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Foire d'empoigne autour des indécis & abstentionnistes : petit guide du qui-tape-sur-qui pour ramener les électeurs à lui (et avec quelle efficacité...) ?
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Mauvais tireur

Le premier débat de ce 20 mars a pu mettre en évidence les tactiques politiques des différents candidats, notamment au travers des attaques constatées entre ces derniers. Une stratégie à double tranchant qu'il faut utiliser à bon escient.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Atlantico : En prenant en compte l'ensemble des candidats, quels sont ceux qui "visent" juste, c'est à dire en ciblant de potentielles réserves de voix, et ceux qui "visent" mal, peut être en s'aliénant un électorat qu'ils auraient pu conquérir (et en attaquant de manière trop frontale..) ?

Bruno Cautrès : La règle du jeu de ce type de débat est assez simple à énoncer mais moins simple à mettre en œuvre pour les candidats: dans la mesure où l’élection présidentielle est à deux tours, il faut à la fois ne pas éloigner les électeurs potentiels de premier tour et dans le même temps envoyer des signaux vis à vis d’électeurs potentiels du second tour. En 2012 par exemple, on avait vu lors de la campagne électorale que François Hollande avait su envoyer des signaux aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon du premier tour en vue du second tour : la taxe à 75% sur les riches, «mon ennemi c’est le monde de la finance» ou encore la question de la renégociation du traité européen de stabilité budgétaire. EN 2007, et encore en 2012, Nicolas Sarkozy avait misé sur des signaux forts envoyés à l’électorat du FN sur les thèmes de la sécurité, l’immigration, l’identité nationale. Lors du débat de Lundi dernier, on a vu quelques signaux envoyés par certains des candidats à d’autres électorats que le leur : ainsi, Emmanuel Macron a-t-il plusieurs fois manifesté son accord au plan économique avec François Fillon, comme pour contrebalancer le fait qu’il soit soutenu récemment par des membres du gouvernement ou des membres importants du PS. C’est assez bien vu dans la mesure où le cœur de sa démarche politique est justement d’expliquer qu’il y a de bonnes idées à gauche et à droite et qu’il réfute l’opposition gauche/droite comme principe d’action politique. En revanche, on peut s’interroger sur les piques lancées par Benoit Hamon en direction d’Emmanuel Macron, sur le financement de sa campagne et du mouvement En Marche ! Benoit Hamon est fortement concurrencé à gauche par Jean-Luc Mélenchon et doit donc essayer d’attirer des électeurs de centre-gauche, anciens électeurs de François Hollande de 2012. Par ailleurs, vouloir cataloguer Emmanuel Macron comme exclusivement « de droite » c’est aussi se mettre en porte-à-faux s’il faut ensuite appeler à voter pour lui au second tour. 

Bruno Jeudy : Jean-Luc Mélenchon en vieux briscard de la politique et avec son expérience de l'élection de 2012 a incontestablement visé juste. Moins tonitruant et plus calme qu'à l'accoutumé, il utilise l'humour à son avantage pour ramener à lui des électeurs socialistes. Il a défendu ses thématiques qui lui sont chers (la 6ème république, l'Assemblé constituante et l'écologie) pour essayer d'atteindre les électeurs écologistes et les socialistes déçus du dernier quinquennat de François Hollande qui est pour le moment porté par Benoît Hamon mais difficilement. 

Benoît Hamon lui, avait préparé des attaques précises contre Emmanuel Macron, sur le poids des lobbys, le financement de sa campagne, ses mystérieux donateurs... Mais bien que précises, ses attaques étaient trop violentes, trop virulentes et sont finalement tombées à plat. Emmanuel Macron a plutôt bien retourné la situation à son avantage et a su se montrer assez convaincant sur la forme à défaut de l'être sur le fond. Pas certain que le candidat socialiste ait réussi son coup car il est toujours confronté à ce vote utile qui est en train de ruiner ses dernières chances d'être au second tour de la présidentielle. 

Quelles sont les bonnes stratégies électorales ? Est-il utile pour un candidat d'attaquer un concurrent qui lui est diamétralement opposé ? Les bénéfices en termes de voix ne sont-ils pas dérisoires ? A l'inverse, des candidats "proches" idéologiquement ont-ils intérêt à se cibler plus "lourdement", dans quelles limites ? 

