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Version sous-titrée : pourquoi les clips de campagne officiels en disent beaucoup plus long  sur les candidats que les messages qu’ils assument
©Reuters

L’œil et l'esprit

Les clips de campagne viennent de sortir. Ils sont la vitrine la plus classique des candidats à la télévision. Mais que disent-ils vraiment de ceux qu'ils défendent, au delà de la com' ?

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Benoît Hamon

La tonalité de clip, formellement plaisant et esthétique, est celle de l'optimisme, de la confiance dans l'avenir. Il y a bien une référence à l'indignation nécessaire, mais les peurs sont bannies, si ce n'est celle de voir les colères se transformer en haine. L'identité multiculturelle de la France y apparaît heureuse et moderne (il fallait oser le plan sur la jeune femme voilée manipulant son smartphone).

Le film met en scène le candidat, lequel souffre depuis le début de sa campagne d'un déficit de culte de la personnalité. On a donc fort opportunément oublié pour quelques minutes le 49/3 citoyen et la volonté de rendre le pouvoir aux Français, de manière à mettre en valeur la volonté d'un homme, bienveillant et compréhensif, inscrit dans la tradition de la gauche, de Jaurès à Badinter, et qui saura conduire le pays vers un futur désirable.

Le clip souligne cependant involontairement l'un des handicaps de la candidature Hamon. Entre le catastrophisme du diagnostic écologique (rien moins qu'une crise du modèle de croissance et qu'une planète en danger) et l'optimisme de la vision d'un futur désirable, on ne discerne pas la radicalité de l'action révolutionnaire susceptible de renverser la situation. Si le diagnostic est juste, l'avenir sera dur, et ne ressemblera assurément pas à cette ballade des gens heureux, optimistes et confiants. La valorisation du vote "pour" contre le vote "contre" présente le mérite de ne pas prendre appui sur les passions tristes mais elle ne peut mobiliser que les catégories de Français à l'abri des difficulté de l'époque.

Jean-Luc Mélenchon

Il est intéressant de comparer le clip de Mélenchon avec celui de Hamon, puisqu'ils visent le même électorat. Trois différences sautent aux yeux. La première tient au fait que la candidature Mélenchon s'adosse explicitement à la "colère du peuple". Le clip commence par des images de manifestation. Le peuple de gauche auquel s'adresse Mélenchon est clairement le peuple des indignés, celui qui manifeste, qui revendique et qui proteste, ou qui comprend qu'on le fasse. La deuxière différence tient au parti-pris "archaïque" qui consiste à mobiliser toute la symbolique héritée de l'histoire des gauches : Marianne, la République une et indivisible, la laïcité, la devise républicaine, mais aussi les drapeaux rouges et les poings levés, la lutte pour la démocratie et la paix, contre les injustices sociales et le règne de l'argent. Il greffe sur cette rhétorique classiquement républicaine et révolutionnaire la thématique écologique devenue aujourd'hui  le lieu commun de la gauche anticapitaliste. Troisième différence : Mélenchon décline un programme d'action, apparaissant ainsi plus réaliste et opérationnel que le candidat socialiste (quoique l'on puisse penser de la crédibilité du projet). La radicatité de l'ambition révolutionnaire, sur le mode démocratique et pacifique, se traduit par le projet d'une sixième république introduisant une dimension de démocratie directe.

Marine Le Pen

Les clips de Marine Le Pen atteignent une forme d'excellence dans l'expression du populisme autoritaire. Il sont centrés sur la cheffe charismatique qui parle "au nom du peuple" en dénonçant les élites qui ont trahi ou ont failli. Le premier clip, esthétiquement réussi, travaille sur le symbolique : Marine saura tenir le gouvernail d'une France que l'on veut identique à elle-même, à l'image d'un paysage breton millénaire, et non du cosmopolitisme marseillais. La mise en scène de l'identification du leader et du pays est assurée par le récit d'une femme française attachée aux valeurs et aux attentes partagées (liberté, justice, respect, sécurité), une femme qui, aimant la France, est légitimement révoltée par les humiliations qu'elle subit et le désordre qui y règne. Le  fondamentalisme islamique est d'emblée évoqué comme un risque détérioration du mode de vie français, attaché notamment à la liberté des femmes. L'inquiétude face au caractère humiliant pour la France et les Français de l'affirmation identitaire de l'islam est ensuite présente tout au long du clip de manière subliminale.

