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Renverser Assad, soit, mais pour le remplacer par qui... L’Occident est-il sur le point de commettre la même erreur que dans ses interventions précédentes au Moyen-Orient ?
©Reuters

Chassez le despote

Après les frappes aériennes américaines qui ont touché l'aviation du régime syrien, les Etats-Unis ont laissé entendre que la fin du pouvoir pour Bachar Al-Assad pourrait-être proche. Cette question rappelle le problèmes des précédentes interventions Occidentales au Moyen-Orient qui ont laissé des pays en proie au chaos.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Est-ce qu'il existe une solution alternative à Bachar Al-Assad en Syrie ?

Alain Rodier : Depuis la révolution de 2011, la chute du régime du clan Assad est le rêve de tous les dirigeants occidentaux qui espéraient à l’époque que cela se passerait en quelques semaines. Il est logique de se demander pourquoi, le despote syrien n’ayant rien à envier à de nombreux homologues proche orientaux. On ne soulignera jamais assez cette erreur d’analyse commise par ceux qui sont chargés de suivre la situation au Proche-Orient. A leur décharge, il est possible que les responsables politiques n’aient souhaité retenir que ce qu’ils voulaient bien entendre et ce ne serait pas une première.

Mais pour répondre à votre question : oui, il existe des solutions alternatives à Bachar el-Assad mais elles ne font pas plaisir à entendre.

Quelles sont les solutions qui peuvent être mises en place pour l'après Bachar Al-Assad en Syrie ? 

L’opposition syrienne à l’étranger - dans la mesure où elle pourrait trouver un semblant d’unité, ce qui semble bien difficile - n’a aucun moyen d’assurer son autorité en Syrie même. Il faudrait qu’elle revienne dans les soutes d’un corps expéditionnaire international qui agirait en masse. Cette solution est aujourd’hui totalement irréaliste d’autant que si les dirigeants politiques sont très va-t’en guerre, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs administrés qui ne sont pas tout à fait enclins à aller se faire trouer la peau pour des causes qui leur semblent extérieures et bien étrangères.

L’opposition intérieure est majoritairement islamiste radicale et divisée très schématiquement en deux entités : Daech dans l’Est et les groupes dépendant (officiellement indirectement) d’Al-Qaida "canal historique" dans la province d’Idlib au Nord-Ouest sans compter des poches de rebelles de toutes tendances à Hama, Damas, et Deraa. Ces entités souhaiteraient prendre le pouvoir mais se battraient d’abord entre elles comme cela s’est déroulé en Afghanistan après le départ des Soviétiques en 1989. La guerre civile perdurerait durant des années avec des conséquences génocidaires pour les minorités alaouites, chrétiennes, druzes, etc. Pour elles, " la valise ou le cercueil " serait vraiment d’actualité. Les seuls qui devraient plus ou moins tirer leur épingle du jeu seraient les Kurdes dans la mesure où l’on continuerait à les soutenir car ils ont beaucoup d’adversaires. De plus, ils ne forment pas vraiment un bloc uni ce qui peut compliquer la donne.

Bachar el-Assad peut aussi avoir la bonne idée de se retirer puisque l’on semble faire une fixation sur sa personne qui, certes, est très peu recommandable. Je pense qu’il aurait le choix entre Téhéran et la Crimée qui est plus gaie en été. Mais, étant donnée la pression actuelle exercée par le monde occidental emmené par les néoconservateurs qui ne rêvent que d’en découdre, en réaction Moscou et Téhéran ne vont pas pousser le président syrien à cette extrémité, du moins pour l’instant. Toutefois, à terme, cette solution est envisageable mais il sera alors remplacé par quelqu’un de son propre camp (des noms de généraux circulent déjà).

Plus généralement, quoiqu’en disent toutes les capitales, nous allons vers une partition de la Syrie, de l’Irak, du Yémen, de la Libye, du Mali, etc. selon des critère confessionnels ou (et) ethniques. De fait, elle existe déjà mais on fait comme si… A un moment ou un autre, il faudra bien gérer contraint et forcé !

Est-ce qu'on ne risque pas de refaire les mêmes erreurs qu'en Irak s'il n'y a pas de solutions alternatives ?

L’Occident en général - emmené par les États-Unis - accumule les erreurs stratégiques en matière de politique internationale depuis des décennies, surtout depuis la dissolution de l’URSS. Il s’agit sans doute un vieux réflexe " colonialiste " qui a juste changé de cause : il ne tente plus d’imposer ses prêtres et ses pasteurs par la force mais son idéologie " démocratique " qu’il affirme universelle sans tenir compte des spécificités et des susceptibilités locales. La différence avec l’époque du colonialisme, c’est qu’il n’a plus aujourd’hui assez de canonnières pour appuyer cette " mission quasi divine ". Les observateurs occidentaux aiment bien aujourd’hui distinguer deux mondes : celui du " bien " et celui du " mal ".

Alors, que faut-il faire ? C’est simple et compliqué à la fois : négocier au plus haut niveau même si les dirigeants avec lesquels on est obligé de parler sont moralement infréquentables. Généralement, on ne négocie pas avec des amis (le terme " amis " est parfois vite dit) mais avec des adversaires ! Les " numéro un " et pas les sous-fifres, devraient se rendre à Moscou, Pékin, Téhéran, Damas, Riyad, Pyongyang et parler franchement. Cette initiative pourrait être conduite par le futur président français(1) qui marquerait ainsi une véritable rupture avec le suivisme otanien enclenché par ses prédécesseurs.

Je vois d’ici les critiques : c’est l’"esprit de Munich qui revient " sauf que s’il faut bien connaître l’Histoire et il convient de se rappeler qu’elle ne se répète généralement pas deux fois de la même façon. Et quand on n’a pas les moyens de vaincre militairement, on est bien obligé de négocier. L’Occident a ensuite des armes à faire valoir dont celle de la coopération économique.

Il serait temps que les dirigeants politiques élus admettent qu’ils ont pour première mission de défendre l’intérêt de leurs concitoyens à court et à long termes. Les grandes capitales semblent l’avoir compris. Pourquoi pas Paris ?

(1.) peut-être en liaison avec Berlin, Londres semblant décidé à suivre - voire à précéder – Washington dans ses velléités bellicistes.

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