Comment apprendre des erreurs de nos parents en matière de santé cardiaque<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Comment apprendre des erreurs de nos parents en matière de santé cardiaque
©Reuters

Un coeur sain dans un corps sain

Une étude publiée aux Etats-Unis montre que le choix de style de vie de nos parents a eu des conséquences sur notre santé cardiaque. Un Indien âgé de 80 ans, de la tribu bolivienne Tsimane en Amazonie, possède un système cardiovasculaire en aussi bon état qu'un Américain de 50 ans.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Atlantico : Une étude publiée dans le journal The Lancet montre que les Chimane, un peuple de Boliviens vivants en Amazonie possèdent des fonctions coronariennes au même état à 80 ans que des Américains à 50 ans. Qu'est-ce qui explique dans nos modes de vie respectifs que notre système cardiaque soit plus abîmé et que nous soyons plus exposé a des accidents cardiaques ?

Guy-André Pelouze Ce qui frappe dans cette étude très détaillée c’est que les Chimane ont un score calcique très bas tout au long de leur vie. Et en effet à 80 ans les Chimane ont un score calcique moyen qui est celui de nord américains de 50 ans. 

Les investigateurs ont ensuite étudié leurs facteurs de risque cardiovasculaires au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Presque pas d’obésité, pas de diabète, une tension artérielle basse et des particules lipidiques dans le sang qui ne sont pas athérogènes - en particulier les particules LDL qui sont basses. Les Chimane ont un profil de risque bas et leur arbre artériel vieillit bien moins vite: 85 % d’entre eux tous âges confondus n’ont aucun marqueur de risque cardiovasculaire et présente un score calcique normal. Mais surtout ils ne sont que 13% à avoir un risque coronarien et il est faible. Selon les auteurs, leur mode de vie est la principale explication: ils sont physiquement très actifs, chassent, pêchent et construisent leur maison. Ils ne fument pas. Sur le plan alimentaire ils ne mangent presque pas de céréales, pas de sucre, pas de produits laitiers et bien sur quasiment aucun produit industriel. Ajoutons qu’ils consomment moins de gras que les Français ou les Américains du nord mais avec 38 g de gras par jour, 11 g/j de graisse saturée (29%), 14 g/j de graisse mono-insaturée (37%), et 8 g de graisse polyinsaturée (21%), la proportion de graisse saturée est plus élevée que la notre.

Quelles sont les conséquences pour la santé de ce mode de vie sédentarisé où nous ne faisons plus assez de sport, ou nous nous alimentons mal ? 

Notre dépense énergétique s’est effondrée quand l’humanité s’est assise et que les travaux physiques ont été remplacés par des machines motorisées. Les Chimane font 15000-17000 pas par jour en moyenne. Chez nous l’activité physique de loisirs n’a pas du tout remplacé les efforts que nos parents et nos ancêtres faisaient. Dans le même temps l’alimentation s’est brutalement et profondément transformée. Nous vivons dans l’abondance de produits alimentaires ce qui conduit à une consommation excessive de calories. De surcroît ces calories sont présentes dans des produits industriels très riches en glucides simples ou qui sont rapidement transformés en glucides simples après ingestion et les mécanismes métaboliques de stockage de ces glucides conduisent à l’obésité et au diabète type 2. Les deux facteurs, abondance et part importante des sucres caractérisent notre régime alimentaire. 

Quelles leçons avons-nous tiré des erreurs de nos parents dans leur façon de vivre ? Est-ce qu'un retour à un mode de vie plus proche de celui des Tsimane peut s'observer ? 

Il est certain que nous sous-estimons les possibilités d’un changement de mode de vie dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Pour des raisons liées à notre modèle allopathique médicamenteux et aussi parce que ces changements demandent une pleine responsabilité des patients. A ce sujet il faut rappeler qu’il n’est pas nécessaire pour obtenir des résultats de faire des changements extraordinaires: ne pas fumer, avoir un poids normal, consommer un minimum de sucres (sucres simples ou amidons) et faire tous les jours une activité physique à l’extérieur qui entraîne un essoufflement ne nécessite ni moyens supplémentaires ni avis médical. Nos ainés le faisaient il n’y a pas si longtemps. Ce que nous apprend cette étude c’est que l’activité physique est d’environ 8 kilomètres par jour. Évidemment c’est très loin de l’activité physique moyenne des Français.

