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Fillon, le choix de la raison
©ERIC FEFERBERG / AFP

J-2

Par-delà le vote de conviction qui vise à affirmer une identité idéologique et le vote utile, qui vise à éliminer diables et diablesses, optons pour le vote responsable, en posant la question : quel pilote choisir pour espérer que la France soit correctement gouvernée dans les cinq ans qui viennent ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Par-delà le vote de conviction qui vise à affirmer une identité idéologique et le vote utile, qui vise à éliminer diables et diablesses, optons pour le vote responsable, en posant la question : quel pilote choisir pour espérer que la France soit correctement gouvernée dans les cinq ans qui viennent ?
Avec cette question en tête, mon premier critère de choix est la crédibilité économique et politique. Je sais fort bien que l'argument n'impressionne pas ceux pour qui le réalisme est un renoncement. Si pour ma part j'élimine d'emblée Le Pen, Mélenchon et Hamon, ce n'est pas par sectarisme idéologique ni diabolisation a priori, mais parce que je fais prévaloir l'éthique de la responsabilité : il ne sert à rien de vouloir aider les pauvres ou restaurer la souveraineté de la France si par la politique conduite on parvient au résultat inverse, ou si l'on n'a pas les moyens de ses ambitions. Nul besoin d'être un rigoriste obsédé par la dette pour comprendre que par un endettement excessif on abdique son indépendance et l'on fragilise sa situation. Nul besoin d'être un économiste génial pour comprendre qu'on ne peut distribuer la richesse sans la créer, et qu'on ne peut en créer par une politique de relance quand le système productif n'est pas compétitif. Par ailleurs, abstraction faite de la crédibilité économique, force est de constater que les projets de Mélenchon et de Le Pen ne sont pas viables politiquement. Ni Mélenchon ni Le Pen n'auront une majorité pour gouverner. Et avec qui pourrait-il faire alliance sans renoncer intégralement à leur projet, étant entendu qu'une entente entre les deux extrêmes est inconcevable, et ce, en dépit de leur proximité programmatique sur les questions économiques et sociales ? Reste deux candidats crédibles, Emmanuel Macron et François Fillon. Entre le centre-gauche social-libéral incarné par le premier et le centre-droit que représente le second, il y aura nécessairement coopération après la présidentielle, soit sous la forme classique d'une cohabitation, soit sous la forme de majorités d'idées au Parlement, projet par projet. La question est donc de déterminer celui qui sera en situation de gouverner la "troisième force"qui va se mettre en place.
Je ne suis pas de ceux qui dénigrent la personnalité et la démarche d'Emmanuel Macron. La réussite de son entreprise politique témoigne de son audace, de sa capacité d'organisation et de son charisme. Il est extrêmement sympathique et séduisant. Il est inexpérimenté mais intelligent, et il apprend vite. Son identité idéologique me paraît claire, en dépit de son propre discours électoral, délibéremment  et tactiquement ambigu : il incarne une gauche enfin émancipée de la rhétorique anti-libérale dont le parti socialiste n'a jamais su se défaire, un libéralisme intégral (à la fois sociétal et économique) et tempéré. Disposé à travailler avec la droite, il répond au désir de dépassement du sectarisme politique et au renouvellement politique présent dans une large fraction de l'opinion. Pourquoi alors ne pas voter Emmanuel Macron, ne pas voir en lui le président idéal pour faire travailler ensemble la droite et la gauche dans les années qui viennent ? Il y a quatre raisons pour cela, dont deux sont véritablement déterminantes à mes yeux. On peut d'abord douter du fait qu'il soit en mesure d'obtenir une majorité aux législatives, auquel cas l'homme fort de cinq années qui viennent ne serait ni Macron, ni Fillon, l'élection présidentielle comptant pour du beurre. On peut ensuite considérer, c'est mon cas, que si les orientations économique de Macron et de Fillon sont approximativement les mêmes, le diagnostic et le cap établis par le second sont  à la fois plus clairs et plus fermes. N'étant pas économiste, je me garderais cependant d'être péremptoire sur le sujet. Je n'ai évidemment pas davantage de certitude, quant au résultat des législatives qui suivront les présidentielles. 
