Big thérapie : ces data que les psychanalystes devraient utiliser pour améliorer l’efficacité de l’aide apportée à leurs patients<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Big thérapie : ces data que les psychanalystes devraient utiliser pour améliorer l’efficacité de l’aide apportée à leurs patients
©big data

Nous sommes là pour vous aider

Aux Etats-Unis, le Big Data semble avoir commencé à bouleverser la pratique de la psychanalyse. Utilisé pour constituer des banques de données, ces dernières servent alors à approfondir les diagnostics afin d'aider au mieux les patients.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Atlantico : Les Américains expérimentent de nouvelles techniques pour améliorer le suivi des patients par les thérapeutes. L'une d'entre elles consiste à poser quatre questions au patient. En fonction des résultats, comparés à une base de données, une courbe d'évolution des symptômes est dessinée. Elle permet, en outre, au patient de voir où il en est dans sa thérapie. Hormis cette technique, quelles sont les autres qui peuvent être intéressantes et pourraient faire l'objet d'une expérimentation en France ? 

Pascal NeveuLes Américains sont dans une culture qui mêle obligations de résultats et de moyens. C’est louable dans l’intérêt du patient et de son mieux-être.

Ils utilisent également des codes de couleur afin de déterminer l’état du patient :

- rouge : risque de rechute ou de suicide ;

- jaune : amélioration de l’état, mais progrès à faire ;

- vert : bon état général.

Ou encore le métric, qui permet au patient de lancer une alerte quant à son état et permettre au thérapeute de répondre rapidement à la demande.

Ces techniques sont davantage utilisées en institution qu’en cabinet libéral, où les catégories de patients ne sont pas les mêmes.

Mais les Américains, qui testent et utilisent depuis des décennies les thérapies cognitivo-comportementales, ont un lien de proximité avec leurs patients différent de nous.Que ce soient les TCC, les thérapies systémiques, la psychanalyse, la thérapie par aversion, la thérapie de la réalité, etc. Chaque théoricien a souhaité améliorer l’accompagnement thérapeutique du patient afin de faciliter sa guérison. C’est, par exemple, ce que rapporte Jacques Rivalin (Changer et guérir vite grâce à la psychanalyse, ed. Maïa) : des querelles de chapelles inutiles alors que nous savons que certaines approches thérapeutiques ne conviendront pas à certains patients, et qu’il est indispensable de continuer à chercher à améliorer nos techniques, dans l’intérêt du patient et de sa guérison rapide et efficace.

Les Américains ont donc raison d’expérimenter. En France, nous devrions nous placer dans cette même dynamique de recherche, pour des accompagnements thérapeutiques modernes et en prise avec l’évolution non seulement de notre société, mais aussi de notre psychisme, et la manifestation des symptômes.

Pour faire évoluer les traitements des patients efficacement, quel est le rapport que le thérapeute doit entretenir avec ses patients ? Quels sont les enseignements que l'on peut tirer de ces expérimentations outre-Atlantique ?

L’alliance thérapeutique passe par la neutralité bienveillante, c’est-à-dire que le thérapeute doit entendre, écouter et accepter la parole et les symptômes de ses patients sans le moindre jugement et le moindre ressenti, de manière à lui apporter la meilleure technique et approche thérapeutique possible. Nous ne sommes pas des monstres insensibles mais je me rappelle cette patiente me racontant que sa précédente psy pleurait en même temps qu’elle, ce qu’elle n’a plus supporté au bout de quelques séances.

Tout psy porte une fonction étayante sur son patient, c’est-à-dire que le patient vient s’appuyer sur le savoir-faire du spécialiste. Mais si cette fonction étayante est trop forte, une dépendance au psy peut se manifester et l’empêcher d’aller mieux. De manière plus imagée, nous sommes là pour donner une béquille au patient mais nous devrons tout faire afin que le patient se rende compte qu’il peut, au bout d’un certain temps, s’en passer.

C’est en ce sens que ces expérimentations américaines sont intéressantes car elles permettent au patient de travailler sur la confiance en soi, et l’estime de soi à pouvoir se guérir.

Un patient a besoin de réaliser par lui-même qu’il va mieux. C’est d’ailleurs très généralement l’entourage proche qui leur dit "Tu as changé !", "Tu vas mieux !", "On ne te reconnaît plus, on était si inquiet avant "…

L’alliance thérapeutique, c’est une relation à 50/50 : le savoir-faire du thérapeute en lien avec le savoir-être du patient, sans positionnement de toute puissance de la part du psy. Le psy doit rester humble… c’est le patient qui fait tout grâce à son psychisme qu’on réordonne et consolide.

