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Ce rapport Leroy qu'il faut lire pour prendre la juste mesure du mépris de l'Etat pour la santé et les conditions de travail des fonctionnaires
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La paille et la poutre

En matière de protection du salarié, l'Etat est toujours le premier à mettre en garde le secteur privé. Pourtant, si on regarde de plus prêt, les conditions de travail et de santé des fonctionnaires ne sont pas très enviables.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Entrepreneurs, c’est bien connu : vous êtes d’horribles exploiteurs obsédés par le profit et prêts à tout vendre, père, mère, et salariés bien sûr, pour gagner toujours plus d’argent! C’est pourquoi vous méritez d’être accablés d’impôts confiscatoires sans aucune contrepartie. Pourtant, le rapport d’un certain Daniel Leroy sur « les effets du décret n°2011-1474 du 8 novembre 2011 sur l’accès à la protection sociale complémentaire dans la Fonction publique territoriale », présenté devant une obscure instance de fonctionnaires le 29 mars, en dit long sur le réalité du mépris que l’Etat employeur nourrit pour ses collaborateurs et sur l’allégresse avec laquelle l’Etat s’affranchit du droit en vigueur dans ce pays.

Aucune entreprise ne pourrait traiter ses salariés de cette façon.

L’entreprise, territoire de santé

Tous les entrepreneurs ont entendu parler de la généralisation de la complémentaire santé, inventée par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et transposé dans la loi du 14 juin de la même année. Elle oblige tous les employeurs à souscrire à un contrat de complémentaire santé pour leurs salariés et à financer au moins 50% des primes de ces contrats. Dans la foulée, le Parlement avait fiscalisé la participation des employeurs à ces contrats, ce qui avait induit une augmentation d’impôt de parfois plusieurs centaines d’euros pour les salariés.

Ce faisant, l’entreprise devenait officiellement un territoire de santé. Jusqu’ici, on estimait à environ 75% le volume de salariés couverts par un accord santé sur un acte volontaire de l’entreprise. La généralisation ne laissait plus le choix aux récalcitrants.

L’Etat employeur se soucie beaucoup moins de la santé de ses fonctionnaires

Depuis 2013, la cause de la santé dans la fonction publique n’a guère bougé. Elle est restée bloquée à ces fameux décrets de 2011 qui prévoient, dans la fonction publique territoriale, la possibilité d’une « labellisation » d’un assureur santé par la collectivité ou d’une « convention de participation » qui prévoirait une prise en charge d’une partie des primes par l’employeur.

Et là tu comprends tout de suite le raisonnement implicite qui guide cette situation surréaliste. Toi, employeur privé, tu es un grand méchant, donc l’Etat te punit en t’obligeant à souscrire un contrat santé pour tes salariés. En revanche, pour ses propres ouailles, l’Etat (au sens large) s’absout lui-même de tous les péchés, donc il évite soigneusement de se soumettre aux mêmes obligations que les employeurs privés.

Du coup, il y a bien d’un côté des employeurs privés qui investissent dans la santé de leurs salariés et des employeurs publics qui considèrent cette affaire comme tout à fait périphérique à leurs missions.

L’Etat employeur n’y comprend goutte

Au passage, on lira le rapport Leroy avec stupéfaction. Il est le fait d’un fonctionnaire comme on voudrait ne plus en voir. Sa question n’est en effet pas de savoir si les fonctionnaires territoriaux sont en bonne santé, s’ils ont correctement accès aux soins, si leurs besoins sont couverts, par exemple en optique ou en prestations dentaires. Non, visiblement, ces questions-là sont bonnes pour les employeurs privés, mais pas pour le public.

Non! le rapport Leroy ne s’occupe que d’une seule question: est-ce que la procédure fonctionne? Autrement dit, est-ce que les fonctionnaires souscrivent à un contrat auprès d’une mutuelle de la fonction publique (nous reviendrons plus loin sur le scandaleux favoritisme dont l’Etat fait preuve vis-à-vis de ses mutuelles). Le reste (à savoir, est-ce que les contrats proposés correspondent aux besoins sanitaires de la population concernée), on s’en fout!

Là encore, on imagine une situation inversée. Que n’entendrait-on pas, si les employeurs ne s’occupaient que de donner du chiffre d’affaires à des assureurs privés en souscrivant des contrats sans savoir s’ils sont ou non adaptés aux besoins des salariés?

