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Egypte, Saint Petersbourg ou encore Stockholm... Ce que la multiplication des attentats révèle de la stratégie actuelle de l'Etat islamique
©Reuters

Attentats

L'Egypte a été touchée dimanche 9 avril par deux actes terroristes revendiqués par l'Etat Islamique. Une première explosion a eu lieu dans une église de Tanta et a fait 27 morts et 78 blessés. Peu après, une deuxième explosion survenait à Alexandrie, dans une église copte avec pour bilan 16 morts et 41 blessés. Deux nouvelles attaques qui viennent étoffer la trop longue liste d'attentats de ces dernières semaines.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Orly, Londres, Saint Petersbourg, Stockholm, Égypte, Irak, est-ce que la multiplication des attaques terroristes pourrait être selon vous la conséquence d'un recul de l'Etat Islamique au Moyen-Orient  ?

Alain Rodier : Oui et non. Sur le champ de bataille syro-irakien, l'objectif consiste pour Daech à faire baisser la pression sur ses troupes en obligeant ses adversaires à maintenir des forces déployées sur l'ensemble des théâtres d'opérations. Les actions terroristes menées en dehors de cette zone ne relèvent pas de la même logique mais d'un harcèlement décidé depuis 2014.

Toutes les attaques terroristes qui surviennent en ce moment ne sont pas du même genre. Si les premiers éléments disponibles des enquêtes concernant les actions d’Orly (sans lien avéré avec un mouvement djihadiste), Londres, Saint Petersbourg et Stockholm laissent à penser qu’il s’agit d’« individus solitaires » qui ont répondu aux appels au meurtre lancés par Daech et par Al-Qaida « canal historique » sur différents réseaux sociaux ou (et) par mimétisme, de nombreuses autres opérations sont le fait d’activistes chevronnés agissant sur ordre que ce soit en Égypte, dans le Caucase, au Pakistan, au Bangladesh ou en Extrême Orient. Il suffit de consulter la liste « des opérations militaires et secrètes » publiée dans la dernière revue de propagande Rumiyah. Si l’on entre dans le détail de la phraséologie de Daech, quand ce sont des « soldats du califat » qui sont félicités, ce sont souvent des activistes isolés (ce qui n’exclut pas qu’ils aient bénéficié d’une aide logistique de la part de leur entourage). Lorsque que des « inghimasi » (les « infiltrés » [1]) sont cités, ils participent à des opérations préparées depuis un poste de commandement qui peut être local, régional voire installé dans le berceau syro-irakien du « califat ».

Un autre phénomène peut aussi permettre de faire la différence : la rapidité de la revendication. Quand il s’agit d’un individu isolé sans connexion directe avec le commandement du Groupe Etat Islamique, elle tarde souvent à venir sans doute le temps de procéder aux vérifications nécessaires à prouver l’allégeance de l’intéressé à Abou Bakr al-Baghdadi (condition obligatoire pour qu’une opération reçoive le seing de l’organisation terroriste). Quand l’opération est lancée sur ordre, la revendication est faite très rapidement, souvent dans les heures qui suivent. A l’heure où sont écrites ces lignes, aucune déclaration concernant les opérations de Orly, Stockholm ou Saint Peters n’a été diffusée alors que les attaques des églises de Tanta et d’Alexandrie qui ont causé au moins 47 morts ont été réclamées officiellement.

A noter que jusqu’à maintenant, Daech ne s’est pas attribué d’action qui n’avait aucun lien -même extrêmement ténu- avec l’organisation. Par contre, il lui est arrivé de ne pas revendiquer des opérations qui lui avaient été attribuées comme en Turquie jusqu’à l’été 2016. Il semble que le but d’Al-Baghdadi était alors tactique : garder la porte de sortie turque ouverte en ne provoquant pas directement le président Erdoğan. Depuis, les choses ont changé en Turquie qui va connaître un référendum le 16 avril… Là, le risque d’attentats est maximum (ils peuvent être aussi le fait du PKK ou de mouvements dérivés).

Il est intéressant de signaler qu’Al-Qaida « canal historique » ne revendique pas toutes les actions terroristes que l’organisation conduit.

