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A quoi ressemblerait un couple franco-allemand reformaté sous la houlette Macron-Merkel ?
©ERIC FEFERBERG / AFP

Macron, der Berliner

L'ex-ministre de l'Economie était de passage dans la capitale allemande, recevant un accueil chaleureux de la part d'Angela Merkel. Si les deux pays sont souvent en désaccord sur des questions budgétaires, ils sont au cœur du projet européen depuis longtemps. Retour sur un couple au long cours, qui va peut-être changer.

Pierre Briançon

Pierre Briançon

Pierre Briançon est journaliste. Il est correspondant à Paris pour l'édition européenne de Politico, média américain d'information politique.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Emmanuel Macron s'est rendu aujourd'hui à Berlin, rendant visite à la Chancelière Angela Merkel, au Président  Frank-Walter Steinmeier, et le philosophe Jürgen Habermas. Le candidat du mouvement "En Marche" a été acclamé en Allemagne: c'est le favori des Allemands. A quoi ressemblerait le couple franco-allemand ?

Pierre Briançon : Cela dépend de peu de choses. D’abord est-ce que les Allemands vont prendre Macron au sérieux tout de suite ou est-ce qu’ils vont attendre de juger sur ses actes plutôt que sur ses intentions ? Et quel sera le gouvernement en Allemagne à la fin de l’année ? La démarche est la suivante: avant de rêver à plein de choses franco-allemandes, à des réformes européennes (comme Sarkozy et Hollande ont pu le faire), il faut que la France apparaisse enfin sur le plan international comme crédible sur plan économique.

Edouard Husson: Nous autres Français nous faisons bien des illusions. Le couple franco-allemand n'existe plus, depuis vingt-cinq ans. Il a disparu avec Mitterrand et Kohl. Ils l'ont d'ailleurs eux-mêmes détruit. Les années 1989-1995 ont été des années terribles, celles de la perte de confiance progressive entre les responsables des deux pays, qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour cacher la réalité - et peut-être se la dissimuler, en partie à eux-mêmes. C'est Mitterrand qui a porté le premier coup, en manquant l'occasion historique de fêter la chute de la RDA et la perspective de la réunification de l'Allemagne. Il a d'abord essayé d'empêcher cette dernière avec l'aide de Gorbatchev. Puis, devant la puissance de l'opinion allemande en faveur de la politique menée par Helmut Kohl, Mitterrand a fait machine arrière, il a essayé de ruser: ce serait la réunification contre le deutsche mark: c'est l'origine de l'euro. Kohl a accepté le marché mais il a obtenu en échange l'abandon par la France de l'unité yougoslave. 

J'ai conscience de raconter une autre histoire que le conte de fées qu'on nous sert habituellement. Mais il n'y aura pas de redémarrage de la coopération franco-allemande au sens où le Général de Gaulle l'entendait et l'a voulue sans une profonde honnêteté historique. Après Mitterrand et Kohl, il y a eu de brefs moments d'entente constructive, deux pour être plus exact: le refus, par Gerhard Schröder et Jacques Chirac, de la guerre en Irak. On a pu croire un temps que l'esprit pacifique et paneuropéen de Willy Brandt soufflait à nouveau sur l'Europe, Moscou étant en phase avec Paris et Berlin. 
Et puis il y a eu la phase que l'on a appelé "Merkozy", lorsque les deux pays ont tenté de stabiliser ensemble la situation créée en Europe par la crise de 2008. Mais c'était purement défensif. Et cela s'est fait au détriment de l'Europe du Sud. 
Un partenariat renouvelé franco-allemand pour relancer l'Europe demande une mise en cause radicale des dernières années. Il s'agit que la France présente sans biaiser ses intérêts; et que l'Allemagne accepte de jouer collectif. Le prochain président ne pourra plus accepter des décisions unilatérales de l'Allemagne comme la sortie du nucléaire ou une politique d'accueil des réfugiés menée de manière totalement unilatérale par la chancelière, depuis la décision de les accueillir massivement jusqu'à un accord sans transparence avec le président turc.  
François Fillon ou Emmanuel Macron sont-ils prêts à taper du poing sur la table? 

En quoi le couple franco-allemand changerait-il la construction européenne ?

Pierre Briançon : Pour sortir l’Europe actuelle de ses problèmes il faut renforcer la zone Euro ; pour renforcer la zone Euro, cela ne peut pas se faire sans une forte entente entre la France et l’Allemagne ; et pour renforcer ces relations, il faut que la France apparaisse comme sérieuse du point de vue économique et du point de vue des réformes à entreprendre, vis-vis de l’Allemagne dans le gouvernement de la zone Euro, avec un budget commun, et des transferts budgétaires possibles, et que cela ne sera pas compromis par la légèreté française. […] Ce qu’il manque à la zone Euro pour la parachever, et ce qui lui manque depuis le début, c’est la dimension politique, de gouvernement économique commun. Donc toute la démarche Macron s’explique par ça.

