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Les malvoyants du cercle de la raison : pourquoi cette campagne se fait beaucoup plus sur du fond -fût-il déplaisant- que ce qu'en pense François Hollande (et tant d'autres)
©Reuters

Désastre

Dans son interview accordée au Point, François Hollande déplore le manque de fond de cette campagne. Mais le fond n'est pas absent de cette élection, au contraire il est bien présent sur ce dont les Français ne veulent plus.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : François Hollande a dispensé une interview au Point dans laquelle il déplore le manque de fond de la campagne présidentielle. Pour autant la volonté de rupture, est-ce vraiment un manque de fond? Au contraire la percée des candidats qui proposent une rupture ne fait-elle pas émerger de vraies questions ?

Vincent Tournier : On ne peut pas dire que les questions importantes sont absentes de la campagne, ni que cette dernière a totalement déméritée. De ce point de vue, la phrase de François Hollande est étrange, et même choquante tant elle semble hautaine et méprisante : « cette campagne sent mauvais ». Qu’est-ce qui sent mauvais ? Et pourquoi François Hollande vient-il dire cela alors que la campagne touche à sa fin ? S’il désapprouve la tonalité des débats, pourquoi ne l’a-t-il pas dit plus tôt ? Pourquoi n’a-t-il pas essayé d’orienter la campagne pour recadrer les choses s’il estime qu’il y a une dérive ? En réalité, on comprend que, s’il réagit maintenant, c’est surtout à cause de la percée de Jean-Luc Mélenchon (ce qui revient au passage à reconnaître que le score élevé du Front national ne lui posait pas de problème). Il est vrai que l’effondrement de Benoît Hamon est un échec personnel supplémentaire pour le président sortant. Non seulement il n’a pas été en mesure de se présenter à un nouveau mandat, ce qui est en soi une terrible humiliation, mais de plus, il a plombé toute candidature qui se rattache à lui, même de façon lointaine et critique. D’ailleurs, François Hollande n’ose même pas annoncer publiquement son soutien à Emmanuel Macron tant il a visiblement peur de saborder la candidature de ce dernier. 

Mais au-delà, le pire est surtout que François Hollande ne semble se poser aucune question sur sa propre responsabilité dans la situation actuelle. C’est à croire qu’il n’a pas été président de la République pendant cinq ans, et qu’il n’a pris part à aucune des décisions qui ont contribué à nous amener là où nous en sommes. L’Europe serait-elle un tel point de clivage au sein de la gauche s’il n’avait pas renoncé à suivre sa promesse de réorienter les traités à son arrivée en 2012 ? Charlie Hebdo serait-il aujourd’hui obligé d’interpeler les candidats à la présidentielle sur la laïcité si le président n’avait pas renoncé à se saisir à bras-le-corps de ce dossier, au lieu de le confier en sous-traitance à l’Observatoire de la laïcité, cet organisme problématique dont on se demande à quel jeu il joue ? L’opinion serait-elle aussi inquiète face à l’islamisme à la crise migratoire si le président avait défini un cap clair ?

Virginie Martin :  Il faut voir une première chose : on ne peut pas analyser un panorama présidentiel sans tenir compte de l'offre politique qui est en liste. C'est important de regarder l'entièreté de l'offre politique en ligne. Dans ce spectre il y a Macron qui fait émergence. De manière automatique, il radicalise les électorats qui ne veulent pas aller chez lui. 

Il favorise le vote radicale car de manière quasiment géométrique quand vous avez un parti centrale attrape tout qui veut mordre à gauche, à droite, si vous ne voulez pas vous faire prendre par les tentacules de la pieuvre, vous fuyez vers les extrêmes. Il y a un automatisme politique qui se met en route. Il y a aussi un vote establishment et contre establishment. L'électeur se dit "mais quelle est cette élection étrange ou on a l'impression que l'élection est déjà jouée. Parce que Hollande soutient Macron en sous-main, ses équipes sont derrière, l'UDI est là-bas. Certains comme Aurore Berger des Républicains l'a rejoint, que les élites et les élites médiatiques sont derrière lui, les BHL, Minc, Attali… Les gens en réaction veulent récupérer cette élection  qui " a l'air d'être préparée". Ce n'est donc pas une élection qui n'a pas de fond, mais plutôt une élection que l'on a privé de fond.

D'autre part l'élection n'est pas absente sur le fond. Qui ne fait aps de fond ? Emmanuel Macron principalement. Il ne sort pas son programme, fait des grandes phrases sans fond… Au contraire, Hamon et Fillon ont des programmes forts en termes de positionnement idéologique et politique. Fillon est très libéral et Hamon est de gauche à la manière des années 80 de Mitterrand.

Mais effectivement le vote Le Pen/Mélenchon n'est pas qu'un vote de colère. Ils disent combien certaines personnes en ont assez de cette politique vide de sens qui ne veut pas renverser la table et propose de recommencer tout simplement. Ils ouvrent des portes qui paraissaient être interdites. Par exemple la renégociation de la dette, est-ce que la Ve République on va la conserver. Est-ce que la France est si pauvre quand on sait que les grands actionnaires vont bien, que les grands patrons s'augmentent de manière vertigineuse…Mais alors "pourquoi on ne le ressent pas? " Ces gens ont le mérite de mettre les pieds dans le plat en disant qu'il y a des territoires et des populations délaissées.

Comment expliquer cet aveuglement de la part des candidats de la raison? Le fait qu'il n'arrivent pas à voir ces critiques de fond qu'est ce que cela révèle d'eux même ? Comment qualifier cette position ? 

