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Et si on enseignait aux enfants 
à aimer les impôts 
qu'ils paieront adultes ?
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L'amour du fisc

Le rapport public de la Cour des comptes dresse un bilan mitigé des politiques menées en la matière depuis les lois de modernisation de l’Etat de la fin des années 1990. Complexité, défaut de compréhension et d’information, manque de confiance, incivisme, etc. : les conclusions de ce travail ne surprendront personne. Faut-il se résoudre à constater que les citoyens n'aiment pas l'impôt ?

Manon  Sieraczek

Manon Sieraczek

Manon Sieraczek est avocate fiscaliste, docteur en droit. Elle est aussi présidente de l’association Trésor AcadémieElle organise lundi prochain matin à l'Assemblée nationale en commission des finances un Forum débat sur la thématique de l'impôt heureux  ou comment réconcilier les Français avec l'impôt, au cours duquel les représentants de chacun des candidats à la Présidentielle seront amenés à répondre à 10 questions fiscales cruciales.

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Le rapport public de la Cour des comptes (publié le 21 février) sur « Les relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises » dresse un bilan mitigé des politiques menées en la matière depuis les lois de modernisation de l’Etat de la fin des années 1990. Complexité, défaut de compréhension et d’information, manque de confiance, incivisme, etc. : les conclusions de ce travail ne surprendront personne.Elles ont cependant de quoi déprimer quand on rapporte les efforts déployés aux résultats obtenus. Faut-il en déduire que la « forteresse » de Bercy est à jamais irréformable ? Et que les Français resteront d’incurables allergiques à l’impôt ? Comme avocate fiscaliste et comme citoyenne, je ne peux me résoudre à cette fatalité. J’ai la conviction que l’on peut réconcilier les contribuables avec l’administration fiscale, et contribuer au rééquilibrage du budget de l’Etat en réaffirmant le sens et le rôle de l’impôt comme ciment de la nation et du « vivre ensemble ». 

A condition de prendre le problème en amont.Car le marasme des marchés et la croissance en berne n’expliquent pas tout de la crise des finances publiques qui ravage actuellement l’Europe. La situation économique ne fait qu’exacerber les symptômes d’un mal plus profond et plus ancien : la crise des finances publiques résulte pour une large part d’une crise du consentement à l’impôt. Nous nous piégeons nous-mêmes depuis des années en refusant de considérer avec lucidité deux aspirations contradictoires : comme contribuables, nous payons toujours trop d’impôts – prélèvements directs et indirects, locaux et nationaux, assurances sociales, etc.  ; mais comme citoyens, nous n’avons jamais assez de services publics – santé, sécurité, éducation, environnement, culture… Comme électeurs, nous nous débarrassons de ce dilemme en accordant à nos représentants des mandats complaisants pour surseoir au problème, tirer des traites sur les revenus futurs de nos enfants et petits-enfants, creuser le déficit et la dette dans l’attente quasi religieuse du retour à un taux de croissance record – par définition cyclique et aussi prévisible que la météo à 5 ans. C’est ce qui s’appelle glisser la poussière sous le tapis...

Les violences qui sévissent en Grèce ou la situation de l’Italie devraient pourtant nous renseigner et nous mettre en garde contre le danger qu’il y a à ne pas s’inquiéter du consentement à l’impôt, à considérer les déficits, la fraude fiscale et le travail au noir comme un joyeux folklore ou un « sport national ».

La France n’a pas encore atteint ces extrémités, mais elle s’en rapproche. Or quiconque voudra sérieusement résoudre la crise des finances publiques – c’est-à-dire tailler dans les dépenses et/ou augmenter les recettes – devra inéluctablement et au préalable s’attaquer à la question du consentement.
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a ici matière à consensus. De droite, du centre ou de gauche, on peut débattre et s’opposer à l’envi sur les taux, les assiettes et les incitations les plus efficaces au service de telle ou telle politique économique donnée. On peut, en revanche, s’accorder sur une ligne directrice transpartisane pour guider toute réforme : à savoir qu’une politique fiscale efficace passe d’abord par le consentement à l’impôt, et que celui-ci s’épanouit dès lors que l’impôt est compris, juste et performant.