Mes deux raisons déterminantes, que je soumets aux amis tentés par le vote Macron, sont donc autres, et relatives à la fonction présidentielle elle-même. Le président dirige la politique extérieure du pays et doit être le garant de l'unité de la nation. Or, il faut être conscient qu'en matière de géopolitique comme sur la conception de l'idéal républicain, Emmanuel Macron est indéniablement le continuateur de François Hollande, dont il assume pleinement, dans ces deux domaines, le bilan et les orientations. Ce n'est évidemment pas une objection en soi, mais il faut prendre la mesure de ce qui le distingue de François Fillon sur ces questions avant de faire un choix raisonné. Dans le domaine géopolitique, François Fillon définit une priorité stratégique en identifiant avec une grande clarté d'analyse le problème majeur des décennies passées et à venir, à savoir le problème posé par la montée en puissance d'un totalitarisme islamiste, lequel se traduit notamment par une purification ethnico-confessionnelle dans l'ensemble du monde musulman, et par l'importation en Europe du salafisme, de l'islamisme et du djihadisme. Sur la base de ce diagnostic, il dénonce la politique de gribouille des Occidentaux (dans laquelle Macron entend s'inscrire), soulignant l'absurdité qui consiste à faire de Poutine et d'Assad des ennemis de la France et de l'Europe. Nous n'avons à l'évidence aucun intérêt à laisser le chaos s'installer en Syrie, ni à nous interdire de mettre l'ONU et la communauté internationale au service de nos intérêts (y compris l'intérêt humanitaire) en refusant l'alliance avec Poutine. Il est  à cet égard sidérant de voir des gens a priori intelligent confondre la position de Fillon sur la Russie avec celle de Mélenchon et de Le Pen. Fillon n'éprouve aucune fascination pour les régimes autoritaires ni ne propose pas le pacifisme intégral; il veut renforcer le partenariat avec l'Allemagne et la défense européenne. Son point de vue sur Poutine et sur la Russie ne repose que sur le réalisme géopolitique et la définition d'une priorité stratégique claire.
Dans les années à venir, il nous faudra également un président qui soit capable de maintenir et de renforcer l'unité de la nation dans un contexte marqué non seulement par le terrorisme islamiste, mais aussi par l'affirmation pacifique d'un islam identitaire, salafiste ou islamiste. Pour cela nous avons besoin, c'est la première condition, d'un président qui soit ferme et clair sur les principes, d'une stricte fidélité à l'identité républicaine de la France. De ce point de vue, François Hollande a été à peu près satisfaisant, si l'on excepte sa volonté d'inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution. Emmanuel Macron et François Fillon, qui s'étaient opposés à cette dernière mesure, donnent également toutes les garanties. Il faut à cet égard faire abstraction des basses polémiques et des procès d'intention qui visent à laisser croire que Fillon serait un catho identitaire ou que Macron aurait des complaisances envers les musulmans anti-républicains. La vraie question n'est pas là à mes yeux. La question est de savoir s'il faut se satisfaire d'une stricte application du droit de la laïcité, qui est libéral, quitte à donner ainsi les moyens au salafisme et à l'islamisme de s'épanouir dans notre pays, ou s'il faut mettre en oeuvre une politique plus volontariste pour stopper cet essor et tenter de promouvoir en France un "islam de France", compatible avec les valeurs républicaines et les moeurs démocratiques. Le problème est donc, là encore, stratégique : il s'agit de choisir entre deux modèles d'intégration, le multiculturalisme et l'assimilation. La critique que l'on peut adresser à Emmanuel Macron - sur ce point parfait continuateur de François Hollande – est qu'il refuse de choisir, animé par la crainte de stigmatiser les musulmans. Prétendre, comme il le fait, privilégier l'intégration en récusant à la fois le multiculturalisme et l'assimilation est un non sens. Entre l'islam en France et l'islam de France, il n'y a pas de troisième voie. Bien entendu, l'intégration par l'école et le marché du travail est en elle-même nécessaire. Mais face au refus explicite, idéologique et revendiqué de l'assimilation, l'intégration économique et sociale ne suffit pas. On peut être salafiste ou islamiste et parfaitement intégré. Du reste, l'affirmation identitaire de l'islam n'est pas tant le fait des immigrés que de Français musulmans nés en France, voire "de souche". Tout indique par ailleurs que l'univers mental d'Emmanuel Macron est celui du multiculturalisme libéral, et qu'il entend faire de son mouvement une sorte de parti démocrate à l'américaine, joignant au libéralisme économique l'éloge de la diversité culturelle, le politiquement correct et la discrimination positive. Pour la défense du modèle républicain français, il ne dispose ni du bon diagnostic, ni du bon logiciel de pensée. 
