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Petit mémo pour comparer les projets présidentiels pour lutter contre le chômage de masse : la part qui relève de la responsabilité des individus et la part qui relève de l’état de l’économie
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Souvenir

Le 27 mai 2016, Emmanuel Macron avait fait couler beaucoup d'encre en déclarant que "La meilleure manière de se payer un costard, c’est de travailler." Il suscitait alors un débat qui reste d'actualité pour tous les candidats : le chômage est-il une question structurelle ou un problème de volonté ?

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Pris à partie par un jeune homme, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, avait déclaré : "La meilleure manière de se payer un costard, c’est de travailler." Loin d'être anecdotique, cette phrase semble révéler une fracture au sein de la population, entre ceux qui estiment que le travail est avant tout une question de volonté, et ceux qui estiment que la cause du mal repose sur la trop faible offre de travail. Comment faire la part des choses entre ces deux visions ?

Eric Heyer : Il y a deux manières de procéder pour faire la part des choses. Soit vous regardez ce qu'expliquent les chefs d'entreprise, soit vous faites des calculs d'économistes. Selon les chefs d'entreprise, la principale raison pour laquelle ils n'embauchent pas c'est parce que leurs carnets de commandes sont vides. Aujourd'hui, c'est la faiblesse de la demande qui empêche les embauches. Il peut aussi y avoir un problème de compétitivité, mais les entreprises ont d'abord un problème de demande. Ensuite, nous pouvons régler ce problème en menant des politiques publiques permettant de gagner en compétitivité, pour vendre à l'étranger, ou de soutien de demande interne. C'est en tout cas ce que nous indiquent les enquêtes de l'INSEE auprès des chefs d'entreprise et celles de la Banque de France auprès des mêmes chefs d'entreprises. Selon elles, le chômage est aujourd'hui essentiellement involontaire. 

Si nous réalisons des travaux d'économistes, nous obtenons à peu près le même résultat. Nous avons aujourd'hui un "output gap", c'est-à-dire un écart entre la production réelle et la production potentielle, qui même s'il varie selon les économistes est négatif. Le FMI et l'OCDE l'estiment entre -2% et -2,5%. Nous à l'OFCE nous sommes à -3%. Disons qu'il y a un consensus aux alentours de -2,5%. Cela signifie que sans contrainte, la production devrait être de 2,5 au-dessus de son niveau actuel. Le chômage est en grande partie lié à cela. La production est freinée par un certain nombre de mécanismes. Cela peut être les politiques d'austérité, des chocs pétroliers, des chutes de compétitivité extérieure. Mais il y a bien un frein et c'est cela qui fait dire aux chefs d'entreprise que leurs carnet de commande sont trop faibles. Nous retrouvons bien le même diagnostic. Aujourd'hui, les entreprises n'embauchent pas parce qu'elles sont contraintes par leurs carnets de commandes et le chômage est essentiellement un chômage involontaire.

Nicolas GoetzmannCette opposition fracture effectivement l’opinion en deux catégories. Ceux qui estiment que le chômage français est le résultat de trop grandes largesses sociales, de l’assistanat, d’une frange de la population qui ne fournirait pas les efforts nécessaires pour trouver un emploi, qui forment un bloc représentant une vision "structurelle" du chômage. C’est ce que la phrase d’Emmanuel Macron laisse entendre. Et ceux qui pensent que le problème de l’économie française relève d’un manque de travail, il existerait une inadéquation entre la population active et le nombre d’emplois disponibles, qui serait le signe d’un manque de travail, ne permettant pas à un grand nombre de personnes de trouver un emploi. Il s’agirait alors d’une question conjoncturelle.

