deux partis traditionnels n'était au second tour de la présidentielle. Aujourd'hui c'est au tour de la France. Cette chute de soutien des partis traditionnels conduit à des parlements plus fragmentés, des coalitions plus larges et des contre-pouvoirs plus forts. 

Par contre, le fait d'avoir des pouvoirs divisés (donc des gouvernements faibles) ne signifie pas qu'il y ait ingouvernabilité. Au contraire, les analyses statistiques sur cette question montrent que s'il y a des régimes économiquement plus performants, ce sont plutôt ceux qui ont des gouvernements faibles. En France, par exemple, les deux cohabitiations que nous avons connus (Mitterand/Chirac, puis Chirac/Jospin) correspondent à deux des meilleures périodes de croissance économique depuis les années 70. 

Il est évident, donc, qu'en France, comme dans la plupart des démocraties occidentales, les électeurs rejettent de plus en plus les partis traditionnels. De là à dire qu'ils désirent inconsciemment un gouvernement faible, c'est difficile à dire. Il y a 17 ans, le quinquennat - qui mènera à un renforcement du pouvoir de l'exécutif - a été approuvé avec une très forte majorité. Mais seulement 30% des électeurs avait voté à l'époque. Il est bien possible qu'aujourd'hui les résultats d'un tel référendum ne seraient plus les mêmes. D'ailleurs, les quelques sondages sur la question tendent à montrer qu'une majorité de français est favorable à la cohabitation. 

D'un autre coté, il y a une telle désinformation sur la question de la gouvernabilité, que toute prédiction me parait difficile à faire. Lorsque les contre-pouvoirs sont forts, ceux qui sont au gouvernement ont l'impression de ne pas pouvoir gouverner, c'est sur. C'est pour cette raison qu'ils transmettent cette légende selon laquelle les contre-pouvoirs sont synonyme d'ingovernabilité. Ils ignorent simplement que lorsqu'ils n'arrivent pas à gouverner, le pays va parfaitement bien. Il s'agit d'une observation qui est au cœur de la théorie démocratique.  

Un tel scénario ne serait il pas une forme de "dégagisme ultime", basé sur le fait que si les français ne parviennent pas à trouver le candidat qu'ils veulent, ils leur reste le moyen d'empêcher ce qu'ils ne veulent pas ? Pourrait on y voir une forme de rationalité de la part des électeurs ?

Le rejet des partis traditionnels conduit automatiquement à une fragmentation qui se traduit par l'un des scores cumulés des deux candidats qualifiés au second tour les plus bas. de l'histoire. Dès lors, on peut se douter que les électeurs qui n'ont pas voté pour eux sont mécontents. Et même parmi ceux qui ont voté pour l'un d'eux, certains auraient préféré un autre adversaire. 

Mais il ne faut pas exagérer la spécificité de cette élection. Dans la plupart des élections, les électeurs se trouvent à voter plus "contre" que "pour". Ce n'est pas une nouveauté. Mais dans aucune élection on peut imaginer que les électeurs, tous ensemble, arrivent à produire rationnellement un système où personne n'arrive à gouverner seul. Même lorsque les électeurs seraient individuellement parfaitement rationnels, collectivement cela n'est pas possible à moins qu'ils soient coordonnés à l'avance. 

En fait, je pense plutôt que c'est le morcellement des voix qui produit un morcellement des pouvoirs, même si à l'arrivée, peut être que la plupart des électeurs seront satisfaits de cela. 

En quoi la France pourrait-elle alors ressembler à une absence de gouvernement, comme cela a pu être le cas en Belgique, ou ailleurs en Europe ? Quels sont les précédents européens qui pourraient ressembler à une telle hypothèse et comment ont ils abouti ?

L'expérience belge n'est regrettée par personne en Belgique. Plus récemment cela est arrivé à l'Espagne. Dans les deux cas, cette crise politique a coïncidé avec une excellente santé économique. Encore une fois, il y a plus à s'inquiéter d'un pouvoir monolithique que de l'absence de gouvernement. 

Ceci dit, avant que cela n'arrive en France, il y a plein d'options plus probables. Premièrement, il est possible que le gagnant de l'élection - disons Macron - réussisse à coordonner une coalition centriste qui arrive à gagner les élections législatives. Deuxièmement, s'il n'y arrive pas, il y aura simplement une cohabitation, comme on l'a déjà vécue. Troisièmement, si aucune coalition n'arrive à obtenir la majorité au parlement, on pourrait assister à un gouvernement minoritaire, qui fait appel pour chaque loi à une alliance spécifique. Là où il y a eu gouvernement minoritaire - au Canada ou en Italie par exemple - les choses allaient bien et le gouvernement faisait sont travail. 

L'hypothèse de l'absence de gouvernement n’arrivera que lorsque toutes ces possibilités auront échoué, c'est pourquoi c'est si exceptionnel. De toute façon, vous l'avez compris, ce qui est le plus à craindre, est d'être gouverné par une majorité solide et homogène. Je veux bien admettre qu'aujourd'hui, elle est presque aussi improbable que l'absence d'un gouvernement. Mais à choisir, vaut mieux cette dernière. 

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