Vincent Tournier : La campagne n’est pas aussi catastrophique qu’on le dit. Elle a mis un peu de temps pour se mettre en place, mais elle n’a pas démérité. On a même assisté à des événements importants, comme ces grands débats entre les candidats, débats dont on disait autrefois qu’ils étaient impossibles à organiser. Donc, par certains côtés, cette campagne est même bien plus riche que les précédentes. 

Le problème est que le contexte ne permet pas de lui rendre justice. En temps ordinaire, on se féliciterait sans doute d’une telle campagne. Mais vu la situation, cela ne suffit pas. On a en effet le sentiment d’être au terme d’un cycle. Non seulement les problèmes se sont accumulés, que ce soit sur le plan national ou sur le plan international, mais on ne voit pas qu’elles peuvent être les solutions. Finalement, c’est cela qui est le plus troublant : ce sentiment que l’on est face à une sorte d’impuissance, à une incapacité à imaginer des réponses. 
Prenons par exemple l’Europe : il est clair que la situation actuelle n’est plus tenable. En même temps, l’abandon pur et simple du projet européen paraît tout aussi absurde que le statu quo, ne serait-ce que parce que l’Europe va être confrontée à des défis majeurs dans les années qui viennent, que ce soit pour faire face à la pression migratoire ou aux menaces militaires, sans parler du néocolonialisme que vient d’engager la Chine en Afrique. Mais que faut-il faire ? Pour l’instant, personne n’a posé la question autrement qu’en termes binaires : on reste ou on sort. Or, peut-être convient-il désormais d’envisager une autre option, par exemple en refondant l’Europe sur un petit nombre de pays. Cette option a d’ailleurs commencé à être suggérée récemment par François Hollande (pourquoi si tard ?) et elle risque fort d’être un peu la dernière chance pour sauver le projet européen, en donnant des satisfactions à la fois aux opposants et aux partisans de l’Europe.

Virginie Martin : On a l'impression dans ce que dit Hollande qu'il y a toujours le principe régalien qui vient tout excuser. Il travaille à son image de postérité et en oublie de poser les questions de fond selon moi. Il oublie de poser la question du malaise et des détresses des Français. Il se réfère souvent aux grandes entreprises au terrorisme et ne descend pas au niveau micro pour rester au niveau macro.  Au contraire les candidats de rupture disent quelque chose que les Français ressentent. 

La surdité d'Emmanuel Macron est simple. On ne l'a jamais vu visiter des marchés, il fait des campagnes par médias interposés, il ne s'est jamais battu dans les petites circonscriptions. Ce n'est pas une campagne qui est en contact avec les gens, c'est une campagne médiatique sondagière, qui porte ses fruits, mais ce n'est pas une campagne de terrain.

Sur quels sujets les Français veulent du changement (libéralisme, système politique, questions européennes, gestion des défis liés à l'immigration...) ?

Vincent Tournier : Il est difficile de répondre parce que, si on prend la situation électorale telle qu’elle se présente aujourd’hui, c’est-à-dire avec les quatre candidatures qui arrivent en tête (Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon), on comprend que la société française est très divisée. Plus précisément, cette situation montre qu’il y a deux types de clivages que l’on pourrait se figurer comme des axes : un axe libéral/autoritaire et un axe internationalisme/nationalisme. Si on combine ces deux axes, on peut dégager quatre types d’électeurs, chaque type correspondant à l’un des quatre candidats : Emmanuel Macron est dans la case libéral/internationaliste, Marine Le Pen est dans la case autoritaire/nationaliste, François Fillon est dans la case autoritaire/internationaliste et Jean-Luc Mélenchon est dans la case libéral/nationaliste. Bien sûr, ce schéma est simplificateur, mais il correspond quand même aux grandes divisions que l’on observe dans l’opinion publique. Or, le fait que ces quatre tendances pèsent à peu près le même poids rend la situation très instable. Du coup, quelle que soit l’issue du scrutin présidentiel et législatif, nous allons nous retrouver face à des défis très importants. Nous entrons assurément dans une phase de turbulences intenses, et bien malin celui qui peut en prédire l’issue.

Virginie Martin :Le problème c'est que les électeurs des uns n'aspirent pas forcément au même changement que les autres. C'est pour cela que des candidatures moyennes comme Macron prennent. Parce qu'au moins on est sûr que ça n'ira pas dans le sens opposé de ce que l'on souhaite. Les électeurs de Marine Le Pen par exemple veulent des choses très fortes en matière d'immigration, de culture d'Europe… Et ceux de Jean-Luc Mélenchon veulent des ruptures énormes en matière de profit lié au capital et non au travail, de grands changements dans les institutions politiques… Pour Mélenchon (comme pour Hamon) il y a de grandes prétentions écologiques également.

Tout le monde ne voulant pas la même rupture c'est compliqué. Mais ce que les candidats "mainstream" n'entendent pas c'est les souffrances des gens.

La critique du libéralisme a passé le point où l'on peut l'entendre. Via Jean-Luc Mélenchon, via Marine Le Pen mais via aussi d'une certaine manière Benoit Hamon. Le libéralisme est entendu en France comme n'étant pas l'alpha et l'oméga de nos solutions. Dans l'opinion publique, il y a une envie d'entendre que le libéralisme ne nous libérera pas du travail fastidieux, d'aller mieux, d'être plus riche. Finalement le libéralisme qui s'est avant accompagné de progrès pour le plus grand nombre, aujourd'hui l'idée qu'il s'accompagne de souffrance pour trop de gens commence à faire son effet. 

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