La campagne présidentielle intéresse-t-elle vraiment les Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"On note dans la campagne un intérêt réduit par rapport aux débats et à leur qualité. Il n’y a pas l’engouement qu’on a connu pour des thématiques politiques en 2007, par exemple."
"On note dans la campagne un intérêt réduit par rapport aux débats et à leur qualité. Il n’y a pas l’engouement qu’on a connu pour des thématiques politiques en 2007, par exemple."
©Flickr/Abode of Chaos

Restons poli(tiques)

Petites phrases et attaques personnelles font plus la Une ces derniers jours qu'un vrai débat d'idées. Mais est-ce cela qu'attendent les Français ? Mauvaises audiences télé ou intérêt pour la campagne qui diminue dans les sondages, sommes nous dans un trou d'air passager ou dans une désaffection plus profonde pour la politique ?

Mayeul L'Huillier

Mayeul L'Huillier

Mayeul l'Huillier est l'un des fondateurs de Délits d'opinion, site de référence sur l'analyse des sondages et des tendances d'opinion.

Passé par TNS Sofres et l'Ifop, il est l'auteur de plusieurs publications de décryptage des enquêtes d'opinion.

Il a participé en 2010 à la création du cabinet d'affaires publiques Atlas Public Affairs.

Voir la bio »

Atlantico : On a vu que les émissions politiques de ces derniers jours ne faisaient pas de très bonnes audiences qu'il s'agisse de François Hollande sur TF1 dans Paroles de Français avec Laurence Ferrari ou Nicolas Sarkozy au 20 heures de France 2. Les sondages montrent que l'intérêt pour la campagne a diminué ces derniers jours alors même que l'élection se rapproche. Que peut-on en déduire? Les Français montrent-ils un désintérêt croissant pour la politique en général, et cette campagne présidentielle en particulier ?

Mayeul L’Huillier : Deux éléments entrent en compte. Le premier est que, d’après les enquêtes d’opinion, l’intérêt pour l’élection présidentielle est équivalent à celui montré en mars 2007. On entend souvent dire qu’un certain désintérêt était dû au fait que les Français craignaient une campagne jouée d’avance. Que la victoire quasi assurée de François Hollande tue le suspense, et donc l’intérêt pour la campagne. Mais l’intérêt demeure, car une élection présidentielle reste un moment politique important pour les Français.

Cela étant, on note dans la campagne un intérêt réduit par rapport aux débats et à leur qualité. Il n’y a pas l’engouement qu’on a connu pour des thématiques politiques en 2007, par exemple.

Cette baisse d’intérêt signifie-t-elle que les Français trouvent que la politique a trop peu d’impact sur leur vie quotidienne ?

Au contraire, on voit que les Français cherchent dans la politique, aujourd’hui beaucoup plus qu’avant, une réponse collective à des questions auxquelles ils sentent qu’ils n’arriveront pas à répondre seuls : la mondialisation, l’assombrissement de l’avenir économique de notre pays... Actuellement, 70% des Français pensent que les jeunes auront une vie plus difficile économiquement que leurs parents. Et face à ces thématiques, les Français, notamment depuis 2008-2010, savent qu’ils ne s’en sortiront pas seuls.

En revanche ils ne trouvent pas dans les politiques, chez nos gouvernants actuels ou futurs, les réponses à ces questions.

Il existe donc un désenchantement, plus pour les politiques que pour la politique ? Ce qui expliquerait d’ailleurs le succès des campagnes de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui sortent un peu du giron classique de la vie politique française ?

Une enquête présentée sur le site « » donne un chiffre étonnant : 70 % des Français pensent que les hommes politiques sont corrompus. Cela veut tout dire. Les Français sont totalement étrangers à la classe politique, ils n’y croient pas.

Mais on remarque aussi un second problème : d’après un sondage réalisé par Ipsos, 77 % des Français jugent la campagne pauvre en propositions, et 71% trouvent les propositions faites irréalistes. Les politiques ne convainquent pas aujourd’hui, et n’offrent pas assez de réponses.

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon émergent en ce qu’elles sont un peu en dehors du système. Ils incarnent personnellement une façon de faire de la politique différente. Ce sont des personnalités qui détonnent, qui ne se réfèrent pas tout le temps à de vieux « fantômes » de la politique comme Mitterrand ou De Gaulle. En outre Mélenchon et Le Pen ont réussi à faire penser qu’ils n’étaient pas du système et qu’ils ne faisaient pas vraiment partie de la classe politique. Les Français s’en défient donc moins, car ils ont un capital sympathie, un côté un peu trublion qui porte leur candidature. Après on ne sent pas que les gens ont envie de leur confier les clés du pays, mais ils bousculent l’ordre établi et forcent les candidats principaux à améliorer leurs propositions.

