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Le protectionnisme ne ramènera pas les emplois détruits par la robotisation et voilà pourquoi
©Reuters

Mondialisation

On les pointe souvent du doigt quand il est question du chômage : la mondialisation, et l'automatisation de l'industrie ont joué un rôle important dans la destruction de milliers d'emplois depuis une cinquantaine d'années. Mais est-il pour autant encore possible de rétro-pédaler?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Alors que la mondialisation est régulièrement accusée d'avoir détruit de nombreux emplois industriels, en quoi une réponse protectionniste pourrait ne pas être adaptée, notamment en raison d'une robotisation de l'économie contre laquelle le protectionnisme ne peut rien ?

Jean-Paul Betbeze : De fait, dans le choc qui est le nôtre, nous sommes entourés d’accusés et de mauvaises réponses.

Première erreur, la mondialisation est actuellement accusée de la destruction des emplois industriels alors qu’elle a, en fait, surtout accéléré le processus d’autodestruction des emplois que mène l’industrie elle-même, et ceci depuis sa naissance. Par les inventions et les innovations, plus la concurrence, plus les tailles croissantes des usines et leurs réorganisations en filières plus efficaces, l’industrie est en effet le lieu de naissance de la productivité, donc de la croissance. C’est l’industrie qui bouleverse les conditions de production, fait baisser les prix et augmente le pouvoir d’achat. En même temps, elle substitue du travail ouvrier non qualifié à du travail ouvrier plus qualifié, comme du travail agricole non qualifié à du travail agricole plus qualifié, et fait surtout naître des emplois de service. Nos économies dites encore « industrielles »sont désormais des économies de services pour 70% des emplois.

Deuxième erreur, ce n’est pas la mondialisation en tant que telle qui est cause du bouleversement que nous vivons : c’est la rencontre de la révolution de l’information-communication avec la mondialisation. Une révolution qui touche tout, industrie, agriculture et services, plus une mondialisation qui accélère tout partout, et plus vite que nos capacités d’adaptation. D’où les crises et le chômage de masse. Nous ne vivons pas Apple et la Chine mais Apple x Chine, avec des produits Apple faits en Chine !  C’est bien pour cela que leurs prix baissent et surtout que se créent des monopolesmondiaux à toute vitesse. Apple l’américaine est la première capitalisation du monde est née en 1976 et Tencent la chinoise, dixième capitalisation du monde, en 1998 !

Troisième erreur : la robotisation de l’économie qui serait liée à ces machines qu’on photographie partout. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas tellement les machines qui produisent « seules » des automobiles, ce sont les logiciels qui pilotent ces machines, mais aussi les ordinateurs, les plateformes Uber ou Airbnb, sans oublier bien sûr toutes les applications qui fonctionnement avec Internet. La vraie « robotisation » de l’économie, c’est celle qui détruit le travail répétitif, et qui ne se photographie pas !

Le protectionnisme classique (droits de douane, quotas, normes) ne peut donc rien contre ce double mouvement de « robotisation » et de « globalisation », sauf à nous isoler des pistes d’innovations : Etats-Unis et maintenant Chine et de productionspas chères : Chine, Taïwan.... Les solutions ne sont pas simples et passent, en fait, par plus de formation et aussi par plus de robots ! C’est en effet quand les automobiles françaises seront produites ici par des machines en lieu et place des emplois non qualifiés, ce qui est largement en cours, que l’avantage des pays à bas salaire aura disparu. Ce qu’il faut donc faire, c’est former et se protéger des produits dangereux, de basse qualité, et qui n’obéissent pas aux normes sociales et environnementales. C’est ce protectionnisme qu’il nous faut, et qui est bon pour tous. Il nous faut donc « un nouveau protectionnisme », en liaison avec toutes mesures antidumping (contre l’acier plat chinois par exemple).

Quelles sont, respectivement, les parts de responsabilité de la mondialisation et de la robotisation dans la perte des emplois industriels sur notre territoire ?

Pour la responsabilité, il n’est pas possible de répondre : les deux vont ensemble. Ce qui est nouveau, c’est qu’aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) s’opposent, depuis la Chine, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Cette double puissance de feu frappe partout, permettant en particulier aux grandes entreprises chinoises, après les américaines, d’acheter les « perles » qui demeurent en France et de s’occuper de celles de l’Allemagne, notamment en industrie et en robotique (KukaRobotics en Allemagne). En fait, la globalisation a accéléré la diffusion dans le monde des nouvelles technologies, au fond la robotisation des biens et aussi des services, et a fait naître un « champion chinois », contre le « champion américain » chantre de la globalisation, et premier bénéficiaire. L’économie s’est vengée !

Comment inverser la tendance efficacement ? Peut-on imaginer une stratégie efficace permettant de concilier mondialisation, robotisation, et une progression des emplois industriels ?

Dans cette mondialisation de la robotisation, plus en software qu’en hardware, il est clair que les réponses nationales sont impossibles, même pour les Etats-Unis ! On le voit avec les oppositions de la SiliconValley aux mesures de restriction des mouvements de personnel qu’avance Donald Trump. La Californie attire les talents du monde ! A nous de faire pareil, d’abord en les gardant. La France a une des meilleures écoles mathématiques au monde, plus les écoles et facultés d’ingénieurs. C’est ainsi que nous devons développer partout les formations à l’école et, plus encore, tout au long de l’activité professionnelle. La compétence maintenue, c’est l’emploi solidifié pour demain et après-demain, la vraie compétitivité, la garantie du salaire. Ceci veut dire que les emplois industriels seront des emplois d’organisation, réglage, suivi des produits en cadence et en qualité, suivi des usures et prévention des pannes, optimisations... Ce seront aussi des emplois d’amélioration permanente des couples produits services qui succèdent aux anciens « produits industriels » pour répondre, mieux et plus vite, à la demande et à la concurrence. Ce sont aussi des alliances et des normes au niveau européen, plus précises, exigeantes et complètes. Au fond, pour se protéger vraiment, en surveillant toujours et sans jamais être naïf, il faut se former en permanence, dialoguer en permanence dans l’entreprise et avec les clients, et avancer toujours. La « stratégie efficace », c’est expliquer les enjeux, convaincre, écouter et former – chaque jour.

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