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La BCE peut-elle faire faillite ?
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Insubmersible

La Banque centrale européenne a annoncé ce mercredi le prêt de 529,53 milliards d’euros à 800 banques sur 3 ans. Son futur est-il aussi assuré qu'on veut bien le dire ?

Yannick Colleu

Yannick Colleu

Yannick Colleu est rédacteur pour la partie métaux précieux dans la lettre mensuelle Vos Finances Patrimoine des Publications Agora.

Il est l'auteur du Guide d'investissement sur le marché de l'or paru en 2008 aux éditions Gualino.

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La question circule depuis quelques temps sur la blogosphère et les débâts autour d'elle sont pour le moins animés : la BCE peut-elle faire faillite ? 

Pour répondre à cette question il faut d'abord s'entendre sur la définition du mot faillite. Le CNRTL nous en donne plusieurs définitions. Tout d'abord au sens propre, une faillite est la situation de " cessation de paiements; situation du commerçant qui n'est plus en état de payer ses créanciers. " Au sens figuré le mot faillite est équivalent  à " l'échec, l'insuccès. "

Selon la première définition la faillite n'est donc pas la disparition de l'entité en question. Il est courant de lire des internautes confondre faillite et dissolution. La faillite peut se résumer comptablement à une situation où le passif exigible est supérieur à l'actif disponible de l'entreprise après avoir épuisé toutes les possibilités de redressement.

Prenons le cas de la Grèce. Dans les faits, ce pays a cessé de payer ses créanciers, du moins avec ses propres deniers. La prise en charge financière de la Grèce par ses partenaires de la zone euro entretient une illusion de continuité. Dans le monde réel, celui de l'entreprise, cette illusion a une faible durée de vie sauf dans les économies dirigistes (je pense, par exemple, au puit sans fond de Bull alimenté par nos impôts pendant des années, mais il y en a d'autres). L'interventionisme extérieur ne résoud pas la situation, il allonge simplement l'agonie. C'est ce que vivent les Grecs en ce moment.

La Banque centrale européenne (BCE) n'est pas une banque comme les autres. Certes elle a un actionnariat comme une banque "normale" mais ses actionnaires sont les banques centrales nationales (BCN) des pays de la zone Euro. Les BCN contribuent à proportion[1] de la richesse nationale de leur pays au capital de la BCE qui est aujourd'hui de 6,363 milliards d'euros. Trois pays, l'Allemagne, la France et l'Italie détiennent 45% des actions de la BCE. Les BCN ont en outre doté la BCE de réserves de change sous la forme de dollars américains, de yens, d’or et de droits de tirage spéciaux (DTS). La BCE détient en propre environ 500 tonnes d'or (soit 21 milliards d'euros) et 60 milliards d'euros de devises étrangères qui lui ont été attribués en 1998 par ses actionnaires.

En première lecture ces chiffres semblent ridicules lorsqu'on les rapprochent, par exemple, des 870 milliards d'euros de billets en circulation.

En fait la BCE n'est qu'un maillon d'un ensemble plus large dédié à la gestion de la monnaie unique, l'Eurosystème. L'Eurosystème regroupe, un peu à la manière du Système de la réserve fédérale aux États-Unis, l'ensemble des banques centrales adhérantes à l'euro, les BCN.

Ceci change la façon de lire les chiffres. Certes la BCE est très peu capitalisée mais elle a derrière elle la puissance des États de la zone par l'entremise de leur propre banque centrale. Le bilan consolidée de l'Eurosystème ressort à environ 2663 milliards d'euros au 17 février soit 32 fois le niveau des fonds propres (capital de la BCE plus réserves de l'Eurosystème).C'est à dire qu'une variation de seulement 3% de la valeur des actifs serait susceptible d'effacer les fonds propres de l'Eurosystème.

La BCE est très critiquée pour ses refus répétés de prendre sa part dans la décote demandée aux créditeurs de la Grèce. Personne ne sait très exactement qui, de la BCE ou de l'Eurosystème, détient des obligations grecques et combien l'un ou l'autre en détient. Un organisme de recherche britannique[2] avançait mi-2011 le chiffre de 190 milliards d'euros de dettes grecques détenues par l'Eurosystème (toutes obligations confondues). Au total l'Eurosystème détiendrait environ 444 milliards d'obligations d'État ou bancaires des cinq pays européens placés sous les feux de la rampe.

Une décote de 43% du seul portefeuille de dettes grecques est donc susceptible d'effacer entièrement les fonds propres de l'Eurosystème. Il est probable néanmoins que la BCE ait acquis ces titres en dessous de leur valeur de marché. On parle de 15 à 20%. Avec une valeur d'acquisition de 20% sous le marché il faudrait une décote de 53,5% pour entrainer une perte équivalente à la valeur des fonds propres. C'est sans aucun doute un simple hasard mais ce chiffre est aussi celui de la décote acceptée (imposée) récemment par les créanciers privés de la Grèce.

Dire que la BCE et l'Eurosystème sont dans une mauvaise passe relève de la litote. Depuis le début de cette crise le bilan de l'Eurosystème a été multiplié par 2,7. Avec 2663 milliards d'euros celui-ci pèse désormais 30% du PIB de la zone Euro.Pourtant, dire que la BCE et l'Eurosystème pourraient faire faillite au sens de la première définition ne me semble pas pertinent. Contrairement à la Grèce, la BCE et l'Eurosystème ont la maîtrise de la monnaie. Depuis le début de cette crise, tous les gouvernements - hormis le gouvernement islandais qui a eu le courage d'aller à contre-courant de l'orthodoxie fianncière ambiante – ont refusé les solutions radicales consistant à laisser prendre leurs pertes aux établissements financiers qui avaient mal misé. Ils ont tous préféré un chaos différé à un désordre immédiat. Le traitement de cette situation générale d'insolvabilité par des apports de plus en plus massif de liquidités (le G20 prépare un plan de 2000 milliards de dollars pour avril) ne s'arrêtera pas là. La BCE et l'Eurosystème ont derrière eux les États membres de la zone Euro. Leur sauvetage, juste avant la situation d'insolvabilité, est assuré d'avance.

Pour le comprendre il faut revenir à la définition de la monnaie. La monnaie nait de la dette. Une banque centrale ne crée pas de monnaie. Une banque centrale transforme une dette qui lui est présentée en sûreté, en monnaie qui est une dette, circulante et reconnue universellement, de l'État souverain vis-à-vis du porteur de cette monnaie. Dès lors qu'il n'y a plus de gage à présenter il n'y a plus de monnaie. Alors si la BCE a besoin d'être recapitalisée ses actionnaires s'endetteront encore un peu plus, les obligations, qui dès lors seront émises, seront présentées au guichet de la BCE en nantissement de nouvelles liquidités et le cycle continuera ainsi jusqu'à ce que la création monétaire s'emballe.

Donc, à la question, "la BCE peut-elle faire faillite ?" ma réponse est la suivante : oui, si faillite s'entend par " l'échec, l'insuccès. "


[1]     http://www.ecb.int/ecb/orga/capital/html/index.fr.html

[2]     Open Europe

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