Bruno Cautrès : Les candidats ont intérêt à se démarquer fortement des programmes de ceux auxquels ils sont les plus opposés ; il s’agit de rappeler aux électeurs de leur camp que le camp d’en face est celui de « l’ennemi » et cela a des effets mobilisateurs. Cette dimension clivante du discours politique lui est essentielle ; il s’agit de résumer la complexité des enjeux et des positions par des séries d’oppositions binaires qui permettent aux électeurs l’identification à leur famille politique. C’est la division entre «eux» et «nous» qui est ici en jeu. Le bénéfice électoral peut-être important car pour chaque candidat l’essentiel est d’abord et avant tout d’obtenir le plus de soutien de ceux qui se reconnaissent en lui ou en son parti politique. Par ailleurs, la campagne électorale est dans son rôle lorsqu’elle permet à cette forte identification des électeurs. Je ne suis pas sûr qu’il serait bon pour le débat public d’avoir des candidats « œcuméniques » qui donneraient aux électeurs le sentiment de tous se ressembler ; cela ne pourrait que favoriser les candidats les plus extrêmes. A l’intérieur d’un camp ou d’une famille politique, s’opposer est plus complexe ; cela donne le sentiment d’un choc  entre des ambitions ou des personnalités car le choc entre des lignes politiques très différentes au sein d’un même parti pose tout de suite la question de savoir pourquoi des personnalités qui s’opposent sur le fond sont mêmes d’une même organisation politique. Et l’on a bien vu récemment, lors des primaires par exemple, que les candidats prenaient soin de souligner aussi ce qui les réunissait. Dans l’élection de 2017 cette question prend un relief particulier du fait notamment du positionnement d’Emmanuel Macron qui se définit comme « et de droite, et de gauche ». Du coup, on a vu Benoit Hamon s’opposer à lui afin de montrer aux électeurs de gauche qu’Emmanuel Macron serait, d’après le candidat socialiste, « de droite ». Mais un nombre conséquent d’électeurs potentiels d’Emmanuel Macron ont voté Hollande en 2012, ou Bayrou également. 

Bruno Jeudy : Pour Benoît Hamon qui a ciblé Marine Le Pen, l'attaque ne lui rapportera sans doute pas une voix. Mais elle était destinée à réassurer l'électorat droit de l'homniste, de gauche qui fait de l'épouvantail Marine Le Pen une bonne raison de se rendre aux urnes. Cette attaque visait à conforter son électorat déjà bien ancré.  

A l'inverse, l'attaque de Marine Le Pen contre Emmanuel Macron notamment sur la sécurité, son supposé laxisme sur l'immigration, c'est aussi un moyen pour elle de se choisir le candidat qu'elle voudrait retrouver au débat de l'entre deux tour et installer ce clivage qu'elle espère entre les patriotes et les mondialistes. Elle a privilégié Emmanuel Macron plutôt que François Fillon qu'elle ne tacle que pour revenir sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy. 

Quels sont les meilleurs moyens de "rattraper" des électeurs indécis ou ceux qui viennent de changer de candidat ? S'agit-il de viser la personnalité de l'adversaire, son programme, ses idées ?

Bruno Cautrès : La meilleure stratégie électorale est tout d’abord de conserver et de renforcer son socle électoral, c’est une recette de base d’une élection. En ce qui concerne les indécis, il s’agit bien sûr pour les candidats de les attirer, ce qui consiste surtout à les rassurer vis-à-vis des doutes qu’ils peuvent avoir. Si les indécis hésitent à cause d’une proposition majeure du programme d’un candidat ou à cause de la personnalité ou du profil général du candidat, il sera difficile de les rassurer de toute façon. La stratégie optimale consiste à se montrer ouvert plutôt que rigide sur ses positions et à envoyer des signes aux électeurs hésitants. La pire des stratégies consiste sans doute à se montrer agressif vis-à-vis notamment de la personnalité des autres candidats. L’élection présidentielle a ceci de particulier qu’elle va désigner le chef de l’Etat qui doit être, une fois élu, rassembleur et incarner l’intérêt général. Comme l’on dit souvent en politique, il ne faut pas «insulter l’avenir» et notamment avoir des propos trop agressifs ou irrespectueux vis-à-vis des autres candidats et programmes. Les contraintes économiques internationales sont fortes et pesantes, elles s’imposent à tous et conduisent ceux qui sont élus à s’adapter. Les grandes phrases clivantes ou un peu lyriques sont à la fois essentielles en politique et peuvent se transformer en boomerang. Tel candidat qui avait déclaré « mon ennemi c’est la finance », tel autre qui s’était demandé si on pouvait imaginer « le général De Gaulle mis en examen », en ont fait la dure expérience. 

Bruno Jeudy : D'abord le phénomène des électeurs qui changent de camp dans une élection n'est pas nouveau, c'est une tendance déjà constatée en 2012 et qui se renforce aujourd'hui avec l'apparition d'un candidat central en la personne d'Emmanuel Macron. Et compte tenu de la certitude assez faible du vote et du faible écart entre certains candidats (je pense à Jean-Luc Mélenchon et Benoit  Hamon) ou il y aura de nombreux aller-retours pendant le reste de la campagne), cette tendance peut s'accentuer avec le temps. 

Pour les attaques, je pense que cela dépend du candidat. On a vu que l'attaque de Nicolas Sarkozy pendant la primaire contre Alain Juppé contre son centrisme présumé, avait clairement porté préjudice à Alain Juppé sans pour autant apporter des voix à l'ancien président. Ça n'a pas eu l'effet voulu et ça a même plutôt profité à François Fillon. 

Globalement l'attaque sur les idées est meilleure car elle tire moins le candidat vers le bas. Si vous attaquez sur la personne, il faut trouver un angle d'attaque qui soit extrêmement efficace. Sinon vous risquez de voir revenir en boomerang une attaque sur votre propre personne. Aujourd'hui par exemple François Fillon est mal placé pour utiliser ce type d'attaque. 

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