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Des adolescents agressent un couple
à coup de batte de base-ball 
pour un butin de... 70 euros
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Le quotidien d'un juge

Sophie Endelys, magistrate, dévoile le quotidien de son corps de métier dans "Salles des pas perdus", une compilation d'anecdotes difficiles et insolites (Extrait 1/2).

Sophie Endelys

Sophie Endelys

Sophie Endelys a commencé sa carrière de magistrat en tant  que substitut du procureur de la République à Béthune, puis à Paris. Elle a exercé quelque temps au ministère de la Justice avant un retour en juridiction. Depuis, elle a choisi d'exercer ses fonctions en Normandie d'abord comme vice-président puis comme conseiller de la cour d'appel et a publié deux romans : Du gypse, du plomb et une légère odeur de fraise (Fayard, 2003) et Diététique et balle perdue (Pion, 2007).

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Juger est un métier, pas une affaire de sentiments. D’un ton grave, le magistrat lit la déposition d’une des victimes. Il ne veut rien exprimer de lui-même. Les émotions ne sont pas de mise. Sa carapace est solide.

«Ils sont entrés par le portail de derrière. Je n’ai rien entendu je regardais les informations à la télé. On annonçait des morts en Irak. J’étais seule dans le salon, mon mari était sorti acheter des cigarettes. Notre fille âgée de quatre ans dormait dans sa chambre. À un moment, j’ai réagi à cause d’un bruit. Je me suis dit que c’était mon époux.

«— Tu as fait vite ! J’ai lancé avant de tourner la tête.

«Ils étaient là, sur le seuil. Deux silhouettes cagoulées avec un bas pour cacher leur visage. Le premier tenait une sorte de bâton. J’ai reconnu la batte de base-ball qui est entreposée dans le garage. C’est un souvenir de nos dernières vacances quand nous sommes allés aux États-Unis. L’autre portait un extincteur. Ils étaient tous deux vêtus de noir. Celui qui avait l’extincteur en a versé le contenu sur moi, j’ai aussitôt été aveuglée, tandis que dans mon dos, je recevais un coup violent. J’ai dû m’évanouir un moment, car j’ai l’impression de ne rien avoir entendu. Quand j’ai repris mes esprits, j’ai surpris le bruit du claquement de la porte. J’ai immédiatement pensé à mon mari que j’ai voulu avertir. Le plus grand des agresseurs m’a alors envoyé un coup de pied dans la tempe.

«Mon époux a lancé soudain :

«— Pourquoi laisses-tu la porte du salon ouverte ? Tu sais que...

«Je n’ai pas entendu la suite. Je pense qu’il voulait dire que lorsque la porte reste entrebâillée, la chaleur part dans l’escalier. Nous essayons de faire des économies de chauffage. Mon mari est fonctionnaire, il travaille pour l’université et moi je suis employée à mi-temps à la bibliothèque. Je m’occupe de ma fille qui a des problèmes de santé. Elle est asthmatique ce qui réclame beaucoup de soin et de présence.

«Quand ils ont vu mon mari, ils l’ont bousculé, jeté à terre et roué de coups. À un moment il a voulu s’échapper, mais le plus grand l’a rattrapé dans l’escalier au niveau des premières marches. L’individu qui avait des bottes a posé son pied sur la tête et a appuyé. Il y a sur la joue de mon époux la trace de la semelle. C’est alors que mon mari a eu son malaise. L’homme est retourné au salon. Il m’a demandé où je rangeais mon sac et ma carte bleue. J’ai voulu finasser et bêtement  j’ai répondu :

«— Dans la cuisine au-dessus de l’évier.

Je pensais gagner du temps. Le plus jeune – je dis le plus jeune, car il avait une voix moins grave et il était plus petit de taille – est revenu en criant.

«— Y a rien!

«Il semblait très excité, un peu fou, ingérable. Comme il était dangereux de résister, j’ai murmuré “Il est là” et j’ai fait un signe pour montrer mon sac derrière la commode. C’est alors que l’excité s’est approché. J’avais une écharpe de laine. C’est plutôt un châle que je mets sur mes épaules quand je suis assise sur le canapé. Il l’a utilisé comme une ceinture autour de mon cou tandis que le plus grand me giflait. Ils voulaient le code de la carte bleue, et je leur ai donné. Le bon, tout de suite.

«Le plus jeune est alors sorti tandis que le plus grand restait à côté de moi. De loin je voyais mon mari allongé dans l’escalier, il ne bougeait toujours pas. Je me suis affolée, et j’ai crié :

«— Vous l’avez tué ! Pourquoi? On ne vous a rien fait.

«L’homme qui tenait la batte de base-ball a haussé les épaules. J’ai senti qu’il était inquiet par la tournure des événements. […]

 «C’est à cet instant que j’ai perçu des bruits de pas au-dessus de ma tête. J’ai aussitôt pensé à ma fille. Depuis peu elle dort dans un lit sans barrière de sécurité et j’ai peur qu’elle ne tombe.

«L’homme lui aussi a entendu le bruit. Il m’a regardée et j’ai vu le moment où il allait monter. Là, je vous promets que j’ai prié. J’ai prié comme jamais je n’avais prié. Et mon mari qui restait immobile ! Dans un dernier élan, j’ai encore parlé d’amour et de pardon. Je savais que ça ne servait à rien, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Je répétais, “on se calme”, “on se calme”. Au-dessus de nous, le bruit a cessé, puis une sorte de grincements a repris. J’ai reconnu la serrure de la porte du garage. Des pas ont résonné et le plus jeune qui était parti avec ma carte est entré. Il a expliqué qu’il était allé au distributeur et que c’était OK.

«— C’est bon, on se casse, a répliqué l’autre en me plantant la batte de base-ball dans le ventre. En repassant devant le corps de mon époux, je l’ai vu donner un dernier coup de botte. Dès que j’ai entendu claquer la portière d’une voiture, je me suis levée et j’ai appelé la police. Nous avons été hospitalisés. Le certificat médical établit une ITT(1) de quarante jours pour moi et de plus de trois mois pour mon mari qui a eu un traumatisme crânien.»

Le président a fini sa lecture.

Tout ça pour quoi ? demande-t-il aux deux prévenus qui, sans cagoule, sans bâton et devant la barre du tribunal, n’en mènent pas large. L’un d’eux a encore de l’acné juvénile sur les joues. Le plus grand baisse la tête. Pour un peu, il se balancerait d’une jambe sur l’autre. Comme un gamin.

— Alors? Combien ça vous a rapporté votre escapade ?

Toujours le même silence.

— Si j’en crois le relevé bancaire, reprend le magistrat. Soixante-dix euros. Qu’avez-vous à nous expliquer pour soixante-dix euros que l’on puisse comprendre ?


(1). ITT : incapacité totale de travail

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Extrait de Salles des pas perdus Plon (9 février 2012)

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