Cette question marque également la limite de sa volonté de dépasser le clivage droite-gauche. Force est de constater que le déni du problème des rapports de l'islam et de la République est devenu, après la défaite de Valls, le marqueur de gauche par excellence, de Mélenchon à Macron en passant par Hamon. La question identitaire est perçue à gauche comme une obsession de la droite, une volonté de stigmatiser les musulmans. Comme il faut bien expliquer la salafisation d'une partie des musulmans et les tensions identitaires, celles-ci sont imputées soit aux difficultés économiques et sociales, soit à la discrimination dont la minorité musulmane serait victime de la part d'une société française "post-coloniale". Comme l'affirmation d'une identité civilisationnelle française ou européenne est considérée comme humiliante pour les musulmans, il faut en conséquence considérer que l'identité de la France est de ne pas avoir d'identité, de sorte qu'elle aurait vocation à devenir la terre d'acceuil de toutes les cultures. Déni, victimisation, repentance, multiculturalisme : tels sont les caractéristiques qui font aujourd'hui l'identité politique de la gauche, toutes tendances confondues, dans son traitement de la question musulmane. A l'inverse, la droite reconnaît le problème, identifie la cause (l'essor d'un islam identitaire, du salafisme et de l'islamisme), assume le projet d'assimilation, et prend parfois des mesures, bonnes ou mauvaises, en ce sens (les lois de 2004 sur les signes religieux à l'école et de 2010 sur la burqa, par exemple). 
Les deux orientations ont de bons arguments à faire valoir, et sont toutes deux sujettes à des dérives. Macron et Fillon font partie des modérés qui évitent les excès, mais ils ne sont pas pour autant sur la même ligne.
Dans son livre remarquable de lucidité sur le totalitarisme islamique, François Fillon pose le bon diagnostic. Il ne procède à aucun amalgame, prend acte du conflit au sein du monde musulman entre ceux qui combattent la laïcité, la liberté et les Lumières, et ceux qui combattent pour que le monde musulman les assimile. Il faut être au côté de ces derniers, afin d'éviter l'amalgame de ceux qui prétendent que l'islam est incompatible avec la République et l'amalgame de ceux qui prétendent que les musulmans ne sont pas responsables de leur assimilation à la République. La ligne proposée par François Fillon est en outre équilibrée : ce n'est pas celle du Sarko de 2007, partisan à la manière de Macron de la discrimination positive et d'une laïcité positive, ni sur celle du dernier Sarko, qui voulait interdire le voile dans les universités et ouvrir des centres de rétentions pour les fichés S. 
Mon choix est donc un choix positif et raisonné, et non un choix par défaut. Un autre leader de droite défendrait approximativement les mêmes positions, mais sans doute pas avec la lucidité et l'équilibre dont fait preuve François Fillon. Il revêt à mes yeux les qualités attendues d'un homme d'État. S'il faut choisir un pilote avant de monter dans l'avion, il est bien entendu nécessaire de s'intéresser à la personnalité du pilote, mais il importe de ne pas se tromper sur le critère du choix : la question n'est pas de savoir s'il a le plus beau plumage ou le plus beau ramage, s'il est le plus gentil, le plus vertueux et le plus généreux, ou s'il aime trop l'argent; les qualités requises du pilote dont on attend qu'il conduise les passagers à bon port sont la compétence, l'expérience, la lucidité, l'aptitude à choisir et la réflexion. François Fillon réunit ces qualités.  Il aura ma voix dimanche.

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