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Dans les choux : 
Les syndicats existent à Bruxelles, 
les syndiqués non
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Appel général

La Confédération européenne des syndicats a appelé ce mardi à une mobilisation générale pour protester contre l'austérité. Résultat mitigé : leurs adhérents continuent de préférer l'action nationale à l'action européenne.

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot est historien, spécialiste des relations sociales, du syndicalisme et des conflits du travail.

Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy Pontoise.

Derniers ouvrages parus : « Les syndicats sont-ils conservateurs ? », Paris, Larousse, 2008 ; « Le syndicalisme, la politique et la grève. France et Europe (XIXe-XXIe siècles) », Nancy, Arbre bleu éditions, 2011.
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La journée de mobilisation de ce mercredi, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), fait ressortir les deux tendances de fond du mouvement social continental en ce début de XXIe siècle : une capacité à rassembler les principales organisations de chaque pays, sans pour autant réussir à construire des mobilisations transnationales durables et de grande ampleur.

Fondée en 1973, la Confédération européenne des syndicats (CES) rassemble aujourd’hui l’essentiel des forces syndicales de l’Union Europénne. Au regard de l’histoire, cela n’allait pas de soi.

La Confédération européenne des syndicats, une structure bien implantée dans l’Europe des 27...

En effet, du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, la division a dominé pour deux grandes raisons. D’une part, le syndicalisme européen a longtemps été balloté entre ces trois modèles historiques :

  • le Britannique : marqué par la relation organique entre le syndicat, le parti et la signature précoce de conventions collectives ; 
  • l’Allemand : fondé sur une nette distinction entre l’action revendicative immédiate et pragmatique, dévolue au syndicat, et l’action politique, laissée au SPD ; 
  • le Français, construit sur une culture de lutte profondément immergée dans le champ politique et teintée d’utopie.

D’autre part, de l’après-guerre à la chute du mur de Berlin, la division de l’Europe a durablement clivé l’espace syndical européen, selon une double ligne de fracture. La première séparait l’Europe occidentale pro-Américaine de l’Europe orientale pro-Soviétique, rendant impossible la cohabitation dans une même structure du syndicalisme ouest-européen et de celui des démocraties populaires. L’autre coupure traversait chaque pays d’Europe de l’ouest, particulièrement dans son versant méditerranéen : à l’instar, par exemple, de la situation française, certaines organisations se reconnaissaient dans le camp occidental (FO, CFTC, CFDT...), d’autres étant plus proches du monde communiste (la CGT).

Depuis un quart de siècle, ces barrières sont tombées : les différences entre les modèles syndicaux n’ont cessé de s’estomper au profit d’un alignement quasi-généralisé sur les bases de la pratique anglo-saxonne de l’accompagnement du système capitaliste et de la cogestion du monde tel qu’il est. Par ailleurs, la chute du communisme a accéléré les convergences en rendant caduque la coupure politique de l’Europe de la Guerre froide.

... mais qui a du mal à bâtir un mouvement social européen

Si la structuration du syndicalisme européen a progressé, il apparaît en revanche que la CES a beaucoup plus de difficultés à créer de puissants mouvements sociaux transnationaux.

Les euro-manifestations tendent à s’inscrire progressivement dans le paysage social. La CES les multiplie : quelque 24 appels à mobilisations de ce type ont été lancés au cours des vingt dernières années, avec une nette accélération : 9 entre 1993 et 2002 ; 15 entre 2003 et 2012, dont quatre pour la seule année 2011 ! S’il est vrai que la conjoncture s’y prête, il n’en reste pas moins que l’on peut penser qu’existe une volonté de banaliser ces formes d’action.

Cependant, il apparaît que les conflits sociaux continuent de conserver le cadre national comme lieu d’épanouissement privilégié. Pour ne prendre que les deux années écoulées, le constat est clair : les protestations se sont enchaînées en Europe occidentale avec une intensité quasiment inédite, sans pour autant connaître de coordination à l’échelle continentale. Les mesures d’austérité et autres réformes des retraites ont été fortement et presque systématiquement combattues, mais un pays après l’autre.

Les raisons en sont multiples : les questions sociales demeurent largement, au sein de l’UE, du ressort national, ce qui ne facilite guère les convergences ; les organisations qui composent la CES, si elles se côtoient dans une même structure, n’ont pas une appréciation identique des réformes imposées et de la manière de les combattre ; les mots d’ordre des euro-manifestations, aux contenus assez vagues pour permettre à chaque confédération nationale de leur donner le sens qui leur convient, n’aident certainement pas à convaincre le monde du travail ; enfin, la forme journée d’action paraît aujourd’hui en elle-même obsolète, puisqu’elle ne parvient plus à faire plier le pouvoir politique.

Au fond, que ce soit au niveau national ou européen, le syndicalisme est aujourd’hui en mal de succès. Outre un nécessaire travail de réflexion sur ses orientations, il lui faut penser à la manière de coordonner plus efficacement les luttes nationales qui ne sont pas prêtes de s’éteindre, de manière à les faire déboucher sur des mobilisations chronologiquement plus synchronisées.

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