Mais cette question peut se résoudre plutôt aisément en regardant les chiffres. En février 2008, selon la DARES, le nombre de chômeurs était de 2,145 millions, ce chiffre concerne aujourd’hui 3,766 millions de personnes, soit une hausse de 1,620 millions en 7 années. Si l’on prend en compte les chiffres de l’INSEE, selon les méthodes du BIT, le taux de chômage du 1er trimestre 2008, à 6,8% en France métropolitaine, était le plus bas taux connu par le pays depuis le troisième trimestre de 1983. Il est dès lors possible de considérer que le niveau de plein emploi est proche de ce chiffre, à 6% si l’on est optimiste. A partir de là, il faut se poser la question de la hausse depuis cette date. Si l’on raisonne en termes structurels, et que l’on pense que le chômage est volontaire, cela pourrait vouloir dire qu’une épidémie de fainéantise aurait brusquement touché le pays, ce qui aurait provoqué cette incroyable, et soudaine hausse du chômage. A l’inverse, si l’on considère l’ensemble des dépenses qui ont lieu dans le pays pendant une année, c’est-à-dire le PIB sous sa forme nominale, il est possible de se rendre compte que sa croissance est passé d’un rythme annuel de 4% entre le milieu des années 1990 et l’année 2008, et que celui-ci s’est effondré, de 70% depuis lors, pour atteindre 1,3% en moyenne sur les 7 dernières années.

Si la vision du "chômeur fainéant" avait un sens, cela signifierait que les personnes sans emploi refuseraient les emplois qui leurs sont proposés, et ainsi, que ces postes ne trouveraient pas preneurs. Ce qui obligerait les entreprises à aller chercher des personnes en emploi pour occuper ces postes, et donc à mettre les employeurs en concurrence entre eux. Ce qui provoquerait des hausses de salaires. Or, selon les chiffres de 2015, la rémunération des salariés a connu une croissance de 1.29% en 2015, contre plus de 4% en 2007. Aujourd’hui, c’est bien le manque de travail qui caractérise l’économie française, et non la fainéantise supposée de sa population.

Comment expliquer cette double perception, qui se traduit aujourd'hui en opposition au sein même de la population ? 

Eric Heyer : Il y a toujours eu cette idée qui a traversé les générations selon laquelle les chômeurs sont des fainéants et qu'il faut mettre plus de contraintes sur eux pour les inciter à retrouver un emploi sur le marché du travail. Ce n'est pas une idée nouvelle. Elle n'est pas particulièrement folle, mais aujourd'hui elle est fausse. Plus vous vous rapprochez des 5% de chômage, plus elle prend du poids. Lorsque nous sommes entre 2,5% et 3% et que le chômage se situe entre 5 % et 6%, alors dans cette dernière partie, il peut y avoir plus de chômage volontaire. Dans un contexte où la croissance est faible, cette proportion-là se noie dans une autre réalité, celle du chômage involontaire.

Nicolas Goetzmann : L’explication la plus rationnelle consiste déjà à regarder qui sont les personnes qui soutiennent cette vision défendue ici par Emmanuel Macron. Le discours anti-assistanat trouve son écho le plus fort chez les retraités, comme le révélait un sondage IFOP sur la réforme de l’indemnisation du chômage, ou seuls les plus de 65 ans étaient majoritairement favorables (53%) à une baisse des allocations et à raccourcir la durée d’indemnisation. Le fait est que les plus de 65 ans n’ont jamais véritablement connu une crise de cette nature. L’environnement qu’ils ont connu a été plutôt favorable, économiquement parlant, tout au long de leur vie professionnelle. L’idée même de ne pas pouvoir trouver un emploi ne peut être assimilée de la même façon que par des catégories d’âge qui ont massivement connu des vagues de licenciements en raison de la chute de chiffre d’affaires de leurs entreprises. Il existe donc bel et bien une incompréhension générationnelle, où des grands parents sont confrontés à des enfants, ou à des petits enfants qui ne trouvent pas d’emploi, et qui ne peuvent pas s’imaginer qu’il n’y a pas d’emploi à trouver. Ce qui provoque des réactions du type "c’est parce que tu ne cherches pas vraiment", ce qui est d’une insupportable brutalité pour ceux qui passent leur vie à envoyer des CV. La crise de la demande que le pays traverse depuis 2008 n’a de réel équivalent, en théorie, qu’avec la grande dépression de 1929. Les retraités sont passés à travers, et ils appliquent, assez logiquement, les solutions qu’ils imaginent à la crise actuelle, c’est-à-dire les solutions qui correspondent à l’environnement qu’ils ont connu. Emmanuel Macron, par cette phrase, ne fait que révéler son incapacité à assimiler la nature de la crise actuelle.

Quelle part du mal peut-on attribuer aux problèmes structurels de l'économie française et quelle part attribuer aux problèmes conjoncturels ? 

Eric Heyer : Il est difficile de répondre à cette question. Je parlais de l'estimation de l'output gap par les différents économistes. Le consensus moyen est à -2,5%. Il y a donc 2,5 points de chômage conjoncturel. Si aujourd'hui vous êtes à 10% de chômage, cela signifie que vous pourriez être à 7,5%. Ce dernier chiffre représente le chômage structurel. Pour arriver au plein-emploi à 5%, vous avez la moitié de structurel et la moitié de conjoncturel.

Nicolas Goetzmann : Si l’on considère que le taux de chômage français est aujourd’hui de 9,9% selon l’INSEE, et que le taux de chômage qui correspond au plein emploi est de 6%, il est alors possible de faire une décomposition. D’une part, lorsque l’on prend les pays affichant les taux de chômage les plus bas, comme le Royaume Uni ou les Etats Unis, on peut se rendre compte que le taux de plein emploi peut atteindre un chiffre compris entre 4 et 5%, au lieu de 6%. Il existe donc bien un effort à réaliser sur le terrain structurel, qui correspond à un 1 ou 2 points de chômage. D'autre part, pour le solde restant, c’est 4 points de chômage conjoncturel, qui est donc largement majoritaire dans le pays. Or, tout le problème, lorsque le taux de chômage conjoncturel est élevé, c’est de fragiliser ceux qui cherchent vraiment un emploi, sans en trouver un, dans le but d’inciter ceux qui ne cherchent pas à envoyer des CV. Lutter contre l’assistanat dans une telle configuration, c’est d’abord frapper ceux qui sont réellement en état de souffrance face à l’emploi. Une telle politique, une telle vision, peut avoir du sens lorsque le plein emploi est atteint et que l’on veut lutter contre le taux de chômage structurel, mais cela ne correspond tout simplement pas à la situation actuelle.

En partant de l'un ou de l'autre diagnostic, quelles sont les réponses à apporter de la part des pouvoirs publics ? Sont-elles antinomiques ? Est-il possible de réconcilier ces deux approches pour en adopter une seule ?

Eric Heyer : Reprenons 5% de chômage comme définition du plein-emploi, avec 2,5% de structurel et 2,5% de conjoncturel. Il faut bien agir sur les deux. Nous pourrions penser qu'il faut s'attaquer en priorité au structurel. C'est ce que tente le gouvernement avec la loi El Khomri. L'idée est de réformer le marché du travail pour le rendre plus flexible et faire baisser le chômage structurel. Mais il faut faire attention à ce que ces réformes structurelles n'aient pas un impact négatif sur la croissance et augmentent le chômage conjoncturel. C'est en cela que le concept de "flexisécurité" apparaît. Généralement, quand vous mettez en place des politiques structurelles, qui ont un impact récessif, il faut les accompagner de réformes conjoncturelles qui soutiennent l'activité. C'est le bon dosage qui est important. C'est ce qui manquait dans la première version de la loi El Khomri et qui manque encore dans cette version. Il avait la flexibilité, mais pas la sécurité.

Nicolas Goetzmann : La priorité est une relance de l’activité par la demande. En agissant de la sorte, et par la voie de la Banque centrale européenne, il est possible de soutenir la croissance économique, et donc la création d’emplois privés, permettant à tous ceux qui cherchent un emploi d’en trouver un. La situation est d’autant plus urgente qu’un chômeur "conjoncturel", avec le temps, va devenir un chômeur structurel. En passant plusieurs années au chômage, une personne ne sera plus retenue pour un poste, elle va devenir inemployable. Ce qui est la conséquence d’un défaut de "réactualisation" de son niveau de formation, et de la défiance des entreprises à engager une personne inactive depuis trop longtemps. Puis, lorsque le plein emploi est atteint, et stabilisé, il sera alors possible de lutter contre les éventuels effets d’aubaine qu’il peut exister dans les prestations sociales françaises. Cependant, lorsque le plein emploi réel est atteint, les salaires commencent à progresser, ce qui rend le marché de l’emploi de plus en plus attrayant. Et c’est généralement ce type d’incitations, la carotte, qui fonctionne le mieux, plutôt que le bâton. 

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