Quelles sont les limites de cette étude ?

Tout d’abord il s’agit d’une étude observationnelle et non d’une étude interventionnelle. Donc les conclusions en particulier les causes de cette santé des artères chez les Chimane restent incertaines. Nous devons être prudent avec les corrélations observées. Il reste que du point de vue des paramètres médicaux la santé cardiovasculaire des Chimane est remarquable. Nous savons aussi que leur mode de vie produit aussi chez les patients des pays développés des changements similaires et la prévention la plus efficace des accidents cardiovasculaires.

Il ne faut pas sous estimer les questions de génétique et d’épigénétique c’est à dire des différences qui participeraient à une causalité dans l’atteinte artérielle athéromateuse. En particulier pour nous européens. Cette question reste très ouverte. D’autres travaux sont nécessaires pour mettre en évidence d’éventuelles différences génétiques avec les européens notamment qui pourraient expliquer une partie de cette santé cardiovasculaire à côté du mode de vie.

Enfin compte tenu de l’inflammation observée chez les Chimane, inflammation en rapport avec un parasitisme endémique il faut certainement s’interroger sur le modèle de l’athérome que nous utilisons. Il a été démontré que l’inflammation chronique était associée à une progression de l’athérome dans les populations des pays développés. Ce n’est pas ce que l’on observe chez les Chimane sans que nous sachions pourquoi.

Existe-t-il encore dans le monde des tribus vivant comme au paléolithique ?

Les populations indigènes qui vivent à l’écart de la civilisation agro-industrielle suivant un mode de vie proche de celui du paléolithique (-2,3 millions à -10000 ans avant notre ère) sont très peu nombreuses aujourd’hui. Elles présentent un intérêt considérable du point de vue anthropologique mais aussi médical car nombre de maladies chroniques ne peuvent être comprises sans la perspective de l’évolution. Les anthropologues ont étudié plusieurs tribus pour analyser ce que le mode de vie pouvait être au paléolithique. De telles tribus se trouvent en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans les îles Andaman et Nicobar (Inde), aux Philippines, en Afrique et en Amérique du Sud (Amazonie). 

Dans les années 90 un chercheur suédois, Staffan Lindeberg, étudie les habitants de Kitava, l'une des îles Trobriand de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il observe que la mort subite d’origine coronarienne, les accidents vasculaires cérébraux et les douleurs thoraciques liées à l'effort (angine de poitrine) ne se produisent jamais chez les Kitava; en approfondissant ses recherches il conclue  que l’élément essentiel est leur régime alimentaire paléolithique.

L’étude de la population bolivienne des Chimane qui vivent  sur le piémont andin, en particulier le long de la rivière Maniquí est un projet qui a débuté en 2001. Il s’agit d’un fantastique projet de recherche anthropologique dont on retrouvera les étapes et les nombreuses publications avec ce lienLes 6000 Chimane constituent de petites communautés de 20 à 30 familles. Ils pratiquent la chasse, la pêche, la cueillette et une agriculture de subsistance.

En mars 2017 les résultats d’une étude originale du risque cardiaque chez les Chimane est publiée dans le Lancet. Elle s’intéresse au risque cardiaque mesuré par ce que l’on appelle le score calcique. Il s’agit de la mesure par scanner thoracique de la quantité de calcium déposée dans les parois des artères du cœur. En fonction de la quantité présente on calcule un score qui prédit de manière très fiable le risque d’une atteinte athéromateuse des artères coronaires (constitution d’une plaque dans la paroi de l’artère dont la progression obstrue la circulation du sang et la rupture conduit à l’infarctus du myocarde).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !