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Délais d'attente pour l'obtention de rendez-vous médicaux : au-delà des inégalités géographiques, voilà les profondes inégalités sociales qu’ils génèrent aussi
©Steve Perrin - Wikipedia

Trop long

Le cabinet Jalma a développé récemment un simulateur en ligne pour estimer le délai d'attente des patients qui souhaitent consulter un médecin en fonction de leur position géographique. Résultat : la hausse est de 13 jours en 5 ans pour un spécialiste, passant de 48 jours à 61 jours.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico :Si ce temps d'attente pour obtenir un rendez-vous médical peut dépendre du nombre de médecins par habitant, en quoi le critère des revenus des patients peut-il également jouer ? Un patient aux revenus confortables peut-il aujourd'hui réduire ce temps d'attente en faisant, par exemple, appel à des médecins aux prix libres par exemple ? 

Frédéric BizardTout d’abord, les tarifs pratiqués par les médecins en France sont parmi les plus bas d’Europe et ne constituent pas d’obstacle pour se soigner. 90% des médecins généralistes n’ont pas accès au secteur tarifaire libre et facturent donc 23 euros une consultation. Environ 40% des spécialistes ont des tarifs libres et la moyenne des compléments d’honoraires est autour de 55% du tarif de la Sécurité sociale, soit 13 euros par consultation. Enfin, 10 millions de Français aux revenus faibles ne paient rien quand ils vont consulter un médecin.

Le premier déterminant des délais d’attente reste la densité médicale. Par exemple, malgré une baisse de 8% du nombre de médecins généralistes depuis 2008, la densité reste supérieure en France à celle des autres pays développés. D’après l’étude Jalma, le délai d’attente moyen pour consulter un médecin généraliste est de 8 jours en 2017 soit le plus faible de toutes les spécialités. De plus, 90% des médecins généralistes sont en secteur 1, ne pratiquant pas de tarifs libres, ce qui renforce la facilité d’accès.

Il semble plausible que lorsque la demande excède l’offre et qu’une file d’attente se forme, les patients capables de supporter les dépassements d’honoraires, et donc de consulter tout médecin, subiront des délais plus courts. C’est ainsi qu’on constate que les délais d’attente sont plus faibles en moyenne à Paris qu’en province. La densité plus forte à Paris (malgré une forte baisse du nombre de médecins généralistes : -25% depuis 2008) l’explique mais elle s’accompagne d’une forte densité de médecins en secteur 2. Dans les départements où il y a une densité suffisante de médecins en secteur 1 et assez réduite en secteur 2, les patients modestes peuvent retarder leur rendez-vous pour consulter un médecin de secteur 1. 

De même, qui sont ceux qui sont exclus, voire renoncent aux soins par découragement ? Quelles spécialités sont les plus touchées par ces inégalités d'accès aux soins ? 

Contrairement à ce qu’on entend, il y a eu, jusqu’à maintenant, peu d’inégalités sociales d’accès aux soins en France. Les inégalités sociales en santé sont fortes mais ne portent pas sur les soins, mais sur le maintien en bonne santé, donc sur les comportements individuels et la qualité de vie.Les renoncements aux soins médicaux sont inférieurs à 5% et sont multifactoriels, pas uniquement financiers.

Rappelons que la mission des complémentaires santé est justement de solvabiliser en priorité ce qui n’est pas pris en charge par l’assurance maladie et qui peut représenter un risque, en priorité la partie libre des honoraires. Or, le marché non régulé des complémentaires santé dysfonctionne gravement aux dépens de l’assuré. Sur les 26 milliards d’euros de remboursement des frais de santé par les complémentaires, les organismes complémentaires en consacrent 20 milliards au remboursement des tickets modérateurs, qui sont remboursés à 98% de leurs montant, alors que la partie libre des honoraires n’est remboursée qu’autour de 50%. La couverture du risque des complémentaires est donc de mauvaise qualité du fait de la structuration des contrats qui sont faits pour transformer le marché en une rente pour les opérateurs. SI on y ajoute les 7 milliards d’euros de frais de gestions, on constate la faible efficience de ce marché.

Le gouvernement a aggravé cette situation en octobre 2014 en sortant un décret qui plafonne le remboursement des compléments d’honoraires par les contrats responsables (96% des contrats) à 100% du tarif Sécu. Ce cadeau pour le complémentaires santé va créer un risque accru de renoncement aux soins et est une vraie injustice pour les assurés modestes. 

A partir de quel niveau de revenu le fait de faire appel à des spécialistes aux prix libres est-il possible ? 

En ville, le système est fait pour que tous les usagers, quel que soit leur revenu, puissent consulter un médecin libéral. La médecine libérale est aussi une médecine sociale, l’obligation de soigner tout le monde est aussi une obligation déontologique. Un médecin en tarifs libres a, en moyenne, un acte sur trois sans complément d’honoraire, notamment pour la prise en charge des patients CMU. Les patients qui paient des compléments d’honoraires permettent à ceux qui ne le peuvent pas d’avoir accès au même niveau de qualité de soins, aux mêmes innovations.

De plus, 95% de la population a souscrit à un contrat privé pour financer ses compléments d’honoraires. On a même obligé tous les salariés à souscrire à un contrat collectif. Cela devrait renforcer la solvabilité des compléments d’honoraires, ce qui n’est pas le cas du fait d’une généralisation par des contrats de mauvaise qualité et du décret de 2014 qui désolvabilise les clients modestes. 

Comment cette tendance a-t-elle pu évoluer ces dernières années ? La médecine de ville, mise à mal notamment par la réforme Santé menée par Marisol Touraine, a-t-elle poussé un peu plus les médecins à se déconventionner ?

L‘allongement des délais d’attente depuis 2012 est spectaculaire selon l’enquête Jalma. La hausse est de 13 jours en 5 ans pour un spécialiste, passant de 48 jours à 61 jours. Toutes les spécialités sont touchées, mêmes celles qui étaient déjà à des niveaux élevés comme l’ophtalmologue dont le délai a augmenté de 13 jours à 117 jours depuis 2012.

Il n’est que réalité et justice de dire que Marisol Touraine a récolté les fruits de sa politique hostile à l’exercice libéral, et largement dictée par la Fédération nationale de la Mutualité française, qui n’a de politique que celle qui renforce sa rente financière. La stigmatisation des compléments d’honoraires, la généralisation par le bas des contrats collectifs, le décret de 2014, le tiers payant généralisé… toute sa politique vise à affaiblir l’exercice libéral qu’elle exècre, sans toutefois proposée la moindre alternative crédible.

C’est une politique de destruction sans espoir de reconstruction. Elle a conduit à semer de la désespérance dans le privé comme dans le public. C’est un échec sur toute la ligne dont l’allongement des délais d’attente est l'un des symboles et l'un des résultats concrets pour l’usagers. 

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