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"Réguler le prix de l'essence, c'est taxer plus les compagnies pétrolières et moins le consommateur"
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OUI au blocage du prix de l'essence

Les deux favoris à l'élection présidentielle se sont affrontés mardi sur la nécessité de bloquer ou non le prix de l'essence. Si l'histoire nous enseigne qu'une taxe flottante n'est pas la solution, un meilleur partage des taxes entre producteurs et consommateurs reste possible.

Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Alors que le prix de l’essence va de record en record depuis le début de l’année 2012, alors que pour les ménages français, la part du budget accordé à l’essence ne fait qu’augmenter, à part François Hollande, aucun des candidats n’a réellement ouvert le dossier des prix des carburants.

La raison est que c’est un sujet périlleux, coincé entre la problématique écologique de long terme et le pouvoir d’achat de court terme. François Hollande avec la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) flottante s’est d’ailleurs pris les pieds dans le tapis, car l’application d’une TIPP flottante serait un désastre pour les comptes de l’État. Elle avait déjà entraîné de fortes pertes sous le gouvernement Lionel Jospin.

Pourtant à l’époque, elle n’était pas une mauvaise idée car le prix oscillait autour de 25 dollars et d’ailleurs, l’OPEP avait fixé une bande officielle de fluctuations du prix du pétrole au niveau international autour de 22 et 28 dollars avec « régulation automatique » en cas de dépassement. Le gouvernement pouvait ainsi aisément fixer un prix pivot autour de 25 dollars et baisser la TIPP quand le prix augmente et l’augmenter quand le prix baisse. Aujourd’hui, il n’y a plus de prix pivot et le prix du pétrole est structurellement à la hausse. Entre 2010 et 2011, il a augmenté de plus de 30 dollars.

Dans le contexte actuel, la TIPP flottante serait donc une perte énorme pour l’État français. Néanmoins, une partie de sa proposition « le blocage temporaire des prix » me semble indéniable dans le contexte actuel pour plusieurs raisons.

Le prix de l'essence quatre fois plus élevé que les prévisions du début du siècle

Premièrement, le marché pétrolier est actuellement sous tension. Le prix du Brent (pétrole brut léger de Mer du Nord) a atteint un record en 2011 avec 112 dollars en moyenne contre 79 dollars en 2010 et 97 dollars en 2008 (année du pic à 148). Surtout que cette année, à la tendance structurelle à la hausse des prix du pétrole, s’ajoute des tensions géopolitiques notamment avec l’Iran : le prix du pétrole pourrait atteindre des records et avec lui le prix de l’essence.

Or pour beaucoup de Français, les dépenses de carburants sont des dépenses contraintes, c'est-à-dire obligatoires pour aller travailler alors même que les français vivent de plus en plus loin de leurs lieux de travail. Cette situation n’est plus tolérable surtout en pleine récession.

Deuxièmement, la composition actuelle du prix du carburant n’est plus valable. Elle l’était pour un prix du pétrole autour de 20-25 dollars. Rappelons que le prix du pétrole entre 1986 et 2000 était en moyenne à 16 dollars et que les prévisions de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) en 2000 tablaient sur un prix à 24 dollars en 2010. Aujourd’hui, le prix est quatre fois plus élevé que les prévisions du début du siècle, et les compagnies profitent pleinement de ces effets-prix qui leur ont permis d’afficher des profits en hausse malgré une baisse de leur production.

Par exemple, Shell a un bénéfice qui a augmenté de 54% avec une production qui a baissé de 3%, BP a son bénéfice qui a grimpé de 25% avec une production qui a diminué de 10%, et Total a son bénéfice qui a grimpé de 16% avec une baisse de 1% de sa production.

La baisse des taxes n’est pas envisageable dans le contexte de crise de la dette

Dans ce contexte, la composition du prix de l’essence avec une taxe reposant uniquement sur le consommateur ne peut plus fonctionner. Il faut la repartager entre consommateurs et compagnies pétrolières d’une part, et entre consommateurs actifs (c'est-à-dire travailleurs dépendant de leur voiture) et consommateurs passifs (conducteur du dimanche) d’autre part.

Car la baisse des taxes n’est pas envisageable dans le contexte de crise de la dette que traverse notre pays. Concernant le partage compagnies/consommateur, il s’agit de faire un cadeau au consommateur en allégeant les taxes (TIPP), ce qui ferait redescendre le prix de l’essence et compenser cette perte pour l’État en augmentant les impôts des pétroliers. Certes certains prônent des taxes élevées sur le prix des carburants pour favoriser la transition vers d’autres énergies, mais pourquoi ces éco-taxes devraient se faire par le bas en taxant uniquement les consommateurs ? Taxer les compagnies, c’est également contribuer à la transition énergétique…

Concernant le partage consommateurs actifs/passifs, il est important de distinguer les dépenses contraintes des Français qui sont obligés d’utiliser leur voiture pour aller travailler des consommateurs occasionnels. Il faut donc prévoir un crédit d’impôt à partir d’une certaine distance pour ceux qui sont contraints d’utiliser leur voiture pour aller travailler, surtout dans les régions où il n’y a pas d’infrastructures de transport suffisantes.

Le contexte particulier de crise doit amener à des réponses particulières. Bloquer les prix, c’est se laisser le temps de la réflexion pour mettre en place des instruments permettant de répondre à des besoins concrets dans une période particulière. Même si, à moyen terme, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une transition énergétique.

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