Sur ces trois points, l’administration fiscale a fait beaucoup plus de progrès que le législateur ces dix dernières années. Encore imparfaits, l’accueil et l’information des contribuables, les services et outils pratiques comme les télé-procédures et le guichet unique, ont grandement contribué à faciliter la vie des particuliers, des entreprises et des agents de l’administration – autant d’effort de simplification et de pacification cependant entravés par l’inflation et l’instabilité des législations fiscales.

Cette illisibilité de l’impôt est cruciale en ce qu’elle empêche le citoyen d’en mesurer exactement la performance – c’est-à-dire le « retour sur investissement » auquel il peut légitimement prétendre en échange des contributions consenties. Elle pèse doublement sur la justice de l’impôt : d’une part, en entretenant l’opacité autour de la progressivité réelle des prélèvements en fonction des revenus et du patrimoine ; d’autre part, en entraînant une rupture d’égalité entre ceux qui ont les moyens de recourir aux conseils d’experts comptables et de fiscalistes pour gérer leurs affaires (la fameuse « optimisation fiscale » !), et ceux   particuliers, petits commerçants et entrepreneurs  qui se retrouvent seuls face à leur feuille d’impôt et à des formulaires aussi abscons qu’interminables, avec l’angoisse de l’erreur ou la tentation de la fraude, plus simple et plus rapide…

Les recommandations du rapport de la Cour des comptes pointent certaines voies d’amélioration indispensables : clarté du vocabulaire, longueur des formulaires, accessibilité des notices, renforcement des « bonnes pratiques » de suivi et de dialogue lors des contrôles… Mais il faut aller plus loin, et considérer que le défi du consentement à l’impôt implique trois acteurs indissociables : l’administration fiscale, le législateur et le citoyen.

La première doit continuer à se réformer, à mettre en place l’organisation moderne qui lui permettra de mieux s’ouvrir, de se faire comprendre du contribuable et de nouer avec lui une relation de confiance, fondée sur le dialogue plutôt que la suspicion réciproque : pourquoi, par exemple, les agents ne devraient-ils visiter les entreprises qu’en cas de contrôle ? Pourquoi les permanences fiscales en mairie sont-elles en déclin alors qu’il faudrait les systématiser ?

Le second doit rompre avec la frénésie législative, l’empilement et les textes de circonstance contradictoires : inscrire tout débat budgétaire dans la perspective de réformes de fond, globales, durables, et compatibles avec les enjeux européens. Il faut envisager une refonte du Code Général des Impôts pour le libérer de sa complexité extrême, de son vocabulaire hermétique et des myriades de dispositions et renvois épars à travers le millefeuille de la loi française, encore épaissi par les ajouts du droit communautaire : 40 000 pages d’instructions fiscales selon la Cour des comptes !

Le troisième doit faire preuve de civisme. Au-delà de la question morale individuelle, l’enjeu fondamental à long terme est ici celui de l’éducation. D’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes souligne les carences de la France en matière d’éducation fiscale là où de nombreux pays en Europe et outre-Atlantique (Espagne, Pologne, Belgique, Etats-Unis, Canada…) mettent des outils pédagogiques complets en matière de fiscalité à la disposition des enseignants et des élèves dès l’école primaire. Dans les programmes scolaires, en famille, dans les activités associatives et parascolaires, l’instruction civique représente la base pour former des générations de citoyens éclairés – dotés du minimum de connaissances nécessaires sur les institutions et mécanismes de l’impôt pour en comprendre le sens, en juger la pertinence, et en accepter l’acquittement. C’est notamment dans ce but que nous avons fondé avec Vincent Drezet, représentant du premier syndicat de l’administration fiscale, l’association à vocation pédagogique Trésor Académie – persuadés qu’il faut consacrer plus de moyens et de temps à doter les jeunes générations du bagage indispensable pour prendre part au débat public sur la fiscalité.

Du plus gros contribuable jusqu’à l’enfant qui acquitte, sans le savoir, la TVA sur les bonbons achetés avec son argent de poche, l’impôt est ce qui unit absolument tous les Français, par-delà les âges et les catégories sociales : la question cruciale de son acceptation ne mérite-t-elle pas sa place dans le débat électoral en cours… au moins entre deux « petites phrases » ?

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