Edouard Husson: La construction européenne au sens où on l'a entendue pendant une soixantaine d'années est terminée. Les goiuvernements français, par faiblesse, et les gouvernements allemands, par manque de leadership et de vision de long terme, ont cassé le moteur. Regardez le désastre: la Russie transformée en puissance hostile; l'Europe du Centre et de l'Est désormais soudainement germanophobe; l'Europe du Sud asphyxiée monétairement et financièrement; la Grande-Bretagne sortie de l'Union. François Fillon ou Emmanuel Macron ont toutes les raisons d'invoquer un droit d'inventaire. Je peux imaginer que la France et l'Allemagne jouent à nouveau un rôle, ensemble, pour le bien de l'Europe. Mais alors il faut cesser de parler du "couple" ou même du "moteur" franco-allemand; il s'agit de se demander dans quelle mesure la France et l'Allemagne peuvent affronter ensemble les défis qui se posent à l'Europe. Nos deux pays sont-ils capables, ensemble, de se réconcilier avec la Russie puis, avec elle, de peser pour constituer un contrepoids à la puissance chinoise en Eurasie? Non pas pour affronter la Chine mais pour construire sur un pied d'égalité une Eurasie pacifique et ouverte? Sommes-nous capables, ensemble, de réaménager l'euro, en passant d'une monnaie unique à une monnaie commune, de manière à permettre à l'Europe du Sud de renouer avec la croissance; et à toute l'Europe de peser dans la reconstruction d'une relation transméditérranéenne? Sommes-nous capables, ensemble, de réussir le Brexit, dans l'intérêt de toutes les parties? Vous voyez que, dans toutes les directions géographiques explorées, l'enjeu, pour la France et l'Allemagne, est de trouver une tierce puissance avec et grâce à laquelle construire une politique qui dépasse les frontières de l'Europe, qui fasse jouer à l'Europe un rôle de stabilisateur dans un monde multipolaire.

Si on regarde l’histoire (Kohl-Mitterrand, Adenauer-De Gaulle, Schmidt–Giscard d’Estaing), quelle est l’importance du couple franco-allemand, et quelle serait l’importance d’un couple Macron-Merkel / Macron-Schultz ?  

Pierre Briançon : Il y a le facteur politique de construction de la zone Euro. A partir de Chirac, cela roule sur des rails grâce au marché unique, c’est là où le projet doit être concrétisé par des actes politiques ; on s’est aperçu que politiquement cela pouvait accrocher.

Il y a aussi l’aspect de la crise économique mondiale qui se répercute sur la zone Euro et qui met en relief le fait que la zone Euro est effectivement incomplète. A ce moment-là, on s’aperçoit que les deux pays, sans qui rien ne peut se faire au niveau européen, aboutissent à des situations économiques très divergentes : dans les années 90, l’Allemagne allait mal, et la France semblait aller mieux ; l’Allemagne fait des réformes, tandis que sous Chirac il ne se passe rien en France. On arrive en 2007 lorsque la crise éclate, les problèmes de la zone Euro ont été masqués par le fait que les taux d’intérêts étaient les mêmes pour tout le monde, les pays qui géraient mal leur économie n’étaient pas pénalisés par les marchés financiers. On se rend compte qu’il faut resynchroniser la France et l’Allemagne.

Si la France quitte l’Union européenne, il n’y a plus d’Union européenne ; ce qui explique la grande crainte de l’Allemagne sur la possibilité (très mineure) que Marine Le Pen puisse gagner. La France hors de l’Euro et de l’Europe, c’est la fin de l’Europe de depuis 1945.

Edouard Husson: Peut-être Emmanuel Macron sera-t-il le prochain président français. Mais pour atteindre cet objectif il s'y prend mal, quand bien même les auspices semblent actuellement lui être favorables. Sa mise en scène de la relation franco-allemande est un bon exemple de tout ce qu'il ne faut pas faire. Angela Merkel avait refusé de le rencontrer voici quelques semaines; il aurait pu en tirer parti: il est probable que sa relation avec l'actuelle chancelière ne durera que quelques mois, puisqu'il existe une vraie possibilité que "Mutti" ne soit pas reconduite à la Chancellerie; surtout, il est très mauvais de donner l'impression que l'on accourt dès qu'on est "en grâce". Le candidat a-t-il si peu d'orgueil? Croit-il si peu à une notion comme l'honneur de la France? Surtout il devrait savoir que la négociation avec Berlin cela s'apprend; c'est un véritable métier: les Allemands sont parmi les plus redoutables négociateurs en Europe; en 1945 ils ont renoncé à s'imposer par la force mais ils ont développé une persévérance dans la diplomatie qui leur a permis d'atteindre la plupart de leurs objectifs. L'ingéniosité technique et les capacités commerciales ne sont qu'une face de la "puissance allemande". L'autre face, c'est une capacité totalement sous-estimée en général à paraître plus puissant que le pays n'est réellement. Regardez la démographie allemande, qui affaiblit le pays considérablement; les performances moyennes des universités allemandes en comparaison internationale; des désastres financiers comme celui de la Deutsche Bank. Mais précisément, ce dernier exemple pointe vers l'extraordinaire capacité allemande à donner une image de soi-même la plus positive possible, au besoin à l'opposé de la réalité. Qui a jamais pointé du doigt Berlin pour les turpitudes de la Deutsche Bank? Qui a osé expliquer que par son unilatéralisme dans de nombreux dossiers Angela Merkel était la première responsable du Brexit? Qui, en France, ose dire à Madame Merkel qu'en coupant l'Europe de la Russie comme elle le fait elle offre à la Chine la domination sur l'Eurasie? 

Je ne sens pas Emmanuel Macron parti pour tenir un langage de vérité aux gouvernants allemands. Il me semble plutôt que le candidat répète les erreurs des présidents précédents, en allant chercher à Berlin une sorte de reconnaissance fondée sur des critères du passé. Le plus jeune candidat de cette présidentielle n'est pas pour autant le plus imaginatif. Cela n'a pas porté chance à Nicolas Sarkozy ni à François Hollande de s'enfermer d'emblée dans un dialogue contraignant au risque d'y perdre toute marge de manoeuvre économique. Macron est beaucoup plus le successeur politique de Hollande qu'il ne veut l'avouer. A première vue cela n'augure pas bien de la relation franco-allemande si c'est lui qui est aux commandes dans quelques semaines. 

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