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Hamed Abdel-Samad : "La comparaison entre islamisme et fascisme ne doit pas servir à relativiser les atrocités commises par le fascisme, mais plutôt à pointer du doigt les dangers semblables qui guettent aujourd’hui"
©CHRIS YOUNG / AFP

Le fascisme islamique

Dans son livre "Le fascisme islamique", l'intellectuel allemand Hamed Abdel-Samad s'appuie sur l'histoire pour offrir une analyse sans concession sur les origines du totalitarisme islamique

Hamed Abdel-Samad

Hamed Abdel-Samad

Né en 1972 près du Caire, Hamed Abdel-Samad fut élevé dans la foi musulmane par un père Imam. Après avoir enseigné à l’Université d’Erfurt et à l’Institut des Études Juives de l’Université de Munich, il a publié six livres consacrés à son parcours personnel et à l’islam, qui lui ont valu un très grand succès en Allemagne. Il est aujourd’hui reconnu comme un des plus grands spécialistes de l’islam politique en Europe. Menacé par une fatwa, il vit sous haute protection policière.

 

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Atlantico : En relisant l'histoire de l'Islam à la lumière de l'idéologie fasciste, en montrant les points communs entre les deux mouvements, ne cédez-vous pas à la reductio ad hitlerum qui renvoie tout phénomène antagoniste à l'émergence du totalitarisme nationaliste européen ?

Hamed Abdel-Samad : Le fascisme en Europe n’a ni commencé ni pris fin avec Hitler. Il peut être décrit comme le résultat de différentes évolutions assez longues qui se sont superposées dans le temps. Ce sont en particulier les nations tardives telles l’Allemagne et l’Italie – ces pays ayant trouvé leur union nationale tardivement et de manière incomplète, puis se sentant humiliés par les grandes puissances, l’Angleterre et la France – qui ont été réceptives à cette idéologie. Bien que le fascisme soit un phénomène moderne, il possède néanmoins des racines profondes dans l’Histoire européenne, dans son appréhension de la guerre, des sagas et du héroïsme. L’islam de son côté est une religion tardive qui véhicule le sentiment – particulièrement aujourd’hui – d’être mal traitée par l’Histoire. Le mélange d’impuissance et du fantasme de toute-puissance, d’humiliation et de supériorité morale, fait la spécificité de l’islam et du fascisme. Nous assistons à une tentative d’arrêter les horloges de l’Histoire et de ramener le monde et la société vers un passé glorieux qui n’a jamais vraiment existé. Nous ne devons pas oublier que le premier mouvement fasciste avait ses racines en France. L’Action Française était un groupe de catholiques militants qui rejetaient la modernité et qui voulait rétablir le pouvoir du pape comme chef de l’Europe. Les islamistes poursuivent le même objectif aujourd’hui : ils souhaitent faire gouverner le Prophète depuis sa tombe. Cette attitude n’est pas moderne, elle est aussi ancienne que l’islam lui-même.

La comparaison entre islamisme et fascisme ne doit pas servir à relativiser les atrocités commises par le fascisme, mais plutôt à pointer du doigt les dangers semblables qui guettent aujourd’hui. La jauge pour parler de génocide ne doit pas être placée à 6 millions. Il serait criminel de négliger des dangers seulement parce qu’ils nous paraissent (pour l’instant) plus anodins que ceux du fascisme. Hitler a fait l’ascension que l’on sait entre autres parce que l’on avait relativisé depuis le début le danger qu’il représentait. Il ne faut jamais minimiser le danger quand une idéologie de la haine rencontre les foules fanatisées. Et c’est précisément là où islam et fascisme se retrouvent.

Dans votre ouvrage, vous opposez constamment islamisme et modernité. Mais des mouvements musulmans tels que les Frères Musulmans, l'Arabie saoudite ou l'AKP d'Erdogan ne s'appuient-ils pas tout particulièrement sur des idéologies modernes différentes et complexes telles le capitalisme, le républicanisme, la laïcité ou le socialisme ? L'islamisme n'est-il pas particulièrement puissant aujourd'hui justement parce qu'il a parfaitement intégré la modernité ?

Les mouvements islamistes se sont seulement réconciliés avec les instruments de la modernité, jamais avec son esprit. Ils se servent volontiers des armes modernes de l’Occident, des moyens de communication et même des systèmes de gouvernance, mais ils continuent à rejeter l’esprit des Lumières, d’émancipation, de liberté individuelle et de pensée critique. Des mouvements comme l’AKP ou les Frères Musulmans acceptent le système électoral moderne afin d’arriver au pouvoir, mais ensuite, ils ne respectent pas les principes démocratiques. Ils considèrent les minorités comme un danger pour l’ouma, et l’opposition, comme des ennemis de la foi. Ils confondent morale et loi, divergences d’opinions et trahison. L’attitude de l’islamisme par rapport au monde moderne ne vise pas à moderniser l’islam mais à islamiser la modernité. C’est la raison pour laquelle les activistes politiques de ces mouvements se cachent plutôt derrière les mots démocratie, auto-détermination et société civile. Ils évitent d’utiliser des mots comme sharia ou califat non pas parce qu’ils les rejettent mais parce qu’ils savent que cela ne leur permettrait pas de trouver des alliés en Occident. Erdogan a pu apparaître longtemps comme un islamiste modéré et moderne aux yeux de beaucoup d’experts. Mais dès qu’il est arrivé au zénith de son pouvoir, il a montré son vrai visage. Cette attitude sélective avec le monde moderne défigure à la fois l’islam et la modernité et freine les réformes dans le monde musulman. On danse à l’entresol entre deux étages, mais ni ceux du dessus ni ceux du dessous ne peuvent voir la danse. Ces acrobaties identitaires épuisent les forces vitales de la jeunesse et renforcent les tensions entre l’islam et l’Occident. Les salafistes et terroristes me paraissent plus honnêtes car ils rendent leur idéologie et leurs objectifs publics, sans les voiler pour des raisons tactiques. L’islamisme moderne a toujours été une contre-révolution contre les valeurs de la modernité, et il l’est encore. Et tout comme il n’existe pas de voie médiane entre fascisme et liberté, il n’y a pas d’islamisme modéré – seulement un islam qui n’est pas encore arrivé au pouvoir.

Dès lors, quelles peuvent être les alternatives pour l'Islam dans les pays où elle est une religion minoritaire ?

En vérité les minorités musulmanes en Occident bénéficient d’une occasion en or pour se détacher de la tutelle des textes anciens et pour opérer un renouvellement de la pensée. Ils vivent en liberté, relativement aisément, et ne sont pas directement concernés par les conflits du Proche-Orient. Hélas, c’est le contraire qui se passe. Les musulmans utilisent plutôt l’islam comme bouclier identitaire pour se protéger des influences occidentales. Ils mènent souvent une vie plus conservatrice que les musulmans vivant au sein du monde musulman et se révoltent contre toute ouverture et toute réforme. Ils ne développent pas une théologie adaptée à la réalité de leur vie en Occident, mais ils importent des croyances dépassées d’Arabie-Saoudite, d’Egypte ou de Turquie. La plupart des mosquées en Occident sont financées par les Etats du Golfe ou la Turquie et sont donc liées aux objectifs politiques de ces pays. Une émancipation de la pensée devient par conséquent plus difficile à atteindre ici que dans les pays du Proche-Orient. Un islam adapté à son temps et d’inspiration européenne reste donc une chimère, un rêve de quelques réformistes qui, tels des ruisseaux isolés, sèchent dans le désert, avant de s’unir dans un mouvement nommé les Lumières ?

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