Dans le second clip, complémentaire du premier, la candidate s'adresse face caméra aux Français. Il n'est plus question de la France en général, mais des Français, de leurs difficultés concrètes qui sont diverses selon les catégories et les situations particulières (il est notamment question du handicap et de l'autisme). La candidate décline ainsi un programme d'action en faveur des petits et des sans-grade qui la fait apparaître concrète, réaliste, au service du peuple.

Nicolas Dupont Aignan

Le clip de Dupont Aignan mobilise comme Marine Le Pen la rhétorique et la symbolique patriotiques mais dans un style éthérée, à l'image du clip de Benoît Hamon. Dupont-Aignan, c'est un peu de ce point de vue le Hamon de gauche, à ceci près qu'il s'adresse à la France des champs quand ce dernier cible la France des villes. La France est ainsi illustrée dans le clip par des images de paysages ruraux ou maritimes. Pour le reste, le candidat décline sobrement son projet souverainiste,  mais de manière quelque peu abstraite, sans jamais trouver la dimension d'incarnation qui fait la force de Marine Le Pen, dont le discours, au plus près des peurs et des souffrances françaises, parvient davantage à susciter l'identification.

François Fillon

Le clip de François Fillon est didactique, esthétiquement terne. Le candidat décline sobrement son projet. Il évoque à peu près tous les problèmes du moment : le chômage bien sûr, mais aussi la dette, la pauvreté, le terrorisme, le communautarisme. La contrepartie de ce survol est qu'on en retient peu de choses si ce n'est (mais il s'agit sans doute d'une intention assumée) l'image d'un candidat pragmatique, sérieux, robuste et constant dans l'affirmation d'une volonté rationnelle de redressement économique de la France. La personnalisation est réduite au strict minimum ("j'ai une force en moi"), le slogan ("Une volonté pour la France") illustrant cette recherche d'alliage de sobriété et d'efficacité.

Les images, illustratives et sans grande portée symbolique, montrent les différentes catégories de Français concernées par les mesures préconisées par le candidat. Comme Macron, Fillon ne cherche ni à incarner la France ou une France, ni à se faire le porte-parole des mécontents. Aux symboles, il préfère le projet circonscrit au service de la France et des Français. Il fixe un cap clair : remettre en marche les moteurs de l'économie en deux ans, restaurer le plein emploi en cinq ans et faire de la France la première puissance économique en dix ans. Fillon se distingue toutefois de Macron sur deux points essentiels. D'une part, il ne néglige pas le régalien ni le problème de l'insécurité culturelle : il développe le thème de l'unité de la nation, fait allusion au risque du communautarisme et rappelle que la France a "une âme, une culture, un drapeau". D'autre part, et c'est une singularité par rapport à tous les autres clips, il souligne la dimension tragique de l'histoire, à travers un plan où l'on voit le visage recceuilli du candidat devant un monument aux morts.

Emmanuel Macron

Le clip illustre excellement la force et la faiblesse politiques d'Emmanuel Macron. La force, d'abord, qui est double. Macron n'est pas l'homme d'un parti, mais le candidat suceptible de rassembler les bonnes volontés au service du progrès, le candidat qui travaille avec tout le monde, pour tout le monde. Il a un objectif clair et concret, qu'il décline avec force détails, autant qu'il est possible en trois minutes : réformer le travail en France. Remettre la France en marche, c'est remettre le travail en marche, les chômeurs au travail, notamment en réformant la formation. Pour un quinquennat, c'est un objectif réaliste, à l'aune duquel on peut mesurer une réussite ou un échec. Les images du clip sont en conséquence des images de Français au travail, qui accompagnent un discours sur la libération de la capacité d'initiative et des énergies. La faiblesse politique corrélative à cette ligne cohérente tient au fait qu'il n'est question de rien d'autre; le régalien et la question identitaire, notamment, sont totalement occultés.

Comme chez Fillon (dans une moindre mesure), la dimension de la personnalisation s'efface devant la valorisation du projet. Le candidat se présente brièvement et sobrement aux Français, le clip montrant juste quelques images d'un candidat simple et sympathique qui va à la rencontre des gens. A la différence des autres candidats, il n'est pas fait référence, ni même allusion, aux colères, indignations et révoltes qui traversent la société française. Macron ne surfe pas sur les mécontentements et les passions tristes. Il propose un vote "pour", mais réaliste et concret, à la différence de Hamon. Il est à cet égard un "Fillon de gauche", que l'on peut opposer à Mélenchon, le "Le Pen de gauche".

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