Aussi le patient doit être capable de tout nous dire, d’exprimer ses ressentis, de décrire ses symptômes, de ne pas mentir. Ces techniques peuvent être un moyen, pour des patients en difficulté à verbaliser leur état, leurs doutes, leurs craintes, etc. , de l’exprimer.

On l’entend chez nos patients lorsqu’on leur demande ce qui s’est passé depuis la dernière séance. Leurs réussites, leurs échecs, leur volonté à persévérer, à recommencer…

Qui sont les patients qui seraient les plus à même de réagir à ces expérimentations ? Comment le déterminer ? 

De manière synthétique, sur un plan psychopathologique, nous distinguons trois grandes catégories importantes: la névrose, la psychose et les états-limites que le thérapeute se doit de diagnostiquer de suite.

Mais ce n’est pas ce qui intéresse le patient. Le patient est en proie à des conflits, des symptômes et des comportements qui le font souffrir et qu’il souhaite voire disparaître rapidement.

Cela ne s’opère pas d’un coup de baguette magique. Cela demande des mois d’accompagnement thérapeutique. Le soutien chimique est une béquille pour certains, totalement indispensable pour d’autres.

Il y a les patients souhaitant un soulagement immédiat, et d’autres qui interrogent l’origine de leurs troubles et tourments.

L’approche thérapeutique n’est pas la même face à un patient dépressif, un patient toxicomane, un autre subissant des crises d’angoisses invalidantes, ou encore un autre en proie à des crises de délire.

Outre le soin, le patient veut guérir vite.

De nombreux thérapeutes reprocheront à ces expérimentations de faire un focus sur les symptômes.

Je suis partisan d’un travail de compréhension des symptômes tout en aidant le patient à mettre en acte des comportements.

Pour cela, seul un patient en capacité à travailler sur le quand, comment et pourquoi de l’histoire de la fabrication de ses troubles peut penser ses changements que nous encadrons et encourageons.

Quelles sont les différences culturelles avec les Américains qui nous empêchent d'utiliser toutes leurs techniques, et réciproquement ? 

La toute première différence repose sur le fait que les Européens et Français sont beaucoup moins dans l‘empathie et la compassion que les Américains.

La série In treatment montre des séances où patients et psys prennent le café ensemble, se prennent dans les bras l’un de l’autre afin de s’encourager… ce qui est totalement inenvisageable ici.

Pour la seule raison qu’il existe une relation transférentielle entre thérapeute et patient. Autrement dit, le patient ressent des émotions inconscientes rattachées à son histoire, et notamment les liens parentaux. Si jamais nous développons une relation "affective" avec un patient (comme par exemple nous appeler par nos prénoms, parler de notre vie, voire nous faire la bise…), nous ouvrons le champ à des pratiques et des fantasmes incontrôlés qui peuvent avoir des conséquences très graves chez le patient (sentiment d’une relation privilégiée, jalousie d’avec les autres patients, envie de voir le thérapeute dans un autre cadre, et fantasmes amoureux…), dont déjà l’échec de la thérapie.

Ceci est plus facilement praticable aux Etats-Unis comme leurs fameux "Hug". On s’étreint, on s’embrasse plus facilement… pour témoigner l’encouragement également.

Autre point d’achoppement culturel : les Français - et pas qu’eux - ont massivement, voire quasi unanimement, rejeté le dernier DSM (Dictionnaire d’évaluation des maladies psychiques, validé par l’OMS)  entre autres parce qu’il amène, via des bases de données de symptômes, à surdiagnostiquer des patients, ou, à l’opposé, à passer à côté de certains troubles.

Il est vrai que notre culture française porte un lourd héritage de la cure par parole libérant les symptômes, et de l’aide au passage à l’action : ce que je dois changer dans ma vie.

Il y avait l’avant… et on amène le patient via le socle du présent à penser le futur.

En conclusion, il est toujours intéressant d’accueillir de nouvelles approches.

Aucune thérapie ne doit s’ériger en dogme !

En tant que thérapeutes, nous devons posséder une caisse à outils la plus complète possible et, en fonction des problématiques, adapter notre champ d’intervention.

Le plus important est le patient… le psy n’existe pas... il n’est qu’un catalyseur.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Ce concept majeur de la psychologie sociale qui vient de s’effondrer et laisse le monde de la science en plein désarroiEspoir sur le front des anti-douleurs : les avancées des neurosciences permettent d’espérer un monde où les traitements ne riment plus avec la dépendance ou les overdosesBye Bye Freud ? Les progrès des neuro-sciences peuvent-ils aboutir à la fusion neurologie-psychiatrie-psychanalyse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !