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Ce désir inconscient d'une victoire de Marine Le Pen qui peut s'installer chez une partie des électeurs de gauche
©AFP

Antifascisme et réconfort

Si les valeurs de la gauche sont moins à la mode aujourd'hui, et les enjeux émoussés, il reste tout de même un moteur, l’antifascisme. Une arrivée du FN au pouvoir, permettrait peut être à la gauche de retrouver une unité, une renaissance.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Atlantico : Après un quinquennat que beaucoup considèrent comme gâché, avec une usure des idées de "progrès" auprès du "peuple de gauche", peut-on percevoir un désir inconscient de la part de certains électeurs de gauche d'assister à un succès du Front national, non pas, évidemment pour ce qu'il porte, mais comme un moyen de ressouder la gauche atour de la notion "d'antifascisme"?

Michel Maffesoli : Longtemps l’espoir d’un progrès social a été le moteur des électeurs de gauche. Cet idéal « progressiste » ne correspond plus à notre époque, c’est ce que signifie le vote « lepéniste ». Chez certains, ce vote est sans doute l’espoir inconscient que de la catastrophe surgisse la renaissance.

Ce qu’on appelle le mythe du progrès est un des piliers de la modernité, cette époque qui commence avec la philosophie des Lumières et se termine au siècle dernier. La croyance en un monde meilleur qui succéderait à celui dans lequel nous vivons a été le moteur de la civilisation judéo—chrétienne, puis de manière laïque celui de l’idéal socialiste qui en a pris le relais. Cette volonté de dominer la Nature, de soumettre le destin à un projet ne rencontre plus l’adhésion. La conscience des catastrophes naturelles et technologiques, une désillusion par rapport aux bienfaits du progrès matériel, la recherche d’une meilleure cohésion sociale et de solidarités de proximité, voilà autant de signes qui témoignent de la fin de l’époque moderne avec ses valeurs d’individualisme et de compétitivité, de rationalité et de développement technique, de productivisme et de matérialisme.

Or la gauche s’était construite sur ces valeurs progressistes, on a même assimilé progressisme et gauche ! Dès lors qu’elle n’a pas su changer de logiciel, penser le monde tel qu’il est et non pas tel qu’elle voudrait qu’il fût, penser même le peuple tel qu’il est et non pas tel qu’elle le souhaiterait, c’est elle-même qui est condamnée à disparaître ! « Le peuple a mal voté, changeons le peuple » disait Berthold Brecht. Mais le peuple bien sûr, comme le savait le dramaturge, résiste, il a un quant à soi, il fait sécession.

Et pour part cette sécession par rapport à ses valeurs passées, celles de la gauche, se traduit dans le vote extrême, celui en faveur du Front National. Est-ce à dire qu’on croirait en leurs promesses ? Je ne le pense pas. Le peuple sent bien que les rodomontades de Marine Le Pen et de ses fidèles ne pourront pas faire revenir le monde d’avant. Celui de l’emploi pour tous et du progrès matériel infini. Il n’est même pas sûr que ce soit ceci qui soit souhaité.

Le vote Front National n’est donc sûrement pas un vote « solution ». Est-ce pour autant un calcul conscient ou inconscient ? Il est possible qu’il subsiste dans l’inconscient populaire la vieille croyance qui a largement été portée par la gauche, selon laquelle de la catastrophe peut surgir la révolution et donc la renaissance. Souvenons-nous que Lénine et les bolchéviques ne s’étaient pas opposés à la guerre de 14-18 et que les mouvements révolutionnaires ont souvent pris racine sur un terreau de catastrophes. Mais je ne pense pas que cet inconscient de l’électorat populaire soit vraiment aussi stratégique. Je dirais plutôt que le vote Le Pen peut être vu comme une négation totale des politiques auxquelles on avait fait confiance pour changer la société et en l’occurrence les politiques de gauche. On pourrait renverser l’adage de Brecht et penser que dès lors que ses représentants ont trahi le peuple, celui-ci va choisir ceux qui en sont le plus éloignés. Comme s’il fallait marquer la fin de l’espérance de gauche en un progrès social par l’avènement d’une catastrophe … dont pourrait peut-être surgir, on ne sait jamais, une renaissance, en tout cas « tout autre chose ». C’est ce « tout autre » que l’on entend le plus souvent comme motivation du vote alternatif au vote de gauche et en faveur du vote lepéniste. 

Raul Magni-BertonSi l'objectif de la gauche est de se rassembler autour de la notion d'antifascisme, une victoire électorale du Front National serait une mauvaise nouvelle. Le FN n'est une menace que lorsqu'il n'a pas gouverné. Dès que le système politique intègre les partis qui se présentent comme anti-système, il les normalise. La peur du FN se transformerait alors en simple désaccord. Les exemples de ce type sont nombreux, dernier en date les Etats-Unis de Trump. De menace capable de mener le pays à la catastrophe, il est en train de devenir une réalité avec laquelle il faut composer. 

Je pense donc que la gauche - ou du moins sa frange qui brandit une identité avant tout anti-fasciste - n'a pas intérêt à ce que le FN gagne. En revanche, il est possible que la gauche qui vise à reconquérir les classes populaires puisse tirer profit d'un éventuel mandat raté du FN. 

Que révèle au fil des années, cet affaissement des valeurs "positives" de la gauche, en opposition à une valeur "négative" telle que l'antifascisme ? Faut-il y voir une incapacité à penser un projet "de gauche" dans une époque aussi instable ?

Michel Maffesoli : L’antifascisme comme la promesse des « lendemains qui chantent » sont des mots éculés, ne traduisant en rien les motivations du peuple réel.

On sait que dans les années 30, les Fronts populaires se construisirent sur le seul objectif de l’anti-fascisme. Mais l’histoire ne peut pas se rejouer à l’identique et la peur des votes extrêmes ne pourra sans doute pas redorer le blason de la gauche. On peut le regretter, être nostalgique des grandes manifestations unitaires dans lesquelles socialistes, communistes, radicaux de gauche communiaient dans un même élan contestataire. Mais on voit bien que ce réflexe unitaire ne fonctionne plus.

Pourrait-il y avoir un projet de gauche pour mobiliser l’électorat ? Je pense que c’est la forme projet qui n’est plus adéquate à l’époque et le peuple l’a compris, bien avant les élites, notamment politiques. Le projet s’inscrit dans une flèche du temps, qui dépasse le passé et reporte la jouissance du présent dans une attente d’un futur à venir, le paradis au Ciel ou sur la terre.

Les politiques, notamment ceux de gauche continuent à utiliser ces logiciels dépassés, la peur du fascisme ou la promesse d’un avenir meilleur alors que leur électorat potentiel a compris depuis longtemps qu’ils étaient obsolètes.

Marine Le Pen a compris certains ressorts de l’opinion et quand elle dit : « la politique, c’est donner du sens et faire du lien », elle répond à une partie de l’électorat. Bien sûr, le Front national cherche ensuite à capitaliser son succès en multipliant lui aussi les promesses de lendemains qui chantent et par là annihile son originalité.

Il n’en reste pas moins que Marine Le Pen réussit, malgré la « dédiabolisation » à incarner ce tout autre, fût-il catastrophique qui pourrait faire éclater la bulle politicienne. 

Raul Magni-Berton : Je dirais que plutôt qu'une incapacité à produire un projet de gauche, il y a, au sein de la gauche, un fort désaccord sur le projet que la gauche devrait incarner. D'une part, il y a une gauche internationaliste, pro-Europe et hostile aux frontières, qui axe son projet sur les droits des minorités et l'égalité des chances. D'autre part, il y a une gauche égalitariste, qui axe son programme sur plus de démocratie et une plus forte égalité des conditions. Les objectifs des deux types de gauche sont incompatibles puisque pratiquer une politique de redistribution et de démocratisation implique une revendication de contrôle sur sa politique que l'internationalisation ne permet pas. 

Il est vrai alors que lorsqu'on ne partage pas les valeurs positives, on essaye de se retrouver et de rassembler sur les valeurs négatives.  

Qu'est-ce que la gauche a raté ces dernières années pour en arriver à un tel résultat ?

Michel Maffesoli : La gauche est restée figée  sur les valeurs des Lumières, celles du « contrat social ».Et  face aux aspirations à une communion émotionnelle, elle ne sait qu’offrir le froid rationalisme technocratique.

La gauche n’a rien raté, on peut dire qu’elle s’est peu à peu réduite à son essence rationaliste et technocratique.

Pourquoi cela ? Justement parce que ce qui permettait de rassembler, de faire éprouver ensemble des émotions, cette espérance commune en la construction d’un monde meilleur, cette haine commune des ennemis fascistes, tout cela a disparu. La postmodernité, comme le disait J.F. Lyotard, c’est la fin des grands récits. Celui de la gauche progressiste en était un. Mais celui de l’identification du fascisme et du totalitarisme en était un autre. Or l’histoire des communismes a bien montré qu’en matière de totalitarisme, de destruction barbare, de dévastation du monde et des esprits, la gauche n’était pas en reste.

Bien sûr le socialisme n’est pas le communisme, il n’empêche, ils fonctionnent sur le même idéal de destruction du monde tel qu’il est et de construction d’un monde meilleur. Faire le bien des autres, fût-ce contre leur gré, le peuple a compris que cela ne lui amènerait rien de bon.

D’autre part, les élites de gauche tiennent toutes maintenant le même discours rationnel, responsable, économiciste. Discours souvent incompréhensible de technocratie, discours on ne peut moins mobilisateur.

Les hommes politiques de gauche n’ont pas su inventer de nouveaux récits capables d’agréger les forces populaires. Sans doute est-on entré dans une époque de turbulences, dans laquelle ces petits récits se construisent, de manière désordonnée, au niveau local, dans les multitudes d’initiatives solidaires dont fait montre le peuple. A défaut de savoir entendre ces ébauches de renouveau, la gauche technocratique et programmatique laisse la place à des discours de pure émotion haineuse. Le fait qu’ils s’expriment au niveau national, dans cette élection présidentielle dont bon nombre imaginent qu’elle ne changera rien, quel qu’en soit le résultat, ne traduit pas vraiment un climat de haine dans la vie de tous les jours, un état de guerre civile, une volonté d’exclusion des autres. Juste une volonté farouche de sécession par rapport aux élites. A toutes les élites. 

Raul Magni-Berton : Je ne crois pas qu'elle ait raté grande chose, compte tenu des difficultés qu'elle a eu. Elle a résisté à la chute des régimes communistes, puis elle a affronté, et même appuyé une Union Européenne rigoriste. Elle a perdu le vote des ouvriers. Ses programmes d'aujourd'hui et d'il y a 40 ans n'ont plus rien à voir. Et portant elle est toujours là, majorité sortante. Et cela est vrai également dans beaucoup de pays européens.

Naturellement, il n'est pas simple de traverser de telles transformations sans crise d'identité. Il s'agit du problème principal de la gauche actuelle: elle réussit à gagner les élections, mais elle ne parvient pas à ne pas décevoir. A l'heure actuelle, elle reste bloquée sur deux projets de société contradictoires.  

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