L’Etat employeur découvre les contraintes qu’il a imposées sans vergogne aux entreprises

Ce faisant, le rapport découvre les difficultés que personne n’a eu de scrupule à imposer aux entreprises. On lira donc, à titre d’exemple, des phrases stupéfiantes :

Le montant de la participation de l’employeur : la majorité des représentants des personnels rencontrés ont un point de vue critique sur le niveau financier de la participation employeur qui ne leur semble pas assez incitatif pour de nombreux agents. L’étude ne permet pas de dégager un ratio moyen entre le montant de la participation perçu par un agent et celui de sa cotisation, mais certaines collectivités l’estime à environ 20% pour la plupart de leurs agents, à l’exception de ceux aux plus faibles revenus qui bénéficient souvent d’un effort financier relativement plus important de la part de leur collectivité.

La fiscalisation de la participation employeur : l’intégration dans le salaire imposable de la part des cotisations prises en charge par l’employeur apparaît comme peu incitative pour les petits salaires et les temps partiels.

Tiens ! Mais comment avons-nous fait, nous, les employeurs privés, pour résoudre ces problèmes? Nous avons dû prendre en charge 50% des cotisations, sans que personne ne se soucie de savoir si nous avions les moyens ou non d’assumer cette dépense nouvelle. Il a donc bien fallu se débrouiller, sachant que la majorité de 2012 n’a eu aucun scrupule à fiscaliser la participation employeur, y compris pour les petits salaires.

Et là tu comprends que les gentils fonctionnaires n’acceptent pas pour eux-mêmes le dixième des obligations qu’ils imposent aux méchants employeurs privés.

Les mutuelles demandent de nouveaux privilèges pour les fonctionnaires

Pour développer leur chiffre d’affaires, les mutuelles auditionnées dans le cadre de ce rapport n’ont donc eu aucun scrupule à revendiquer des privilèges pour les fonctionnaires qu’elles ne sont pas parvenues à « capturer » dans leurs contrats extrêmement coûteux. Ainsi, on lira les propos du président de la Mutuelle de la Fonction Publique, M. Brichet, qui propose tout simplement de revenir aux dispositions fiscales d’avant 2013:

M. BRICHET fait observer qu’en matière de protection sociale complémentaire, l’Etat finance 5 milliards d’euros dont seulement 50 millions sont consacrés aux agents publics. Il indique qu’un dispositif fiscal simple permettrait de répondre à la problématique globale d’iniquité des citoyens dans l’accès à une protection complémentaire : le crédit d’impôt.

Il faut lire l’argument entre les lignes! L’Etat employeur ne contribue pas aux contrats santé de ses fonctionnaires parce qu’il n’a pas d’argent (question, redisons-le, dont personne ne s’est soucié lorsque la même charge a été imposée aux entreprises). Et comme personne n’imagine financer la dépense que constituerait cette dépense nouvelle sur des lignes existantes (ce qu’ont fait toutes les entreprises), les mutuelles de la fonction publique trouveraient tout à fait justifié de revenir à la défiscalisation que la gauche a supprimée la bouche en coeur en 2013 pour les salariés du privé.

De cette façon, c’est le contribuable qui financera une mesure nouvelle pour les fonctionnaires… Astucieux, non?

Comment le rapport Leroy annonce une nouvelle violation du droit

Au passage, le rapport Leroy a procédé à deux types d’audition. D’un côté, il a interrogé des services de ressources humaines du secteur public. De l’autre, il a interrogé quatre mutuelles: la mutuelle de la fonction publique (MFP), la mutuelle Intériale (ministère de l’Intérieur), la mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN), et la mutuelle nationale territoriale (MNT). Et les organismes paritaires comme AG2R, Malakoff ou Humanis? et les assureurs privés? et les intermédiaires d’assurance?

Une fois de plus, le droit de la concurrence n’est pas respecté par l’Etat employeur. Une fois de plus, la protection sociale complémentaire est comprise comme un moyen de financer des copains, et pas comme une externalité positive devant profiter à l’assuré lui-même.

C’est bien ce sujet qu’on aurait aimé lire dans le rapport Leroy. Parce que la première raison pour laquelle les fonctionnaires ne s’assurent pas auprès de leur mutuelle, c’est que celle-ci, comme l’employeur lui-même, ne s’intéresse pas à eux, si ce n’est comme prétexte ou comme levier pour se faire du gras.

Prenez-en de la graine, entrepreneurs! il n’y a de bon Dieu que pour les employeurs fripouilles.

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