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"Finalement, on ne fait que de la représentation..." : le désarroi d'une police française qui se sent de plus en plus inutile
©REUTERS/Gonzalo Fuentes

Bonnes feuilles

La France. La connaît-t-on ? Comment la raconter ? Anne Nivat, reporter de guerre, familière des lointains conflits en terres irakienne, afghane ou tchétchène, porte pour la première fois son regard sur l’Hexagone. Pour cette immersion dans six villes de France, à l’heure où les journalistes sont parfois taxés d’arrogance, la reporter de terrain se place à hauteur de ces femmes et de ces hommes côtoyés durant des semaines, chez qui elle a vécu. Extrait de "Dans quelle France on vit" d'Anne Nivat, aux Editions Fayard (2/2).

Anne  Nivat

Anne Nivat

Anne Nivat est reporter de guerre et écrivain française.

Elle s'est spécialisée depuis dix ans dans des zones sensibles (Tchétchénie, Irak, Afghanistan…), parfois sans autorisation.

 

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Ludovic appartient aux brigades de nuit de la BAC de Lons, une ville où, comme partout, un sentiment diffus d’insécurité gagne. « Qu’est-ce que tu veux que nous, flics, on aille se faire chier avec des conneries de scooters, pour avoir ensuite la cité entière sur la gueule ? »

La police nationale aujourd’hui, c’est vraiment « de la poudre aux yeux, de l’esbroufe ! Finalement, on ne fait que de la représentation », s’exclame-t-il, attristé. Ludovic ne s’est pas engagé pour se sentir de plus en plus inutile.

En cette soirée printanière, il est 23 h 30 quand la BAC reçoit une dizaine d’appels de riverains se plaignant que des jeunes du quartier de la Marjorie font trop de bruit avec leurs scooters : tous exigent l’intervention des forces de l’ordre. Au standard, excédé, Ludo finit par lancer au dernier qui l’appelle – estomaqué par son discours –, que non, la police ne viendra pas, car si elle vient, elle risque d’écraser accidentellement le jeune à scooter ou de provoquer un problème supplémentaire qui pourra se retourner contre elle, que, de toute façon, dans ce genre de nuisance, la police n’a aucune efficacité, qu’il faut se résigner à subir cette mauvaise soirée, comme lui-même se souvient, plus jeune, en avoir subi de nombreuses, qu’il faut prendre son mal en patience et, peut-être même rigoler de voir les jeunes s’amuser et tomber à scooter ! « Fais gaffe, t’es enregistré », le prévient son collègue inquiet de cette diatribe, mais Ludo n’en a cure car il sait qu’il ne dit « que » la vérité. « Si vous le souhaitez, mon bon monsieur, écrivez à qui vous voulez, à Beauvau, oui, je vous donne l’adresse tout de suite, d’ailleurs, ça nous arrange , plaignez-vous de ce que la police ne se déplace pas, oui, s’il vous plaît, plaignez-vous, ça les fera peut-être réfléchir là-haut, ceux qui réduisent nos effectifs et changent les lois ! »

Après le drame de Nice du 14 juillet 2016, c’est encore la police qui a trinqué : « On en a entendu de belles sur la police ce soir-là. Mais c’est pas qu’elle veut pas “faire”, la  police, c’est qu’elle n’était pas là ! Et si elle “n’était pas là”, c’est qu’elle n’avait pas les effectifs ! » Ludo n’en démord pas. Il en a assez de se faire constamment vilipender pour rien. « On nous arme, d’accord, mais ces armes, on peut pas s’en servir ! » Ludovic ne supporte plus ces critiques, toujours les mêmes, accusant la police de ne pas aller ici ou là « parce qu’elle aurait peur » ! « On forme les flics à l’arme de guerre, mais seulement ceux qui travaillent de nuit, alors quoi, les djihadistes vont pas agir de jour ? On fait tout à moitié ! »

L’homme est un drôle de lascar. Un flic instruit à la petite école « chez les curés » – Ludo reconnaît aisément que ça lui a donné un cadre qu’il ne regrette pas : « Fallait bien que quelqu’un puisse me mettre les tartes que mon père ne m’a jamais données… » ; diplômé des Beaux-Arts de Mâcon, et adepte de Pierre Rabhi depuis qu’il a un temps cultivé des vignes en biodynamie.

« J’fais pas c’boulot pour verbaliser les gens. Moi, les gens, je les aime bien, aller se pointer dans une cité et dire on va tout nettoyer au karcher, c’est pas mon truc ! Par contre, si moi, flic, j’ose dire ce que Sarko a dit, on me collera un procès ! Y en a un qui nous traite de “sans-dents”, et l’autre qui affirme que nos jeunes n’ont pas de cerveau ! Comment on peut encore croire en la classe politique après ça ? » L’homme qui se pose ces questions vote à droite, même très à droite. Mais il vit les yeux ouverts, connaît la nature humaine dans toutes ses profondeurs. Il garde une dent contre ce président dont l’action s’était limitée à l’augmentation des radars, qui n’a rien fait pour les cités, littéralement abandonnées. Les chiffres l’atterrent : « Certes, il y a 4 000 morts sur la route, mais on ne pose pas à côté les chiffres des morts du tabac : 70 000, ou bien de l’alcool. Tous ces morts contre qui personne ne fait rien à cause de la puissance des lobbies ! »

Extrait de "Dans quelle France on vit" d'Anne Nivat, aux Editions Fayard 

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