Quelles sont les industries qu'il ne sert à rien d'essayer de sauver ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dans l'avenir, l’Europe aura besoin d’acier de qualité, pour fournir ses autres activités industrielles consommatrices.
Dans l'avenir, l’Europe aura besoin d’acier de qualité, pour fournir ses autres activités industrielles consommatrices.
©Reuters

Puits sans fonds ?

A la demande de l'État français, Arcelor Mittal devrait investir 17 millions d'euros pour sauver l’aciérie de Florange. Un soulagement pour les employés, mais faut-il à tout prix maintenir en vie une industrie à l'avenir incertain ?

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet est économiste.

Son dernier livre est Réindustrialisation j'écris ton nom, (Fondation Jean Jaurès, mars 2012).

Il est également l'auteur de Les Pratiques de l'Intelligence Economique : Dix cas d'entreprises paru chez Economica en 2008 et GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney... : Les dossiers noirs de la droite paru chez Jean-Claude Gawsewitch en 2007, et de Investir : une urgence absolue pour la France et l'Europe à télécharger chez la Fondation jean Jaurès (en libre téléchargement).

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Atlantico : A la demande de l'Etat français, Arcelor Mittal devraitinvestir 17 millions d'euros pour sauver l’aciérie de Florange. Ce choix est-il judicieux d’un point de vue économique ? Faut-il à tout prix maintenir en vie cette industrie ?

Jean-Louis Levet : Je dirais que sur Florange et plus largement dans l’industrie sidérurgique, l’Europe aura besoin d’acier de qualité, pour fournir ses autres activités industrielles consommatrices (industrie automobile, aéronautique, mécanique, etc). Fondamentalement, l’histoire industrielle nous enseigne qu’il n’y a pas d’activités condamnées, il n’y a que des entreprises qui n’innovent pas assez. Tout comme il n’y a pas d’un côté  des entreprises dites en difficultés et de l’autre des entreprises qui réussissent. Toute entreprise, quelque qu’elle soit, quelle que soit sa taille, son secteur d’activité, traverse des moments très difficiles. Comme dans la vie de chacun d’entre nous.

Nous avons une conjoncture économique très difficile depuis 2008, conséquence de la crise financière américaine de 2007 qui s’est étendue à l’économie mondiale, on peut donc faire le choix d’accompagner ces sites, mais à la  condition que le groupe qui les contrôle - en l’occurrence Mittal - soient aussi dans une logique d’investissement. L’Etat ne peut pas se substituer à l’actionnaire. Il s’agit d’une responsabilité collective. L’Etat et les collectivités territoriales ont le souci de développer dans le pays des capacités de développement créatrices de valeur ajoutée et d’emplois ; les entreprises ont aussi une responsabilité sociétale à assumer, ne serait que parce qu’elles bénéficient dans leur développement de nombreux atouts qui sont des biens publics : laboratoires de recherche et universités avec lesquels elles peuvent travailler, centres de formation continue, infrastructures matérielles et immatérielles, sous-traitants présents sur le même territoires et possédant de savoir-faire complémentaires, sources de financement, aides publiques (crédit impôt recherche, aides à l’innovation, etc).

Il est bien entendu indispensable qu’un groupe comme Mittal, comme toute entreprise, dégage des profits, mais  le souci de la rentabilité financière à court terme ne peut pas l’emporter sur le développement de long terme.

D’une façon plus générale, comment reconnaître les industries condamnées de celles que l’on peut sauver ?

L’Etat doit jouer un rôle en tant que stratège, à la fois au niveau national et local. L’Etat n’est pas là pour financer à perte des entreprises. Mais toute entreprise peut connaître des difficultés à un moment donné et l’on peut donc considérer que le rôle des pouvoirs publics est de l’aider à franchir les obstacles. Pour le tissu des petites et des moyennes entreprises, les acteurs territoriaux, qui connaissent leurs entreprises, sont les plus à mêmes d’agir, à la condition d’en avoir les moyens. Ici se pose la question de la décentralisation et de la nécessité de construire un véritable pacte entre l’Etat et les collectivités locales : qui a la responsabilité de quoi ?  Comment se partage t-elle et quels moyens financiers ?