Ils sont considérés comme des combattants d’élite qui sont prêts à ne pas revenir vivants même s’il ne leur est pas demandé de se suicider (le suicide est harem -interdit- dans l’idéologie musulmane). Les istishhadis qui effectuent des attentats-suicide sont aussi parfois cités. Selon les salafistes-djihadistes, ils sont des aspirants au martyre qui ne violent pas la vision qu’ils ont de l’islam mais ce point est discuté par les savants de la foi.

Doit-on y voir un changement de stratégie de la part de l'organisation terroriste ou plus une succession d'actes isolés ?

Il est parfaitement exact que sur le front syro-irakien, Daech tente de desserrer l’étau qui pèse sur ces forces en menant des opérations de diversion (donc souvent terroristes car plus faciles à réaliser). Il est même étonnant qu’il n’y en n’ait pas plus ce qui tendrait à prouver une baisse capacitaire tactique relativement conséquente.

En dehors de ce « califat central », les « provinces » (wilayats) extérieures continuent à mener leur djihad en fonction de la réalité du terrain local.

Si Daech rencontre des difficultés au Sahel (Al-Qaida en profite pour reprendre l’initiative dans cette zone), c’est moins le cas en Égypte où la Wilayat Sinaï, héritière de Ansar Jerusalem (ou Ansat Baït al-Maqdis) est à l’offensive. Non seulement, elle est particulièrement présente au nord du Sinaï mais aussi en Égypte centrale. Les autorités ont le plus grand mal à contrôler la situation d’autant que Daech qui recrutait beaucoup dans les tribus bédouines du Sinaï fait désormais appel à des Frères musulmans qui ont été poussés dans la clandestinité par la politique répressive du pouvoir du maréchal Sissi.

Ces attaques ravivent la crainte de voir se perpétrer une attaque terroriste de grande envergure sur le sol français avant l'élection présidentielle. Cette crainte est-elle vraiment justifiée selon vous ?

Oui, cette crainte est justifiée. Quatre sortes de menaces pèsent sur la France (mais aussi sur les autres pays européens, nous ne sommes pas les seuls à avoir des élections en 2017). 

  • Un commando infiltré depuis l’étranger. Il est de plus en plus difficile de sortir du noyau syro-irakien parce que la Turquie a fermé ses frontières et surtout parce que Daech tient à conserver ses combattants étrangers pour mener les différentes batailles auxquelles il est aujourd’hui confronté. Il faut cependant reconnaître qu’il peut avoir des « trous » dans le dispositif et que des activistes peuvent venir d’ailleurs, en particulier de Libye ou du Sahel. Daech n’est pas le seul mouvement salafiste-djihadiste à menacer la France car il ne faut pas négliger Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et ses séides qui nous menacent directement. Une nouvelle coalition a été fondée sous l’égide d’Iyad Ag-Ghali, le chef d’Ansar Dine : le « Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans » (GSIM, Nusrat al-islam wal Muslimeen) qui menace directement la France.
  •  Un réseau déjà implanté en Europe avec des « anciens combattants » déjà rentrés au pays. Le fait que des Ouzbekes soient impliqués dans les attentats du nouvel an à Istanbul et à Stockholm est inquiétant, mais ce n’est pas le seul.
  • De sympathisants de la cause salafiste-djihadiste qui décident de passer à l’action en suivant l’exemple de leurs prédécesseurs et les appels au crime lancés sur la toile.
  • Enfin, tous les dérangés psychologiques qui trouvent là l’occasion de faire parler d’eux.

A noter qu’après l’élection présidentielle nous avons les législatives puis le 14 juillet… Il ne faut pas se faire d’illusions : la menace ne s’arrêtera pas de sitôt. La seule réponse : la résilience : le marathon de Paris et les commémorations de la bataille de Vimy sont des succès populaires. Bravo au peuple de France et aux citoyens étrangers qui sont venus en masse malgré la menace terroriste. Et pour reprendre le slogan de la manifestation monstre qui a eu lieu à Stockholm dimanche : « nous sommes plus forts que votre haine ».

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