N’est-ce-pas représentatif d’une politique très axée sur la communication ? Celle-ci n’a-t-elle pas supplanté un peu la politique en elle-même lors des enjeux électoraux ?

Les idées sont en effet utilisées aujourd’hui dans une logique de stratégie, de marketing politique. Les propositions, et même les idéologies, n’ont plus vraiment de valeur intellectuelle pour les Français. Ils se rendent compte qu’on est en train de les prendre pour des idiots, en leur serinant du marketing. On va chercher dans les sondages et enquêtes les idées ou thématiques qui plaisent et auxquelles les Français s’intéressent : taxes, mariage homosexuel... Mais les Français voient que c’est du marketing et n’y croient plus. Le succès d’une émission comme le Petit Journal de Canal + montre que la politique est plus suivie sur la forme que sur le fond. On regarde qui fait la meilleure campagne, qui peut gagner... La stratégie et la technique sont au centre de tout.

Il existe un vrai désenchantement au niveau du fond, alors que l’intérêt se cristallise autour de l’aspect formel (communication, séduction de l’électorat, marketing...). Aujourd’hui le microcosme médiatico-politique parisien s’intéresse à la campagne de cette façon, et continue ainsi à trouver un intérêt à la politique. L’opinion publique, elle, aime la vraie politique, et persiste à penser que celle-ci peut changer les choses.

En 2007, le Cevipof et l’Ifop avaient posé la question : « Avez-vous confiance en la droite, la gauche, ou aucune des deux, pour gouverner le pays ? » 60 % ne croyaient en aucune des deux. Le chiffre est actuellement de 50%. Je pense que Nicolas Sarkozy, par son fonctionnement et le volontarisme qu’on lui reconnaît, a redonné un peu de noblesse à la vie politique. En tout état de cause il est un vrai politique, qui essaie, et les Français sont conscients de cela. Son attitude a recréé un peu le clivage droite / gauche. L’idéologie veut encore dire quelque chose en France. Etre de gauche ou de droite, cela a encore une signification. Mais malheureusement, les idées ne sont pas là, ou ne sont pas réalistes, les électeurs s’en rendent compte, et les hommes politiques sont mal vus. Ils ne se rendent pas compte des problèmes des Français. Le plus bel exemple est quand Nathalie Kosciusko-Moriset évoque le ticket de métro à 4 euros.

Il existe une vraie déconnexion entre la classe politique et le quotidien des Français. Les hommes politiques vivent parfois dans un monde parallèle aux yeux des électeurs. Alors même que ceux-ci croient à la politique. La vie politique les passionne toujours. Mais la sur-communication nuit à la crédibilité des idées : on ne croit plus que les politiques mettront en place les idées qu’ils annoncent. La proposition de François Hollande de taxer les plus hauts revenus à 75% ne tient pas debout et ne pourra pas être mise en place, tout le monde en est conscient.

En définitive, ne pensez-vous pas que la vie politique est plus dirigée par des technocrates, des financiers, des économistes, que par de vrais hommes politiques ? Ce qui pourrait expliquer un désamour pour la classe politique...

Je ne suis pas convaincu par cette idée, parce que la classe politique actuelle ne dégage pas vraiment une assurance et une image de techniciens qui maîtrisent les sujets et les réponses aux questions que se posent les Français, et notamment dans tous les leviers économiques actuels.

En revanche les Français ont effectivement cette impression que le pouvoir a échappé aux politiques. Mais c’est la question de l’œuf et de la poule. Sont-ce les politiques qui, par une certaine médiocrité et un manque de maîtrise, ont laissé les financiers et les entreprises prendre le pouvoir ? Ou à l’inverse sont-ce ces derniers qui ont remplacé les hommes politiques ? La première hypothèse me parait plus crédible. On peut ainsi penser que lorsqu’on aura à la tête de l’Etat de vrais hommes politiques, avec un programme, de la volonté, la force de taper du poing sur la table et de s’imposer face aux marchés ou aux entreprises, les Français pourront croire à nouveau à une vie politique. La France cherche un peu une nouvelle figure tutélaire de la politique, et c’est sans doute pour ça que règne parfois un parfum de nostalgie envers les anciennes « gloires » de la politique comme De Gaulle.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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