Prenons trois exemples qui ont marqués les esprits dans notre pays : Renault dans les années 80, Air France dans les années 90 et Alstom dans les années 2000. Trois grands groupes français qui ont eu à connaître une situation de quasi faillite.

Renault dans les années 80, employait à l’époque des dizaines de milliers de personnes. La plupart du territoire français était concerné par son développement. En 1984, la marque automobile se retrouve au bord du dépôt de bilan. L’Etat ( à l’époque le gouvernement socialiste) – qui était actionnaire de Renault – a fait le pari du redéveloppement de cette marque parce qu’il a considéré que l’industrie automobile jouait un rôle très important dans l’économie nationale, en termes de balance commerciale, etc.  Il a ainsi mis beaucoup d’argent dans Renault en exigeant comme contrepartie que ses dirigeants en fassent une entreprise performante, par exemple, pour prendre un exemple concret, en faisant en sorte qu’au lieu d’avoir huit niveaux de hiérarchie, l’entreprise se modernise avec seulement deux ou trois niveaux pour que l’information circule davantage. L’Etat a ainsi voulu faire en sorte que la marque ne mette plus dix ans pour concevoir une voiture, mais plutôt quatre comme ses concurrents japonais à l’époque, développe la qualité, des processus internes favorisant l’innovation, etc. Résultat : Renault a transformé son mode d’organisation en une dizaine d’années et ensuite, c’est elle qui a acheté le japonais Nissan et l’a redressé.

Le cas d’Air France dans les années 90 est sensiblement similaire. La marque était leader national dans le transport, une grande entreprise nationale où l’Etat était là aussi actionnaire historique.. Mais pour des raisons de stratégies et de mauvaise organisation elle s’était retrouvée au bord du dépôt de bilan, alors qu’elle concernait des centaines de milliers d’emplois et de très nombreux fournisseurs. L’Etat lui est venu en aide. Jacques Delors alors Président de la Commission Européenne avait même indiqué à ses commissaires (il le raconte dans ses Mémoires) qu’on devait sauver l’entreprise française car l’Europe a besoin de champions industriels, contre l’avis de son directeur général à la Concurrence, qui y était opposé considérant qu’aider Air France revenait à créer des distorsions de concurrence par rapport aux autres transporteurs aériens. Finalement la commission européenne a donné son feu vert, l’Etat Français a versé des milliards en fonds propres à Air France en exigeant que la marque se développe. Avec succès : quelques années après, Air France a racheté KLM et constitue maintenant l’un des leaders du marché mondial.

Pour ce qui est d’Alstom : l’entreprise se trouvait en 2003 dans une situation également difficile et l’Etat - en l’occurrence le Ministre de l’Economie de l’époque, Nicolas Sarkozy - a dit qu’on ne pouvait pas laisser tomber l’entreprise et a mis un milliard dans la balance. Là encore, quelques années plus tard Alstom s’est redressé et a remboursé intégralement l’Etat, donc les contribuables français.

Bien sûr qu’il y a des échecs. Le Concorde a été un échec, l’Etat l’a financé pendant des années, en vain : les Etats-Unis avaient décidé de lui fermer le marché américain. Le plan d’aides au secteur de la machine-outils au début des années 80, car finalement la plupart de ses entreprises avaient pris un trop grand retard en matière d’innovation. Mais le marché en fait aussi beaucoup : regardez dans le passé les cas de Vivendi, d’Enron, de Creusot Loire dans les années 80, etc, sans oublier la situation de nombreux établissements financiers aux Etats-Unis  depuis 2007, victimes de leurs propre cupidité ; mais aussi en Europe, avec la faillite toute récente de la banque franco-belge Dexia qui finançait les collectivités locales, victime de son aveuglement face à un capitalisme financier dominant depuis les années 90 et dans lequel elle s’est jetée !

Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir s’il faut sauver tel ou tel secteur, l’enjeu est d’une toute autre nature. Notre pays a fait du milieu des années 80 au milieu des années 2000 le non choix de l’industrie : une grande partie de ses élites est tombée dans les modes successives de la société post-industrielle dans les années 80, de la nouvelle économie dans les années 90 et enfin de l’entreprise sans usine et des délocalisations massives au début des années 2000. L’enjeu est donc de refaire de l’industrie une priorité nationale, en la considérant dans son large périmètre (qui comprend en plus de l’industrie manufacturière, l’agro-alimentaire, les industries culturelles, les nouvelles technologies, les services aux entreprises,etc) ; car c’est elle qui investit le plus dans la recherche, c’est elle qui permet de combler à terme nos déficits et notre surendettement, de créer directement et indirectement des emplois qualifiés à plus fort revenus.

Mais comment l’Etat peut-il déterminer les secteurs industriels à sauver de ceux qui n'ont pas d'avenir ? 

Comme je vous l'indiquais, l’observation économique prouve qu’il n’y a pas d’activités condamnées, mais qu’il y a juste des entreprises qui n’innovent pas et trépassent.

S’il n’y a plus de capacités, de savoir- faire ou de marchés, effectivement, il n’y a aucune raison de sauver l’entreprise. Mais dans le cas contraire, on devrait pouvoir donner la possibilité à l’entreprise de franchir ce cap, à condition qu’il y ait en contrepartie des efforts fournis par l’entreprise ou le secteur donné.

Par exemple, durant la crise de 2009, l’Etat a aidé financièrement l’industrie automobile : il a créé une médiation du crédit pour aider les PMI en difficultés momentanées à pouvoir accéder au crédit des banques. Plus globalement, le grand emprunt de 35 milliards d’euros constitue une contribution à la relance de l’investissement dans des domaines à la fois importants de l’industrie française (espace, aéronautique, transports), de futurs domaines correspondants à des besoins importants (santé, environnement, numérique, énergies renouvelables), le domaine vital de la recherche et de l’enseignement supérieur, et l’asssociation indispensable de nos PME à ces projets.

Pour répondre précisément à votre question, il convient d'identifier dans une entreprise en difficulté, ses capacités, ses savoir-faire, sa relation au marché, pour voir s’il faut l’aider à rebondir et à continuer. Il peut arriver des cas où l’entreprise est complètement sortie du marché et qu’elle ne peut plus y entrer en raison de ses capacités : dans ces cas-là il ne faut pas s’entêter à la sauver.

L’une des clés consiste à assurer en permanence des relations entre les acteurs locaux - tels que les élus et les organisations syndicales – et les différentes industries. A partir du moment où ces grands groupes développent un dialogue permanents avec les acteurs locaux, lorsque tel site ou telle usine est confrontée à un problème sérieux, les acteurs locaux peuvent anticiper sur les difficultés et étudier si le secteur a un avenir sur le moyen ou long terme. Sinon, on se donne six mois à deux ans pour reconvertir le site et ses employés.

L’aide aux secteurs industriels momentanément en difficulté passe donc de plus en plus par les territoires car c’est là que les patrons de PMI, les partenaires sociaux, les élus locaux, les universités ou les centres techniques peuvent échanger et travailler ensemble dans des écosystèmes innovants.

N’y a-t-il pas une difficulté supplémentaire d’ordre politique ? Sauver une entreprise à quelques mois d’une élection peut tenir à la fois d’un choix économique et d’un choix électoral…

Comme disait Winston Churchill « la démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres » ! Ce qu’il faut mettre en avant, c’est que quand un pays fait de son industrie une priorité, il doit tenir compte à la fois du long terme, d’une politique d’investissement ambitieuse et de la mobilisation de tous les acteurs. Ce n’est donc sans doute pas en pleine campagne électorale que l’on peut facilement régler un problème.

Mais on peut comprendre que les salariés sur place, en l’occurrence ceux de Florange, utilisent l’actualité de la campagne électorale pour faire passer leur message. Au-delà de ces cas particuliers, il est important que durant cette campagne présidentielle, les candidats donnent leurs propres visions de la France, ouvrent des perspectives, présentent leurs choix. Car la question n’est pas de savoir où sera l’industrie et l’économie française demain, mais quelle industrie, quelle économie voulons nous demain : si le futur existe de fait, l’avenir, lui, est à construire et l’industrie (au sens large, services aux entreprises compris) doit en être l’un des moteurs.

 Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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